JHM Cohen 12 1 2023
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité avec le professeur Jacques COHEN. Jacques, bonjour !
Bonjour !
On va revenir sur une actualité dont on a beaucoup parlé sur notre antenne cette semaine et vous n’y ferez pas exception. Les réformes des retraites : les fondamentaux du débat, tel est le titre de votre chronique aujourd’hui. Une photographie, d’après vous, JC, de ce qu’il s’est passé cette semaine. Cette fois, ça y est, la Première ministre, Élisabeth BORNE, porte cette réforme des retraites.
Une réforme essentiellement dite paramétrique, c’est-à-dire basée sur l’âge de départ, est le choix du gouvernement c’est-à-dire celui du Président. Il faut se rappeler que le Président avait proposé quelque chose de complètement différent il y a plusieurs années en expliquant très bien pourquoi les réformes paramétriques étaient soit déjà faites du temps de HOLLANDE avec Marisol TOURAINE, soit si on les poussaient à aller jusqu’au bout comme logique, une impasse. Maintenant, il revient sur ce raisonnement. Vous me direz qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, mais enfin, c’est tout de même un sérieux zigzag.
Cette réforme paramétrique s’oppose donc à la précédente qui était une réforme à points, elle était basée sur l’acquisition de crédits, en quelque sorte, de travail permettant de justifier et de bénéficier d’une retraite. Le nouveau système est essentiellement paramétrique, vous n’aurez votre retraite complète que plus tard. Que disent les partisans de cette réforme paramétrique d’âge ? Leur argument, c’est qu’il y aura de moins en moins d’actifs et de plus en plus de retraités, le régime ne peut donc qu’inéluctablement être déficitaire puisque c’est fondamentalement un régime par répartition où les actifs payent pour ceux qui ne le sont plus. Malgré les apparences, ce raisonnement n’est qu’en partie juste, car les réformes paramétriques sont déjà faites, ce qui est assez étonnant. Elles ont été faites essentiellement par petites touches et achevées sous HOLLANDE de telle sorte qu’il y a eu des techniques multiples de rabot – le premier des rabots était sous Raymond BARRE, voyez comme cela remonte à très loin –, comme le fait d’indexer les retraites sur l’inflation et non plus sur les salaires. C’était une façon de les raboter, mais il y a eu des tas d’autres choses. Je vais juste revenir sur ce petit point parce qu’on le retrouvera à la fin de l’exposé d’aujourd’hui. Quelle était l’astuce d’indexer sur l’inflation et non plus sur les salaries, et ce, au détriment des retraités ? Tout simplement parce que les salaires progressent plus que l’inflation, sauf en période de crise majeure. Les salaires en dernière analyse sont basés sur les progrès de la productivité du pays. Si l’inflation va plus vite que la productivité, le désastre est extrêmement rapide et ce n’est pas le cas. Heureusement, la société continue à progresser et les salaires progressent, en valeur réelle, je ne parle pas forcément de l’inflation. Indexer les retraites sur l’inflation, on le présente actuellement comme quelque chose d’extraordinairement positif puisqu’on va revaloriser alors qu’on avait bloqué subrepticement pas mal de retraites qui justement ne pouvait plus utiliser la compensation de l’inflation puisqu’elle été faible. Cela permettait encore de donner un coup de rabot. Quand elle reprend, on est revenu sur cette indexation sur l’inflation, même si elle n’est que partielle parce qu’on a aussi inventé la marche d’escalier non rétroactive. Le fait de revenir là-dessus qui est présenté comme triomphal et favorable aux retraités est en fait la pérennisation d’un système qui leur est très défavorable.
Justement, quel est l’équilibre du système ? En dernière analyse, ce sont les progrès de la productivité. Le conseil d’orientation des retraites, il y a quelques années, disait que la situation n’était globalement pas catastrophique et qu’en gros, il n’y a pas le feu au lac. Là, en lui tordant le bras pour qu’il dise qu’il va y avoir éventuellement un petit déficit transitoire, ce n’est pas du tout une spirale négative abyssale, parce que certes, il va y avoir 1,4 actifs/retraités au lieu de 1,7, mais comme il va y avoir également un nombre absolu de retraités qui va diminuer du fait de la fin des classes abondantes du baby-boom, tout cela n’est pas monstrueux. En étant le plus pessimiste possible, c’est-à-dire en ne comptant sur aucun gain de productivité, on aboutit à 5 ou 10 milliards sur 350 milliards comme déficit, mais pas tout de suite.

Solde du système de retraite selon 4 taux de croissance de 0.7 à1.6% ( Le Point°) L’évaluation monétaire graphe du milieu est celui présenté par le gouvernement. Avec l’inconvénient d’être sensible à l’inflation. Tandis que le graphe de droite, en référence au PIB est la méthode la plus courante et d’ailleurs celle du Conseil d’Orientation des Retraites ( COR ). On y voit qu’avec une croissance de 1%, le régime par répartition est à l’équilibre jusqu’à la nuit des temps. On peut ajouter que sur l’hypothèse d’une croissance inférieure à 0.2% voire négative, il n’y a pas que les retraites qui s’écrouleraient. La France ferait défaut sur la charge de sa dette et tous ses actifs gageant la redistribution sociale partiraient en fumée comme l’état providence. ( d’où la sensibilité de la courbe « monétaire » aux hypothèses basses ).
Cela veut dire finalement que l’équilibre peut difficilement être remis en cause.
L’équilibre n’est pas à remettre en cause. D’ailleurs, il y a pour les partisans de cette réforme un double argumentaire. Le premier est qu’il faut trouver de l’argent pour combler le trou et le deuxième c’est qu’il faut trouver de l’argent pour pouvoir le redistribuer ailleurs. Ce dernier me parait plus révélateur des arrière-pensées. Il s’agit de faire des économies sur le dos des retraités. Ce qu’il y a de plus catastrophique dans la réforme par allongement, c’est qu’à peine plus de la moitié de la classe d’âge en âge de travailler a plus de 55 ans e est déjà hors course puisque l’emploi s’effondre à partir de 55 ans. On dit « ce n’est pas bien, on va dire au patron qu’il faut garder les gens », mais il ne faut pas non plus s’imaginer que les patrons sont des philanthropes et même s’ils l’étaient, ils ont la compétitivité de leur entreprise à maintenir. Les travailleurs âgés ont plusieurs inconvénients, mais quelques avantages quand même. Le premier inconvénient c’est qu’ils coûtent chers puisque les salaires progressent par le glissement dit de vieillesse/technicité et donc c’est beaucoup plus simple de les virer, si possible aux frais de l’État avec de multiples solutions (ruptures conventionnelles, préretraite, etc.) pour prendre des plus jeunes. Deuxième ennui, les travailleurs âgés, il y en a un certain nombre, même beaucoup qui finissent par être plus ou moins malades, donc l’absentéisme s’envole ce qui là aussi gonfle les frais. Troisièmement, il ne faut pas se cacher qu’il y a des travailleurs âgés expérimentés et très utiles, même plus utiles que les beaucoup plus jeunes parce qu’ils peuvent transmettre et il y a aussi tout un grand panier de gens qui ont commencé « à se dégrader » pour dire les choses vulgairement, qui ne suivent plus les innovations et qui sont incapables d’utiliser les outils modernes en particulier l’informatique, ils sont donc des boulets pour l’entreprise. De ce point de vue, l’allongement est très néfaste à la fois pour les entreprises. Et d’autre part par le fait que si l’on met les gens dans toutes les formules hors du travail à partir de 55-60 ans, n’ayant pas dans le nouveau système la possibilité de partir à la retraite complète, ils vont se retrouver avec des minimas sociaux pendant plusieurs années. C’est donc effectivement une économie, mais une économie sur le dos des retraités ou plus exactement des préretraités ou des possibles retraités, dont la situation va devenir catastrophique.
JC, avant de se quitter, conclusion sur cette réforme des retraites dont on aura certainement l’occasion de reparler sur l’antenne de RCF ?
Pourquoi tout cela ? Qui est tapi derrière cette réforme ? Ce sont les compagnies d’assurances qui veulent des retraites par capitalisation à la place des retraites par répartition. Cela s’est déjà passé dans les années 30 où il y avait des retraites par capitalisation qui se sont effondrées avec la crise et la guerre, mais il n’est jamais trop tard pour recommencer ce qui a déjà raté. Là, il y a la volonté de rendre un filet de protection inefficace ou un panier percé : la retraite classique par répartition. On ne pourra qu’encourager les gens à essayer de se constituer une retraite par capitalisation et c’est là-dessus que les financiers et les compagnies d’assurances les attendent à bras ouverts pour leur faire les poches.
Merci pour votre conclusion, JC, on vous retrouvera la semaine prochaine pour une nouvelle chronique d’actualité. À très bientôt Professeur !
À bientôt !