Jacques HM Cohen 24 3 2023
Sur l’antenne de RCF: LIEN
Avec nous par téléphone, on retrouve le Professeur Jacques COHEN pour sa chronique d’actualité. Professeur bonjour
Bonjour
Vous voulez aujourd’hui nous parler de la guerre en Ukraine, mais en regardant ce qui se passe du côté des Britanniques, alors photographie Professeur, que se passe-t-il ?
Les Britanniques ont annoncé qu’ils allaient envoyer des munitions à l’uranium appauvri pour le peloton de chars qu’ils envoient en Ukraine. Et là, comme souvent, les Britanniques font ce que les américains n’osent pas faire directement et ce que d’habitude, les européens n’ont pas très envie de faire.

Munition flèche à Uranium US en 1990. La pointe de la flèche est recouverte d’un embout en polystyrène
Cela avait déjà commencé avec l’affaire du destroyer britannique qui était passé dans les eaux territoriales de Crimée avant le déclenchement de la guerre. Les russes s’étaient contentés d’un tir de semonce devant lui, mais c’était une façon de tester leur résolution de la part des britanniques et donc, probablement, des américains. Là, pour les munitions à uranium appauvri, il faut déjà voir techniquement de quoi il s’agit. Il se trouve que l’uranium, comme métal très lourd et relativement dur, a été employé pour des munitions anti-char, soit, par exemple, pour les obus des canons à tirs très rapides des avions A-10 qui ont été abondamment employés en Irak et en ex-Yougoslavie, soit pour les munitions flèches de chars lourds qui sont des armes anti-char. Alors qu’est-ce que les munitions flèches ? Il faut savoir que l’uranium une fois qu’il a perforé un char, il fait un nuage, qu’on dit pyrophore, c’est à dire que c’est un nuage qui à l’intérieur prend feu et atteint des températures extrêmement élevées et carbonise, bien sûr, tout ce qu’il y a dedans. Il n’y a même pas besoin de mettre d’explosif. Cela a été abondamment employé. Puis, on a trouvé, si j’ose dire, de meilleures façons de faire rôtir son prochain dans un char, ce qui fait c’est que cela a été abandonné pour des munitions plus modernes, mais ces engins britanniques ne sont pas très modernes.
La question c’est, effectivement pour les occidentaux, de filer du matériel qui ne soit pas de dernier cri, parce que tout simplement le matériel dernier cri, c’est de la construction de luxe, dont on n’a que quelques exemplaires, on n’en a pas des grandes quantités. Alors que des trucs datant de la guerre froide, on en a encore beaucoup de stocks, moins que les russes qui sont très conservateurs, mais quand même pas mal. Nous aussi on a eu des munitions flèches à uranium pour les chars Leclerc, mais on les a abandonnées depuis longtemps.
L’avantage de ces munitions c’est qu’on en a des stocks mais elles ont un inconvénient, c’est qu’elles portent le nom d’uranium. Alors l’uranium a mauvaise presse parce que c’est quelque chose qui sert dans les bombes. On peut toujours expliquer que l’uranium appauvri est moins radioactif que l’uranium naturel, dont le minerai lui comporte quelques 0.8 pour cent d’uranium radioactif et que donc c’est inoffensif, du moins inoffensif en termes de radioactivité, parce qu’évidemment pour le reste c’est quand même quelque chose qui trucide quiconque passe dans le nuage à haute température.
La question qui se pose c’est que se passe-t-il quand on va fouiller ou fureter dans un engin qui a été détruit par une telle munition ? Là on a un petit souci. C’est que l’uranium appauvri n’est pas toujours appauvri à partir du minerai de base, cela reviendrait beaucoup trop cher. On inclut souvent une réutilisation des résidus de centrales nucléaires et là on nettoie, effectivement, on se débarrasse de l’uranium radioactif, mais il traîne quelques autres isotopes, Césium par exemple, produits de fission de ces combustibles de centrale dont on ne se débarrasse pas complètement. Alors, au point de vue quantité, ce n’est pas grand-chose. Au point de vue, dangerosité, c’est certainement moins que les restes de suies d’hydrocarbures, de ce qui reste quand on a fait brûler un char. Mais cela a mauvaise presse, cela fait mauvais genre d’avoir des résidus radioactifs, qui plus est, des traces de composants que l’on voit dans les centrales ou dans les explosions nucléaires.
Les russes ont réagi assez fermement, du moins en parole, en disant « on sera obligé de réagir, si vous employez des choses comme cela ». Puis ils ont dit qu’ils en avaient tout autant en stock…. Poutine a employé une expression ambiguë en parlant de munitions sales. Ce qui dans le vocabulaire des armes nucléaires, renvoie aux bombes sales qui sont soit des bombes atomiques délibérément de mauvais rendement ou fournisseuses de nucléides contaminants abondants, soit des bombes d’explosif conventionnel mais remplies de contaminants radioactifs. On ne sait donc si le stock de munitions à uranium ex soviétique est identique au stock occidental ou si il comporte pour une part des munitions sales au sens de nettement radioactives.
Il y a un autre problème avec l’uranium hors radioactivité, c’est sa toxicité chimique. De l’uranium il y en abondamment sur terre. Mais si on commence a en répandre pas mal sur une surface limitée comme un champ de bataille, comme par ex 340 tonnes en Irak, il peut avoir une toxicité chimique, rénale, osseuse et même cérébrale comme pour tous les métaux lourds. Pour les gamins qui joueraient dans les carcasses de chars détruits, ou ceux qui mangeraient des carottes ou des tomates cultivées dans ces champs contaminés. A noter que les feuilles de tabac sont parmi les végétaux concentrant le mieux les métaux lourds… Ceux qui mangeraient des herbivores élevés dans ce contexte bénéficieraient aussi de doses susceptibles de comporter une certaine toxicité chimique.
Cela veut dire, Jacques COHEN, avant que vous alliez plus loin, que l’on est à la fois sur un problème technique mais aussi sur un problème politique, quelque part.
Tout à fait. Le problème technique c’est que, si j’ose dire, c’est vendu comme très propre, alors que ça l’est à peu près, mais pas totalement en termes d’isotopes ainsi que comme métal polluant chimique. Et le problème politique, c’est que dès que l’on met le doigt dans l’engrenage, dire que c’est de l’uranium avec un peu d’isotopes mais pas beaucoup, etc … On s’expose à toute une campagne sur les bombes sales et la possibilité effectivement d’en faire avec beaucoup plus de saletés dedans. Et que donc après il y a un glissement possible.
C’est un premier pas, si j’ose dire, c’est le premier pas qui coûte. Que vont faire les russes si c’est employé, on ne sait pas encore trop, et là Vladimir POUTINE maintient l’ambiguïté. La question c’est que cela serve d’alibi pour des bombes nucléaires, des bombes atomiques classiques ou des bombes sales et d’en interdire des zones par la radioactivité. Mais finalement, militairement, ce n’est pas très intéressant.
Militairement, le seul intérêt des bombes atomiques, dites tactiques, et donc pas des machins qui vitrifient un pays ou même une grande ville, pourrait être de détruire une concentration de chars, probablement pas avec une explosion de très forte puissance, mais avec une bombe à neutrons. Vous savez que la bombe à neutrons cela a un gros avantage : cela tue les gens, mais cela ne casse pas le matériel. On peut même s’en resservir après. Pour les photos c’est aussi pratique, si c’est dans une grande ville au patrimoine historique, cela épargne aussi les vieilles pierres. Donc c’est une possibilité d’importance tactique sur un rassemblement de chars, Mais en dehors de cela, cela n’a pas non plus un intérêt fantastique. Les russes doivent réfléchir à d’autres escalades, pour utiliser cet argument comme justificatif pour faire autre chose.
On n’en discutera pas aujourd’hui, mais il y a tout un panel d’escalades possible, que pour l’instant ils n’ont pas faites, que ce soit sur le terrain ou à distance, en disant « puisque ce sont les britanniques qui font cela, on frappe le Royaume Uni ».
Mais pour l’instant, non seulement rien n’est fait, mais rien n’est sûr et là, encore une fois par petites marches d’escalier, les occidentaux testent la résistance des russes à ne pas déborder du territoire ukrainien. Après avoir envoyé quelques canons, puis beaucoup de munitions, puis même des chars. En se préparant à envoyer des avions, en envoyant des munitions à courte portée, puis à moyenne et bientôt à longue portée, la tactique est de voir jusqu’où ils peuvent aller sans que les russes ne déclenchent une guerre à distance.
Il y a deux possibilités à distance : une guerre étendue à des pays de l’OTAN à proximité, mais aussi, une guerre hybride et atypique consistant à taper les infrastructures occidentales de l’intérieur, c’est à dire à proximité, chez nous, avec des sabotages en tout genre et vous savez que nos infrastructures sont en fait extrêmement fragiles, extrêmement difficiles à protéger et que donc c’est une possibilité qui reste en suspens du point de vue russe.
Que ce soit de façon physique ou par des choses logicielles, ce qui peut tout autant perturber.
Pour l’instant de tout cela il n’y a eu absolument aucune opération de ce genre sérieuse en occident mais cela ne veut pas dire que les russes n’y soient pas préparés et pour l’instant, ils n’y ont pas intérêt.
L’intérêt est réciproque de rester sur le terrain ukrainien où les britanniques servent de poisson pilote pour voir si on peut monter encore un peu en escalade. Avec ce problème que vous avez vu, c’est à dire que l’uranium appauvri est un peu sale parce que ce sont de vieux stocks, mais que c’est utile militairement. On a certes d’autres solutions, mais les autres solutions, on n’en a pas beaucoup et c’est plus cher et que donc, ce genre de chose risque d’être considéré comme un expédient pratique. A condition que cela ne déclenche pas une réaction significative du côté russe, ce qui pourrait finir par arriver, à jouer aux marches d’escalier comme cela.
Merci Professeur Jacques COHEN de nous avoir éclairé, certainement que vous l’avez dit, il y aurait plus de choses à dire et à développer et pour cela on vous fait confiance. On retrouvera certainement toutes les bonnes informations du coté de votre blog. L’adresse n’a pas bougé Professeur : jhmcohen.com.
Absolument et malheureusement, comme j’ai beaucoup de choses à faire, ce n’est pas très à jour mais je mettrai en ligne avec une semaine ou deux de retard, hélas. On finit toujours par trouver mes chroniques en ligne.
Vos auditeurs vont venir vous tirer les oreilles Professeur. On vous souhaite beaucoup de courage pour tout ce que vous avez à faire et on vous dit à très bientôt
A très bientôt merci.
Bibliographie revue générale des toxicités chimique et radiologique de l’Uranium :