Reims, le pont Charles de Gaulle, un pont pour rien ?

JHM Cohen 2 12 22

Sur les ondes de RCF: LIEN

 

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques COHEN. Aujourd’hui, on s’intéresse à la ville de Reims. On a appris dans la semaine, JC, que le pont Charles de Gaulle qui date de l’urbanisme des années 70 allait être détruit. JC, quel est votre regard sur cette actualité ?

C’est assez impressionnant parce que ce pont sert peu, on verra tout à l’heure pourquoi et quelle est son histoire, mais détruire un pont sous prétexte qu’il ne sert pas c’est quand même assez ahurissant, car il s’agit de ne rien mettre à la place, sauf une passerelle pour piétons. Cela ressort d’un raisonnement qui se continue qui est de réserver le centre de Reims aux bobos et à la maison de retraite de leurs parents. On a déjà la zone de faible émission qui raisonne ainsi et il s’agit à nouveau de créer un espèce de condominum, comme on dit, au Brésil ou aux États-Unis, c’est-à-dire une réserve pour riches et les autres n’ont pas à y entrer.

On doit quand même se poser la question, non pas jusqu’où cela peut aller. Puisque cela va jusqu’à la disparition pure et simple de l’activité économique de la ville, car ce ne sera plus la peine d’avoir une activité économique, déjà l’industrie dans le centre-ville, ce sera totalement impossible, les maisons de Champagne même sont parties ou mettent leurs usines hors de la ville et pour le reste, cela va continuer pareillement. C’est un raisonnement, une petite ville du tertiaire qui vit justement sur le fait d’être centre commercial du Champagne et de l’agroalimentaire et pour le reste, ce n’est pas la peine, en laissant comme laissées pour compte – c’est le cas de le dire – les populations vestigiales, des quartiers du développement du temps où Reims avait une ambition. En plus, cette attitude décliniste est habillée de nos jours d’un vernis vert de décroissance qui n’est que la version idéologique du malthusianisme et du renoncement. De ce point de vue, c’est totalement lamentable. Accessoirement, ce pont qui ne sert pas aurait pu servir un jour, justement à un transport en commun, si l’on s’aventure à dire qu’il faudrait faire un circulaire cadencé sur voie propre qui prenne tout l’hypercentre, de la place de la République à la place des droits de l’Homme en passant par le boulevard de la Paix ou le quai Paul Doumer de l’autre côté. Donc là, on enlève ce pont, cela permettra aussi que si l’on envisage un circulaire, on ne saura pas comment le faire déboucher à mi-parcours puisque le pont de Venise est saturé et le Pont-de-Vesle, n’en parlons pas, avec le tram qui bouche une partie des voies. Quant aux arguments du genre « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage », on nous dit que ce pont Charles de Gaulle est en mauvais état, ce qui est complètement faux. Et si on tient à une passerelle pour piétons, avec quelques pots de fleur et platebandes vertes, le pont Charles De Gaulle peut très bien faire l’affaire. 

Mais alors, JC, si on suit votre raisonnement, ce pont Charles de Gaulle qui ne sert pas, pourquoi on l’a construit ?

C’est une très bonne question parce qu’il s’agit du rattrapage entre le télescopage de plusieurs plans qui étaient contradictoires. D’abord, ce pont Charles de Gaulle devait déboucher sur une grande zone commerciale moderne, un peu comme La Part-Dieu à Lyon, un énorme truc, il devait y avoir dans les 80 000 m² de parking alors qu’il y en finalement juste 7000 avec le parking Jadart, et une transformation complète de la ville, dont il y a un vestige qui sont les chalets à l’Avoriaz, c’est-à-dire la rénovation de logements sur la zone de Saint-Remi. Tout le reste du quartier devait être transformé et il ne devait pas seulement y avoir de l’habitation, mais toute une zone d’activité et ce pont n’est donc que le vestige de l’entrée vers La Part-Dieu qui n’existe pas à Reims.

 

Évidemment, on peut dire « on efface tout et on recommence », mais on n’est efficace que quand on a quelque chose à faire, quand on a une idée de développement. S’il s’agit d’effacer simplement pour dire que l’on coupe les ponts, c’est le cas de le dire, cela parait toujours stupide. Au départ, il y a déjà eu dans les années 50 une très grosse discussion et deux options, dont une ressemble finalement à ce que la municipalité a actuellement en tête. C’est le Maire René Bride qui ne voulait pas que Reims dépasse les 140 000 habitants et qui voulait un développement à l’intérieur du périmètre historique, mais pas trop. D’abord, il fallait une densification, parce qu’il restait et il reste toujours pas mal de dents creuses de la reconstruction inachevée d’après la Première Guerre mondiale, et pour le reste, il ne fallait pas aller trop loin. Avec un petit vernis social, on va faire un peu de logements sociaux là-dedans quand même, mais en gros, il ne faut pas que Reims ne se développe trop. Puis, Bride a été jeté, quelque chose de très rare, c’est un Maire qui n’a pas fini son mandat. Les forces économiques et politiques réelles de la ville voulaient un développement de la ville et Bride s’est fait jeter par sa propre majorité, et les forces économiques qui tenaient par exemple les offices d’HLM ont construit les quartiers que vous connaissez comme Orgeval, Wilson ou Croix Rouge et après une péripétie, c’est Jean Taittinger qui a été leur porte-parole d’une politique de développement de la ville. Développement de la ville avec des satellites – la ville devait atteindre 400 000 habitants en 2000 – projet qui a été tué par deux choses : d’une part par la crise des années 70 (première crise du pétrole) et d’autre part par la victoire dans la bourgeoisie locale du courant que l’on voit à l’œuvre actuellement, c’est-à-dire le courant du renoncement du « vivons peinards sur nos rentes de situation » et le reste a été exilé de l’autre côté de la Vesle « qu’ils y restent et qu’il y moisissent puisque de toute façon, il n’y a plus de travail pour eux ». Ceci est assez impressionnant. Il faut revenir aussi là-dessus, sur le fait que Reims est la capitale des plans avortés. Il y a le plan Camelot dont je vous ai parlé à l’instant qui consistait à rénover complètement le quart de la ville, il y a aussi le plan Rotival sur les développements ultérieurs des choses périphériques, mais on a à Reims ce développement en cocarde où il y a toujours eu ce problème de liaison entre ces choses parachutées en périphérie et le centre. Cela s’est accru par le fait que la ville s’est développée sans banlieue, elle a un chapelet de villes périphériques, ce qui permet aux gens de loger à la campagne et de travailler en ville, et c’est un développement relativement harmonieux qui est en train d’être saboté d’abord par les coûts des transports, puis par les difficultés que l’on crée pour que ces transports deviennent impossibles. L’idée est qu’il suffirait de faire revenir les pauvres qui ont acheté des pavillons ou des maisons à la campagne – dont la valeur va s’écrouler puisque les difficultés de transports font qu’on ne pourra pas y rester –, il n’y a qu’à les mettre dans les anciennes zones des années 70 rénovées. Elles n’ont pourtant jamais été conçues pour que leurs bâtiments durent plus de 30 ou 40 ans. Ils avaient été construits comme Croix Rouge pour résorber des bidonvilles, il faut tout de même se rappeler cela, et pas pour être des bâtiments durables. Donc on refait les façades, on entasse là-dedans les classes laborieuses, à proximité de leur travail. Cela peut être plus ou moins saupoudré de préoccupation écologique ou sociale, mais c’est objectivement une politique de destruction économique qui est malheureusement très, très bien entamée et à laquelle mes petits camarades de Gauche ne s’opposent pas compte tenu du vernis écologique diffusé là-dessus. C’est encore une fois une écologie non scientifique, car l’écologie c’est de faire attention à ne pas gaspiller bien sûr, à diminuer l’impact sur le réchauffement climatique, mais cela ne consiste pas à vouloir retourner chez les Amish, comme j’ai pu l’entendre dire par certains. Ni à créer des réserves à riches en interdisant l’accès au centre ville, espace réservé, comme les codominiums brésiliens ou aux USA.

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Codominium brésilien cerné par une favela au pied de son mur d’enceinte infranchissable..

JC, on vous remercie pour cet éclairage sur le pont Charles de Gaulle. On avait encore pas mal de questions pour vous, mais le temps est toujours compté sur l’antenne de RCF, notamment quelles solutions, vous, vous préconisez. Pour avoir toutes ces réponses, d’ici quelques heures ou quelques jours, on donne rendez-vous à nos auditeurs sur le blog avec plus de détails : jhmcohen.com. À très bientôt Professeur !

Un peu d’histoire de Reims….

Le plan de la reconstruction après 1918, le plan Ford finit en queue de poisson dans les années 20 quand l’Allemagne cesse de payer les réparations de guerre et surtout, ruinée, n’achète plus rien. Les axes de percées pour relier le centre ville à l’extérieur sont inachevés, comme la cité jardin de Maison Blanche, dont l’axe central regarde la cathédrale mais reste coincé entre la voie de chemin de fer et un terrain de foot, avec une large avenue reconvertie en terrains de pétanque. Elle pourrait accueillir les championnats du monde ! Reims ne récupère sa population d’avant 1914 qu’au cours des années 50.

René Bride, les plans Camelot et Rotival

René Bride, pharmacien, rentre en politique sous Vichy dans l’action sociale catholique du régime. Le terme ne doit être compris au sens contemporain. Ce n’est pas la théologie de la libération  de Camillo Torres ! Il s’agit d’un courant très à droite prônant l’assistance aux ouvriers obéissants et le retour à la maison des femmes dont la place est au foyer à faire et s’occuper des enfants. Ce courant déplore que les femmes travaillent et veut que cela cesse. Vichy aura même la velléité de programmer le licenciement des fonctionnaire féminines avant que la réalité du moment ne ramène sur terre. R Bride finira par être maire dans les années 50 concrétisant l’alliance du MRP, du Centre des Indépendants Paysans, des anciens radicaux, des anciens vichystes et du RPF qui a Reims avait été vite confisqué au Général De Gaulle par les précédents. Une belle et large majorité, mais qui va le lâcher car se souvenant de P Marchandeau, il avait crû que le maire pouvait décider de la politique sérieuse de la ville: son urbanisme et son avenir économique. R Bride va défendre une vision hostile à une trop grande croissance de la ville et de la limiter dans son enceinte historique du 16éme siècle ou peu s’en faut. En comblant les dents creuses de la reconstruction interrompue des destructions de la première guerre mondiale. Ses adversaires vont au contraire proposer de rénover le centre ville  comme épicentre d’une agglomération visant les 400 000 habitants. Il faut se souvenir pour comprendre la divergence des trajectoires que Reims, Nantes et Montpellier étaient équivalentes en 1960 ! Et si Reims s’enorgueilli d’être la 12 éme ville de France, elle n’est en fait que la 29 éme agglomération. Hors de la taille critique retenue pour les métropoles, faute d’intégrer les 2 autres pôles urbains Epernay et Chalons en Champagne. Cette dernière cité étant toujours préfecture quand sous J Taittinger, les travaux de la nouvelle cité administrative rémoise pour son déplacement avaient commencé. Il en reste un chateau d’eau sans eau, comme ruine vestigiale… Le plan urbain « intra-muros » sera abandonné et limité aux habitations du quartier saint Remi et du front P Doumer ainsi qu’à quelques bâtiments publics: rectorat, sécurité sociale, cour d’appel,.. abandonnant tout le secteur commercial prévu. Dont le pont Charles de Gaulle était le diffuseur vers le parking souterrain. Pourquoi les « développeurs » victorieux de R Bride n’ont pas poursuivi leur projet jusqu’au bout ? Parce qu’ils avaient priorisé la construction des zones périphériques et que les grandes surfaces sont apparues, la première dans l’une d’elle à Tinqueux, signée de l’architecte Claude Parent. Et que l’opposition sourde et patiente de la bourgeoisie du  Champagne et du repli, la fin des 30 glorieuses  et la crise économique des années 70 ont réduit leur ambition à 200 000 habitants en 1980. Ce qui fut tenu. Et non plus 400 000 en l’an 2000. Pour être sûr d’en finir avec tout développement sérieux, au départ de J Taittinger, la bourgeoisie locale accepta très bien une mairie de gauche à majorité communiste, gage que le pouvoir central mettrait la ville au pain sec, loin des prodigalités comme l’autoroute urbaine et autres financements nationaux obtenus par J Taittinger. La municipalité post Taittinger va lancer un plan de circulation divisant le centre en 4 quarts délibérément isolés par de savants sans interdits, vers une grande zone piétonnière qui dans son esprit passait par un large développement des transports en commun, fief de la CGT à l’époque, qui fut entrepris mais stagna vite laissant une mer des Sargasses sans desserte. La mort commerciale des 2 secteurs sud de l’avenue Libergier fut rapide, tandis au nord les 2 autres secteurs commençaient à se racornir par leur périphérie, bas de la rue de Vesle d’un côté, Est du boulevard Lundy de l’autre. Pour aboutir à la situation actuelle d’une étroite bande active entre la place d’Erlon et la place du Forum. Cette dernière étant la place centrale de boboville.

Le tout aboutissant à un centre ville emprisonné dans l’équerre du canal et de la voie ferrée. Et de nouveaux quartiers, plaques isolées du centre et les unes des autres, cités dortoirs, portant en germe les ghettos qu’ils sont devenus. 

À très bientôt !

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