Gazoducs Nord Stream : à qui profite le crime ?

Jacques HM Cohen  30 09 2022

Sur les ondes de RCF: LIEN

Avec nous le professeur Jacques Cohen, bonsoir !

Bonsoir Thierry !

La thématique de votre chronique ce soir, gazoducs Nord Stream, à qui profite le crime ?

En effet, on ne voit aucune revendication, mais des imputations des uns et des autres disant « c’est l’autre qui l’a fait ». Avec des raisonnements plus ou moins complexes ou tordus aboutissant à ce qu’une bonne partie de l’opinion publique occidentale considère que ce sont les Russes qui ont saboté leurs propres gazoducs.

Moi, je préfère utiliser des raisonnements simples et le premier est : à qui profite le crime ?

nageurs de combat

Nageurs de combat. Une façon parmi d’autres de poser des charges au fond de l’eau…… Photo d’illustration avec des nageurs français !! Ce ne sont pas les coupables en mer Baltique…

« Is fecit cui prodest» est une vieille règle judiciaire et policière, et de ce point de vue, on peut constater d’emblée que sur tous les aspects, la destruction des deux gazoducs est défavorable aux Russes. En effet, Poutine avait la main sur le robinet qu’il avait fermé pour Nord Stream 1, et Nord Stream 2, c’était les Américains qui avaient fait pression pour qu’il ne soit pas mis en service. À partir du moment où les 2 sont détruits, par définition, il ne peut pas rouvrir le robinet. Donc il y a un grand élément de négociation ou de chantage, selon le point de vue, qui est perdu pour lui.

Accessoirement, ces gazoducs sont un investissement sérieux de 8 ou 10 milliards chacun. Il s’agit pour le second de 1200 kilomètres de tuyaux sous l’eau ce qui quand même n’est pas négligeable. Il faut se rendre compte aussi de qui a immédiatement accusé les Russes c’est-à-dire les Ukrainiens et les Polonais qui en même temps sont ravis de la destruction, il y a un petit hiatus. En effet, les autres gazoducs vers l’ouest passent tous, soit en Pologne soit en Ukraine. D’ailleurs, actuellement, le paradoxe c’est que les Ukrainiens sont toujours servis en gaz par les Russes. Il y a un certain nombre de choses dans les embargos qui sont un peu compliquées, par exemple le titane ou les diamants industriels, on y reviendra un jour.

A la frontière ou à Moscou ?

Mais du point de vue des Polonais, cette destruction est un élément crucial, car les Polonais, les Baltes et les Ukrainiens sont sur une ligne qui n’est pas celle des autres occidentaux et qui n’est pas majoritaire aux États-Unis pour l’instant. En fait, il y a 2 lignes dans cette guerre : la ligne qui est de raccompagner – si je puis dire, même si c’est à coup de pied au cul – les Russes à la frontière et l’autre ligne qui est d’aller à Moscou. C’est-à-dire détruire la Fédération de Russie militairement, économiquement et forcément politiquement. Les pays qui sont sur cette ligne auront un jour ou l’autre inéluctablement une ligne de faille avec les autres comme l’Allemagne, la France et pour l’instant les États-Unis. Un des éléments de chantage ou de pression considérable dont vont disposer les pays jusqu’au-boutistes c’est justement qu’ils contrôlent les entrées de personnes entre la Russie et l’occident et les fameux gazoducs restants qui existent toujours et qui débitent ou peuvent débiter de façon non négligeable. C’est en fait un moyen de pression de leur part vis-à-vis surtout de l’Allemagne. C’est donc quelque chose d’assez spectaculaire que l’on puisse accuser les Russes de s’être tiré 2 balles dans le pied, alors que cette fois-ci, je ne les crois pas en cause.

L’armée russe comme l’armée française de 1870 !

Il y a un autre aspect qui compte et qui a probablement déterminé le timing de cette affaire, ce sont les faiblesses de l’Armée rouge… L’Armée russe, excusez moi. Voyez, le lapsus est tout à fait significatif. L’Armée russe, héritière de l’Armée rouge, s’est modernisée en armée de corps expéditionnaire et l’on s’aperçoit qu’elle est absolument incapable de gérer une guerre classique que l’on dit de nos jours de haute intensité. Une armée de corps expéditionnaire intervient sur un terrain limité avec une sanctuarisation de sa logistique et de ses bases. Là, on n’est pas du tout dans le même cas. On peut faire un parallèle d’ailleurs, même s’il ne sera pas très détaillé aujourd’hui, c’est l’Armée française de 1870 qui avait mené des expéditions extérieures, dont par exemple la guerre de Crimée en 1854 qui, sur ce standard, était tout à fait au point. Elle avait même une arme nouvelle manquant à son adversaire, la mitrailleuse, mais dont la doctrine d’emploi était totalement erronée. « Il ne manquait pas un bouton de guêtre », disait le ministre de la Défense Le Bœuf. Tandis que l’armée prussienne, elle, n’avait mené qu’une seule guerre, mais de haute intensité qui s’était terminée en 3 semaines contre l’Autriche en 1866 avec une victoire à Sadowa.

Donc là, on voit l’inadéquation de l’Armée russe à son ambition cette fois-ci d’une guerre classique victorieuse en Ukraine qui est d’ailleurs un objectif de substitution puisqu’au départ, c’était une armée de pression pour un effondrement du régime politique ukrainien.

Mobilisation chaotique

On voit également, pour la mobilisation, une pagaille considérable. A vrai dire, elle est de l’ordre de celle de la pré-mobilisation de notre service de santé civil pour la guerre du golfe, ressortant des plans de la guerre froide, mettant par exemple en action des hôpitaux disparus.

La mobilisation en Russie ne dépend pas de l’armée, elle dépend d’un organisme j’allais dire civil, d’une autre structure administrative et cette structure était complètement ensablée parce que personne n’y croyait depuis des siècles et des siècles. En plus, non seulement on l’a remise en action, mais on lui a demandé non pas de réaliser ce qui était encore dans les cartons, c’est-à-dire une mobilisation générale, mais une mobilisation partielle sur critères sélectifs, et cette structure en est complètement incapable ce qui aboutit à une pagaille noire en mobilisant tout le monde dans un coin, ceux qu’il ne faut pas dans d’autre, etc. Ce sont des ratés qui ne doivent pas faire oublier qu’une fois qu’ils seront surmontés, cela donne une masse tout à fait sérieuse, mais qui ne sera pas militairement disponible avant 1 an à 18 mois. Cela ne résout pas le problème de l’Armée russe en Ukraine pour cette année et pour l’année prochaine. Et l’ambition politique d’annexion qui est proclamée maintenant rencontre un hiatus. Poutine annexe des régions dont il n’occupe pas la plus grande partie ou la partie vitale, sans compter l’offensive actuelle ukrainienne qui va continuer à progresser et qui va amputer une partie de l’Oblast de Louhansk et paralyser l’occupation de la partie restante de l’Oblast de Donetsk.

Pas plus de solution politique par les chars ukrainiens que par les chars russes

Donc comme toujours, quand les gens remplissent mal leurs objectifs, il y a des difficultés politiques qui en ressortent et c’est là-dessus que l’on devrait focaliser l’attention et les actions plutôt que sur une escalade qu’envisagent allègrement des jusqu’au-boutistes – j’appelle ainsi le camp des gens qui veulent aller à Moscou – qui eux, puisque les Américains ne livrent pas d’armes à longue portée, vont probablement tenter un peu leur chance d‘obtenir cette escalade, aller vers des sabotages ou actions de commandos hors d’Ukraine voire en territoire de la Fédération de Russie pour gêner son économie et son effort de guerre. Mais aussi dans un but d’escalade. En effet, le seul raisonnement réaliste des jusqu’au boutistes, c’est qu’il ne peuvent arriver à leurs fins qu’en impliquant les pays de l’otan, donc les USA dans leur offensive.

Pourtant, on sait depuis la révolution et les guerres napoléoniennes qu’on ne peut apporter la liberté à la pointe des baïonnettes. C’est toujours vrai en Ukraine ou en Russie. Seuls les russes peuvent se débarrasser de VV Poutine après la faute monumentale qu’il a commise en s’engageant dans cette guerre.  Toute action indistincte contre la Russie, ne peut que contribuer à sa survie politique.

Nous verrons cela une autre fois.

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