L’or, les miliciens, les militaires : les « plaies d’Egypte » du Soudan

Jacques HM Cohen 21 4 2023

Sur les ondes de RCF: LIEN

Avec nous aujourd’hui Jacques COHEN, dans question d’actualité. Professeur Jacques COHEN bonjour

Bonjour

Alors c’est vrai que dans l’actualité on n’en entend pas forcément beaucoup parler, alors que c’est très important sur le plan international, c’est la situation au Soudan. Une situation Jacques COHEN qui est très compliquée, une situation assez complexe, difficile à résumer en quelques minutes, mais pourtant c’est le challenge que vous vous êtes quasiment imposé aujourd’hui.

Nous allons essayer car la situation du Soudan est difficile à expliquer à des occidentaux qui n’y ont jamais mis les pieds et c’est une situation qui remonte à loin. Alors comme on a 9 minutes, on n’ira pas jusqu’aux pharaons de la haute Égypte. Mais ce pays est quand même un carrefour au nord de l’Égypte jouxtant de nombreux pays, au Sud Est de l’Éthiopie, la Centrafrique de l’autre côté, etc. allant jusqu’au Kenya par le Sud Soudan….

On en a entendu parler, si on peut dire, en occident avec deux choses, l’affaire du Darfour, une province de l’ouest un peu sécessionniste au passage et un régime militaire qui a été renversé par les civils, ce n’est pas quand même tous les jours.

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Carte du Soudan. Le Sud Soudan « sécessionniste indépendant » ajoute le Kenya aux pays riverains

Cela montre qu’une société civile là-bas progresse. Malheureusement, les militaires chassés par la porte sont revenus par la fenêtre et on a à nouveau un régime militaire. Et maintenant une deuxième milice, une deuxième force qui se bat contre la première. Alors, elles ne sont pas tout à fait la même chose. On parle de deux généraux, généraux c’est un bien grand mot. Il y a l’armée régulière du général Abdel Fattah al-Burhane et les Forces de soutien rapide [FSR] dites Janjawid dirigées par son désormais ancien allié, le général Mohamed Hamdane Daglo ( alias Hemeti ce qui se prononce « « AHRmati » pour certains )

Enfin, on parle de deux généraux de deux forces armées qui se font la guerre en pleine ville et où les civils prennent des coups. Mais il y a une très grande différence. Il y a une armée régulière, d’un côté, qui d’ailleurs est mal équipée pour la guerre rapide, de prise de position en ville telle qu’elle se passe actuellement, et on a une milice. Alors une milice qui ressemble finalement à bien d’autres milices, comme Wagner d’un côté ou bien, si on remonte très très loin, aux grandes compagnies au Moyen Age chez nous. Ce sont des pillards, violeurs, etc. qui ont sévit au Darfour, les Janjawid, et qui eux n’ont pas la situation de la force de l’armée régulière, mais qui ont la mobilité et l’adaptation à être une armée éventuelle de coups d’État. Il y a beaucoup d’influences étrangères parce que le pays présente beaucoup d’intérêt. D’abord le pays est riche. Il est très grand, il est riche et il est riche parce qu’il a du pétrole au Sud Soudan et au Darfour mais en particulier de l’or qui peut être exploité de façon artisanale, ce qui est le cas actuellement, et donc exporté de façon totalement illicite. A noter d’ailleurs que Prigojine a demandé à être payé pour l’aide que sa milice apporte sur place sous forme de concession de mines d’or et pas d’une autre façon, ce qui nous montre donc que les russes, en tirent des intérêts, mais tout le monde, les américains également, les pays du Golfe ne peuvent pas se désintéresser de ce qu’il se passe de l’autre côté de la Mer Rouge, les égyptiens de façon très importante, on va y revenir, et les éthiopiens également parce que cette guerre civile s’est déclenchée en plein milieu de grandes manœuvres soudano-égyptiennes pour simuler et préparer une attaque aérienne détruisant le grand barrage que les éthiopiens terminent sur les sources du Nil, pour schématiser, car ils vont avoir le contrôle de l’eau à partir de ce barrage.

Au lieu d’avoir un partage et une adaptation des richesses que tout cela peut procurer à tout le monde, à commencer par le courant électrique, on se prépare un jour où l’autre à la guerre. Alors peut-être n’aura-t-elle pas lieu, mais enfin malheureusement ce n’est pas l’orientation actuelle. Il y avait donc des grandes manœuvres aériennes et l’Égypte s’est faite détruire toute une force aérienne qui était là pour les manœuvres. Il n’y avait pas de Rafales, ce sont les seuls trucs qu’ils n’avaient pas déplacé car les manoeuvres ne concernaient pas la suprématie aérienne mais l’attaque au sol. Mais il y avait des choses parfaitement modernes et même des soldats égyptiens qui ont été, sur l’une des bases, fait prisonniers, tout simplement, des rebelles. Il ne faut pas voir schématiquement que les uns appuient des rebelles et les autres appuient l’armée régulière. Tout le monde a mis des billes des deux côtés. Mais l’équilibre est fragile et si les égyptiens interviennent pour sauver le général Al Burhane, les éthiopiens ne pourront les tolérer à leur frontière à proximité du fameux barrage.

Ce pays est en fait un pays extrêmement morcelé. C’est même l’un des pays d’Afrique les plus morcelé, créé comme unité par la puissance coloniale anglaise après la rivalité franco-anglaise à l’époque de la conquête coloniale, si vous vous rappeler peut-être du village de Fachoda (absolument !) et ce qui s’est passé par là. Et il n’y a pas grand-chose à voir entre le Darfour et le Sud Soudan. La côte qui elle est celle des pêcheurs et du commerce avec le port très convoité de Port Soudan, Khartoum.

D’autre part, il y a aussi une très grosse différence, et il n’y a même pas grand-chose à voir et entre les villes et la campagne. Les campagnes sont restées au Moyen-Âge ou même bien avant, tandis que les villes se sont développées. C’est là où il y a cette contestation et cette société civile, mais malheureusement le pouvoir est au bout du fusil et donc la société civile qui avait réussi à chasser un régime militaire là se trouve terrée dans les caves ou fuyant la capitale, où les militaires se tirent dessus.

Alors j’ai une question, peut-être, je ne sais pas si c’est le moment Jacques COHEN de vous la poser, mais je la pose quand même. C’est à propos de cette actualité où vous mettez en opposition une milice et une armée régulière. La question est de savoir est-ce que milice et armée régulière, ça ça nous donne des idées, cela nous rappelle ou est-ce que ça ne rappelle pas à nos amis auditrices et auditeurs, ce qu’il se passe au Donbass entre l’Ukraine et la Russie ou est-ce que c’est autre chose ?

Non non, c’est une chose qui n’est pas d’actualité pour le Donbass où la puissance de l’armée russe et l’armée milice de Prigojine ne sont pas équivalentes, mais dans l’un des scénarios catastrophes où les occidentaux feraient la bêtise de détruire la Russie, en tant que fédération de pays, d’aller jusqu’à Moscou et d’avoir tout un paysage morcelé, balkanisé, on peut dire que le risque deviendrait gigantesque. Il est tout à fait évident que des milices deviendraient autonomes et représenteraient des centres de pouvoir et Prigojine étant un des premiers à être sur les rangs, si jamais cela se produisait. C’est un des scénarios catastrophe. La Russie n’en est pas là et j’espère que les occidentaux la feront reculer en Ukraine mais n’iront pas plus loin. Mais c’est un des scénarios malheureusement demandé par les pays baltes ou les ukrainiens dont le ministre de la défense, par exemple, quand il a pu monter dans un char léopard a expliqué « bon, alors la route de Moscou c’est par où ? ». Alors c’est une blague, mais un ministre ça ne blague pas, surtout un ministre de la défense. Si on revient, en quittant ce scénario catastrophe, mais qui comme tous les scénarios catastrophes, ce n’est pas forcément totalement improbable, au Soudan on a une sécession déjà qui a été acceptée, si je puis dire, qui était en quelque sorte une lubie de Barack Obama, qui est l’indépendance du Sud Soudan. Alors le Sud Soudan, c’est un pays totalement enclavé qui a des richesses lui aussi, et on va venir sur les richesses des pays bientôt, qui a des richesses mais qui en plus, non seulement ne peut rien en faire s’il reste enclavé, mais en plus c’est un pays qui est divisé en deux. Il y a deux populations qui se détestent et qui sont parties dans une guerre civile dès qu’on leur a donné leur indépendance. Par définition, si je puis dire, tous ces pays morcelés, comme la France avant l’unification royale, ça ne peut fonctionner qu’avec un pouvoir central fort qui permet un développement et que les gens collaborent entre eux, coopèrent, fassent des affaires etc. , que cela leur plaise ou non. Le Jacobinisme n’est pas forcément un gros mot, contrairement à la mode dominante en France depuis 30 ans. Et après, évidemment, ils se rendent compte qu’ils ont tout à fait intérêt à cela et la société civile, elle, par son développement économique, est un facteur d’unification et auparavant, il faut casser les puissances séparatistes et la situation morcelée qui ne peut que croître et embellir avec cette guerre civile qui les ramène des siècles en arrière. Et donc la situation actuelle est compliquée par les différentes influences extérieures. Et, il y en a une que je n’ai pas mentionné, qui est l’influence des courants islamistes radicaux qui avaient pris de fait le contrôle du pays sous la précédente dictature militaire. Deux dictatures militaires en arrière, je ne rentrerai pas dans les détails, pour lesquelles le pays avait été mis au pain sec et avec un embargo occidental extrêmement sévère, et puis qui ont dû reculer. Mais, évidemment, si la situation aboutit à un morcellement à nouveau, on va les voir ressortir de leur trou et on risque de retrouver à nouveau un pays morcelé dont l’économie est paralysée et où malheureusement, comme d’habitude, se sont les populations civiles qui souffrent.

Pourquoi cette situation ? Tout simplement parce que c’est un pays riche. On a déjà dit que le sud Soudan avait du pétrole, mais ce qu’il y a, à plusieurs endroits, c’est de l’or. Alors, vous connaissez la grande tirade sur l’or de Marx, sur cet épouvantable métal qui corrompt, qui détruit tout. Tirade qu’il a d’ailleurs piquée purement et simplement chez Shakespeare et là, malheureusement, le Soudan est actuellement le pays le plus gros exportateur d’or du monde pour environ 42 milliards de dollars par an.

Jacques COHEN on en parlerait des heures. On comprend bien que vous connaissez bien la situation, mais malheureusement on arrive au terme de notre émission. Cela sera peut-être d’ailleurs l’objet de prolongement la semaine prochaine dans d’autres chroniques. En tout cas, on vous remercie d’avoir été avec nous, une fois encore aujourd’hui Professeur Jacques COHEN et puis, on vous souhaite une très bonne semaine et à bientôt sur RCF.

A bientôt.

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