Jacques Cohen 15 4 22
Sur les ondes de RCF: LIEN
Aujourd’hui on retrouve le professeur Jacques COHEN pour une chronique d’actualité. Professeur, bonjour !
Bonjour !
Avec vous aujourd’hui, Professeur, on va parler de la guerre entre la Russie et l’Ukraine et une saison 2 encore plus spectaculaire : la montée des périls. Si on fait une photographie de cette guerre entre la Russie et l’Ukraine, JC, que se passe-t-il ?
On a l’impression, comme les choses durent, vu depuis la France, qu’elles sont étales et que le niveau de risque ne peut pas changer, mais je pense tout à fait le contraire. Nous sommes à la veille d’une saison 2 avec des risques d’aggravation et d’implication beaucoup plus importante de notre part, et de conséquences chez nous bien plus importantes. Pourquoi ? Parce que la première partie de viser l’effondrement rapide politique de l’Ukraine de la part des Russes a raté, et qu’ensuite une implantation militaire durable dans le Nord a donné un désastre de massacres et de victimes civiles, non pas tellement sous forme – comme c’est souligné – de massacre délibéré de la population, mais parce que tout simplement quand les uns et les autres tirent par tous les moyens qu’ils ont dans des milieux urbains, et bien les civils sont, comme toujours, ceux qui trinquent le plus, par milliers, effectivement. Ceci conduit à un passif politique majeur pour les Russes.

Le Croiseur Moskwa et son escorte , n’ont pas su se défendre de missiles lancés par les ukrainiens tandis qu’ils naviguaient à 65nm au sud d’Odessa. Les ukrainiens indiquent une modernisation Neptune d’un missile soviétique puis russe Kh35. Au moment où B Johnson a promis de donner son stock de Harpoon fabriqué par Boeing aux ukrainiens, il est amusant de noter que le surnom du Kh35 dans les marines de l’OTAN était Harpoonski.
Et ils ont donc besoin d’une victoire pour reprendre les négociations ou d’accepter une guerre durable. La victoire de prendre Marioupol ne servira qu’à usage interne, elle n’est pas suffisante pour modifier le rapport de force. Il faudrait d’une part qu’ils aient repris tout le Donbass et d’autre part qu’ils aient cassé le corps de bataille ukrainien. Or, de ce point de vue, les Américains indiquent maintenant ouvertement qu’ils fourniront autant de matériel lourd qu’il le faudra aux Ukrainiens – ils ont commencé à le faire – pour s’orienter vers une guerre durable, une guerre pour des années avec la perspective d’user la Russie dans la compétition économique. De l’autre côté, les Russes mènent une bataille aérienne à coup de missiles, ils en ont tiré plus de 1 500 qui vont peu à peu détruire les infrastructures ukrainiennes et là aussi, on peut remarquer un certain nombre d’éléments de retenue à la fin de la saison 1.
Quelles sont les retenues de la part des Russes qui peuvent être paradoxales, mais qui restent un fait réel ? D’abord, ils n’ont pas engagé tous leurs moyens aériens et en particulier, ils n’ont pas voulu démasquer leurs moyens de guerre électroniques pour que les troupes de l’OTAN ne puissent pas décrypter ce qu’il se passe et se préparer pour une confrontation, ce qui veut dire qu’ils continuent à penser qu’il peut y avoir un risque sérieux de confrontation avec les troupes de l’OTAN auquel ils ne veulent pas démasquer leurs moyens électroniques. Il y a une contrepartie, c’est que leur suprématie aérienne n’est pas totale, loin de là, et qu’en quelque sorte ils payent pour leurs précautions vis-à-vis de l’OTAN. Dans une deuxième phase, ils peuvent être tentés du contraire c’est-à-dire d’essayer d’impliquer l’OTAN de façon à ce que chacun soit obligé de démasquer ses systèmes électroniques et après, on aura une course chez les uns et chez les autres à comment les déjouer. Pour l’instant, ce n’est pas fait, mais cela reste un risque tout à fait sérieux.
La logique ukrainienne :
La logique ukrainienne pour récupérer tout son territoire est de miser sur une guerre longue, impliquant l’OTAN. Son inquiétude principale, c’est une évolution à la georgienne, où deux régions sécessionnistes l’Abkhazie et l’Ossétie du sud, sont repassées dans l’orbite russe, tandis qu’un oligarque dominant a économiquement pris la même orientation de commerce avec la Russie, tout en ayant la prudence d’avoir mis en place une présidente hostile aux russes et une politique étrangère non-alignée.
Les Ukrainiens, eux, mettent donc de l’huile sur le feu. Ils mènent des actions de sabotage en Russie. D’abord ils ont réussi une opération aérienne avec 2 hélicoptères qui se sont faufilés pour détruire un stock d’essence près de Belgorod et puis des tas d’autres petites choses comme cela menées au sol et ainsi de suite. De même, il y a eu quelques tirs sur la Biélorussie qui fait semblant de ne pas les voir parce qu’elle ne veut pas, en fait, être impliquée. Tout cela est déjà un risque majeur et les Russes ont annoncé que vis-à-vis de ce genre de choses, ils pourraient se mettre à viser des centres de décision et de commandement, y compris à Kiev. Le deuxième élément inquiétant de surenchère des Ukrainiens, c’est d’avoir tiré sur le vaisseau amiral de la flotte de la mer noire, un vieux croiseur lance-missiles ce qui ne se fait plus guère comme format. Mais c’est quand même symptomatique d’avoir tiré des missiles dessus dont ils prétendent que ce sont des missiles ukrainiens, mais on pourrait aussi penser aux missiles US qui leur ont été promis par le premier ministre britannique B. Johnson. Le Pentagone, pourtant informé en temps réel de ce qui se passe dans les airs en Ukraine, a mis plus de 24h à choisir de conforter la thèse ukrainienne. Ce qui indique qu’il avait lui aussi un doute…
Donc là aussi il y a une volonté de déclencher l’escalade. Il y en avait d’ailleurs eu un précédent dès le début de la guerre avec un missile TU 141 qui était parti d’Ukraine vers ZAGREB et qui est tombé tout près du centre-ville, en banlieue, par chance sur un parking, n’ayant fait comme victimes qu’une centaine de voitures. Ce qui avait comme raisonnement de vouloir impliquer l’OTAN en montrant que les Russes avaient tiré vers l’ouest. En fait, avec un vieux missile d’observation de l’époque soviétique bricolé par les Ukrainiens avec une tête explosive. La volonté de faire des opérations de provocation vers l’escalade des Ukrainiens est bien établie.
Un souci inattendu pour le président ukrainien.
L’Ukraine a également un problème avec l’extrême droite. Qui est le régiment néo-nazi Azov. Il est pour moitié encerclé dans Marioupol et donc à la limite, cela arrange le gouvernement qu’il se fasse massacrer par les Russes qui eux-mêmes sont contents d’avoir de vrais nazis à montrer. L’autre moitié des troupes d’Azov était du côté d’Irpin, au nord-ouest de Kiev. Et là, il y a eu un souci pour les uns et pour les autres. Parce que politiquement pour Azov, c’était de montrer qu’ils défendaient la capitale. Du point de vue du gouvernement, c’était que si les Russes les massacraient, c’était bon débarras. Mais malheureusement pour le gouvernement, les Russes se sont repliés et ces troupes d’extrême droite ont transformé leur présence à Irpin en victoire et ont donc un écho considérable dans le pays qui fait croître encore leur influence, ce qui est en quelque sorte raté du point de vue de l’opération de nettoyage de se débarrasser de leur composante néonazie pour les Ukrainiens. Cela va donc rester pour eux un problème puisqu’ils n’ont pas pu s’en débarrasser militairement, mais surtout parce que l’écho politique de ces gens-là s’est encore accru, faisant un héros national de S Bandera, pogromiste multi-ethnique : Quand il n’est plus resté de juifs à massacrer, ses troupes s’en sont pris aux polonais.
Il y a une autre opération de provocation des Ukrainiens, c’est de se mettre à décider quel politicien ils acceptent ou pas chez les occidentaux, en particulier à donner des leçons aux Allemands en refusant la visite du Président de la République fédérale. Du point de vue du fonctionnement allemand, c’est quelque chose qu’ils vont garder en travers de la gorge. Après avoir annoncé qu’ils allaient mettre des moyens considérables, à avoir commencé à passer pas mal de matériels, que les Ukrainiens viennent leur expliquer qu’untel c’est bien, mais untel ce n’est pas bien, va probablement mal passer et cela peut aussi conduire à des surenchères ou à refroidir l’ambition allemande de se passer de gaz russe et à des tentatives de division de la part des Russes.
Ensuite, les Russes sont une armée très lente d’une part, et d’autre part la météo n’est pas encore favorable aux grandes offensives. Il y a la boue, la raspoutitsa avec le dégel, et pour l’instant les Russes ne se sont dépliés, dans leur première phase et dans leur seconde phase, que sur les axes routiers, avec le problème à Izium par exemple de ses ponts. Puisque construire un bout de route et un pont pour contourner, ils n’ont pas mis cela au programme en ayant comme raisonnement soit de passer par la vraie route pour l’instant, soit d’attendre que l’on puisse se passer des routes pour se répandre dans le pays à travers les plaines quand elles seront sèches. De ce point de vue, tout ce que l’on entend sur le 9 mai, date indispensable pour les Russes, n’est qu’en partie vrai parce qu’ils font durer Marioupol pour pouvoir disposer d’un évènement de capitulation comme lot de consolation. Il n’est pas sûr qu’ils déclenchent l’offensive du Donbass aussi vite qu’il est annoncé, ils vont tester. Si ça passe, ils iront. Mais s’il faut une opération majeure, je pense qu’ils attendront encore un petit mois que le terrain devienne sec.
Tout cela est donc dangereux et pour l’instant, et pour nos élections présidentielles, les candidats peuvent continuer à vendre la lune et la croissance sans se rendre compte que les sanctions, si on choisit de les mettre en œuvre réellement, ce sont surtout les européens et donc nous qui allons les payer. Ils vont secouer les pays occidentaux à la mesure de leur solidité ou de leur fragilité. Les pays comme l’Allemagne ou la Hollande qui tiennent relativement bien supporteront mieux que nous ou que des pays « plus à la traîne » dans le peloton européen. Là aussi, soit nous allons le payer très cher, soit il va y avoir une différentiation et les sanctions qui ne vont pas, si elles sont parties pour durer des années, pouvoir être appliquées de la même façon par les uns et par les autres. Les Russes peuvent ainsi avoir la grande tentation d’appuyer sur ces lignes de faille et donc de pousser à une escalade, y compris une escalade militaire de façon à impliquer et à faire payer ceux qui sont les plus va-t-en-guerre tout en favorisant les autres. Pourtant les Russes ayant encore rappelé que les convois et les envois de matériel occidentaux étaient des cibles légitimes, y compris quand elles sont assurées par les Américains ou les Occidentaux, n’ont pour l’instant tenté de détruire aucun convoi. Même celui des 48 missiles S300 slovaques pourtant transféré quasiment avec tambours et trompettes en un seul train. S’ils considéraient que le moment est venu de le faire, il y aurait là un risque majeur d’escalade.
Si les Russes dans la deuxième phase ne remplissent pas immédiatement leurs objectifs complets, c’est-à-dire tout le Donbass, la volonté des Russes sera d’éviter qu’en face on s’engage dans une guerre de tranchée pour des années, et pour cela, ce serait de faire sentir le poids que causerait une guerre longue sous forme d’une montée, d’une escalade, des conséquences pour l’occident, qu’elles soient économiques ou matérielles, y compris sur l’aspect conflit. Évidemment, on peut soit envoyer des missiles, soit faire des sabotages électroniques ou informatiques pour gêner les infrastructures. D’autant que par exemple, même en Ukraine, pour l’instant, là aussi, la destruction totale des infrastructures ferroviaires et énergétiques n’est pas faite, sans doute parce qu’il s’agit d’un niveau d’escalade qui est gardé en réserve. Donc comme vous le voyez, il y a de nombreux risques d’escalade et non pas une situation à peu près stabilisée comme beaucoup l’imaginent.
Merci, JC, de nous avoir proposé cette photographie complète de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. On aura certainement l’occasion d’y revenir dans de prochaines chroniques d’actualité, malheureusement. On retrouve plus d’informations sur votre blog jhmcohen.com. À très bientôt Professeur !
À très bientôt.