Jacques HM Cohen 7/10:2022
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La chronique d’actualité aujourd’hui avec le professeur Jacques Cohen. Bonjour Jacques !
Bonjour !
Vous voulez nous parler de la guerre en Ukraine en vous appuyant sur un article du New York Times paru récemment. Peut-être que tous nos auditeurs sur RCF n’ont pas accès au New York Times, c’est quoi cet article, JC ?
D’abord, ils le trouveront sur mon blog, donc tous les auditeurs peuvent avoir accès au New York Times à travers mon blog : jhmcohen.com
Absolument. Cet article est quelque chose d’extrêmement inhabituel. Dans le langage codé habituel du gouvernement et du New York Times, c’est un article qui émane d’un officiel important, autrement dit, il a au moins un rang de secrétaire d’État ou de responsable du conseil de sécurité auprès du Président. Cet article qui donne l’opinion de la « communauté du renseignement », comme on dit pudiquement, est un article extrêmement ferme et de menace. D’abord, c’est un article qui commence par dire que ce sont les Ukrainiens ou du moins certains cercles du pouvoir ukrainien qui ont fait exploser la voiture et tué la jeune DOUGUINA, la fille du philosophe DOUGUINE. Philosophe d’extrême droite, certes, mais qui n’a jamais tenu une arme de sa vie et quant à elle, encore moins. C’était une propagandiste nationaliste liée à l’extrême droite, mais jusqu’à présent, ce n’est pas une cause de peine de mort instantanée.

Une escalade d’assassinats ciblés de chaque côté ?
Bien évidemment, c’est un assassinat que les Ukrainiens ont récusé, ils ont dit que ce n’était pas eux. Donc déjà dire en public que son allié, voire son protégé est responsable d’un assassinat qu’il nie, cela fait déjà bizarre. Qui plus est, l’article généralise plusieurs exemples, sans les détailler, en disant que la politique de provocation et d’assassinats ciblés en Ukraine et en Russie est – c’est assez rare d’entendre ça – un dangereux aventurisme. Dans la bouche de responsables américains parce que je vous répète qu’il ne s’agit pas de partis qui ont eu des faiblesses ou des complaisances par rapport à POUTINE qui disent cela. Il est dit également que certes, ZELENSKY est protégé, mais que si les Russes s’aventuraient à vouloir abattre d’autres dirigeants, ils pourraient le faire. C’est ambigu comme terme, cela veut dire que techniquement ils peuvent et cela veut dire aussi que là, on fermera les yeux. D’autres opérations de sabotage et d’actions militaires sur le territoire Russe ont déjà eu lieu, que les Russes ne mettent pas en vitrine parce que ce serait reconnaître la force de leurs adversaires et surtout que pour l’instant ils n’ont pas décidé d’escalade. Les Russes ont refusé l’escalade à ces provocations. Les Américains sont très inquiets parce que la tactique ukrainienne et accessoirement polonaise et des Pays baltes c’est de vouloir aller à Moscou, mais pour cela il faut une guerre totale. Pour cela, il faut arriver bien évidemment à mouiller au-delà de l’Ukraine comme fantassins, donc que l’OTAN soit engagé, donc de faire en sorte de chatouiller les Russes jusqu’à ce qu’ils fassent une nouvelle bêtise suffisante pour que l’OTAN et donc les Américains n’aient pas le choix que d’accepter la surenchère.
Donc, cet article est là pour dire, comme je l’avais dit dans mon blog la semaine dernière, qu’il y a 2 lignes et que les Américains ne sont pas sur celle d’envahir la Russie. Alors vous allez me dire que dans ce cas-là, tout va bien dans le meilleur des mondes ou presque. Tout le monde est d’accord pour que les Russes soient contraints de se retirer de l’Ukraine et tout ira bien, et bien non ! Parce que malheureusement, les Ukrainiens ont une tactique très simple, mais redoutablement efficace qui est celle de la dissuasion du faible au fort. « Je suis comme je suis et vous êtes contraint de me soutenir, que ce que je fais sans vous le dire vous plaise ou pas. » Donc les Américains sont là-dessus très ennuyés et là, la menace c’est qu’avec 2 ou 3 assassinats, cela calmera peut-être les Ukrainiens, mais rien n’est moins sûr.
Mais attendez JC, dans cet article, est-ce que tout est clair ou est-ce qu’il y a quand même des sous-entendus ? Parce que d’après ce que vous nous dites, il y a quand même des choses assez bizarres.
C’est un langage codé et rituel, mais qui se décode quand on a les clés sans difficulté. Vous le regarderez vous-même, vous comprendrez que les Américains ne vont pas dire qu’ils vont laisser les Russes tuer des responsables ukrainiens si les Ukrainiens continuent à tuer des Russes en Russie, mais il ne faut pas une boule de cristal pour le comprendre.
Mais ce n’est pas le seul problème que les Américains ont sur le dos. Ils ont sur le dos l’histoire du Pipeline dont on ne sait toujours pas qui l’a fait sauter. La thèse complotiste tordue est que les Russes ont fait sauter leur propre Pipeline, alors que comme je l’ai dit la semaine dernière, ils n’y avaient aucun intérêt. Une autre possibilité est que les Américains aient miné ce Pipeline de très longue date, parce qu’on ne sait jamais, mais que quelqu’un ait trouvé le moyen d’aller faire sauter ces charges et là, il faut beaucoup moins de moyens pour ça que pour poser les charges elles-mêmes. Évidemment, les Américains ne vont pas expliquer dans le New York Times qu’ils se sont fait avoir si cette hypothèse est vraie. C’est une hypothèse qui n’est nullement prouvée, mais qu’elle puisse être formulée – même si elle n’est pas écrite dans le New York Times cette fois-ci – indique déjà dans quel type de situation on se trouve et en particulier, il y a un forcing pour que les Russes n’aient pas accès au site des explosions, chacun accusant l’autre de vouloir tripoter les preuves. Ce n’est pas le seul sujet où les Ukrainiens et leurs alliés ont une tactique de fait accompli.
Ça veut dire qu’il y a d’autres exemples ?
Oui. Indépendamment des bombardements, des assassinats ( par voitures piégées ou par empoisonnement ) ou des actions de sabotage et de destruction en territoire russe, ce qui, sur l’aspect militaire, peut quelquefois être « explicable » ou du moins être une logique, quand il s’agit d’actions qui ne sont pas connectées avec les voies logistiques de l’invasion de l’Ukraine, on change déjà complètement de domaine. En revanche, les autres actions sont des actions politiques qui, elles aussi, vont vers la politique de guerre totale. Il y a 2 cas : c’est l’affaire des ambassadeurs. Les Ukrainiens ont des ambassadeurs qui sont très peu diplomates, si l’on peut dire. L’ambassadeur d’Ukraine en Allemagne a traité un haut dirigeant de « vieille saucisse » et récemment sur son blog, il a d’ailleurs expliqué à Elon MUSK dans des termes tout à fait crus qu’il pouvait – vous m’excuserez pour l’antenne – « aller se faire foutre » alors qu’il faut rappeler quand même que MUSK a fourni tous les STARLINK indispensables aux liaisons ukrainiennes sur le front, mais comme il a proposé un plan de paix et que cet ambassadeur ne veut pas la paix, il lui dit d’aller comme je vous l’ai dit précédemment, mais ce n’est pas le principal fait d’armes de cet ambassadeur. Il a défendu mordicus que Stéphane BANDERA, leader des forces armées ukrainiennes liées à l’axe hitlérien pendant la Seconde Guerre mondiale, était quelqu’un de très bien et c’est chez les Polonais que cela a fini par faire des vagues parce que quand les troupes de BANDERA ont fini de liquider les juifs, faute de juifs ils se sont mis à tuer du Polonais – ils en ont tué 10 ou 20 000 – pour les faire dégager des zones qu’ils voulaient annexer. Donc les Polonais non plus ne peuvent pas tolérer que l’on dise du bien de BANDERA. Les Polonais ont exigé sa peau, du moins son poste. ZELENSKY a dit « bon, il dégage ! » et finalement, il est toujours là c’est-à-dire qu’il n’est officiellement plus là, mais il est toujours là, personne n’a été nommé pour le remplacer. On va voir si les polonais se laissent faire ou maintiennent leur exigence.
JC, rapidement, qu’est-ce que l’on doit conclure de tout cela ?
Il y a un deuxième exemple du même genre qui est celui du Kazakhstan.
Très rapidement.
L’ambassadeur au Kazakhstan a dit que la politique de l’Ukraine était de tuer le maximum de Russes pour que ses enfants en aient moins à tuer plus tard. Là, c’est le gouvernement kazakh qui a dit que ce n’étaient peut-être pas des propos pour un diplomate et a demandé son remplacement. Et là, rebelote. Le type est censé être viré, mais il est toujours en train d’assurer son propre intérim indéfiniment. Donc ce que l’on a comme conclusion de cette situation c’est que très nettement, les États-Unis font savoir qu’ils ne veulent pas l’escalade au-delà des frontières de l’Ukraine et très pratiquement, les Ukrainiens disent qu’ils n’en ont rien à foutre et qu’ils arriveront bien à faire quelques provocations et à exciter les Russes pour que les choses s’embrasent et s’enveniment. Alors, est-ce que les Américains peuvent aller jusqu’à cesser de transmettre du renseignement, ce que les Ukrainiens payeraient cher et immédiatement ? Non parce que les Américains savent que dans ces cas-là, les Ukrainiens vont perdre énormément de monde et de matériel et qu’ils ne seront plus en état d’une pression sur les zones occupées qui pour l’instant a l’air de se passer convenablement du point de vue de la sortie d’Ukraine des Russes. Donc les Ukrainiens sont à peu près tranquilles et jouent une politique risquée soit de sang-froid, soit parce qu’ils sont un peu frappés, si vous me permettez l’expression, et tiennent à pouvoir continuer à exciter les Russes et trouver des provocations permettant une escalade parce qu’ils veulent aller à Moscou.
Faut-il rappeler qu’on sait depuis la révolution française, et le dernier exemple est ukrainien, qu’on n’apporte pas la liberté au bout du fusil et que de bombarder les gens est la meilleure façon de s’en faire détester. Entrer en Russie ne peut que souder les peuples de la fédération de Russie et ne laisser d’issue que par la destruction du pays à un prix considérable. Seuls les russes peuvent se débarrasser de VV Poutine.
Merci JC de nous avoir éclairés. Pour plus d’informations, on renvoie vers votre blog jhmcohen.com. À très bientôt professeur !
À très bientôt !