Jacques HM Cohen le 12 mai 2023
Sur les ondes de RCF: LIEN
Avec nous par téléphone, on retrouve le Professeur Jacques COHEN pour sa chronique d’actualité. Jacques COHEN bonjour.
Bonjour.
Et on va revenir sur un événement passé il y a quelques jours, de l’autre côté de la Manche, en Angleterre, le couronnement de Charles III, Jacques COHEN, un couronnement en Angleterre qu’est-ce que cela représente ?
Cela représente, c’est une tentative, j’allais dire, désespérée de se rattacher à un passé que l’on estime plus glorieux que l’actualité et d’autre part, un couronnement du Royaume-Uni, c’est aussi une façon de lutter, un rituel contre les aspects centrifuges de ces 5 nations qui ne tiennent que de justesse ensemble de nos jours.

Gisant d’Aethelstan ( mort en 939 ) considéré comme le premier roi de toute l’Angleterre. Copyright Wikipedia
A partir de là, on convoque le faste ancien, qui est lui démarqué du sacre des rois de France. Il y a l’épée qu’a dû tenir l’haltérophile femelle de service pendant 52 mn. Il y a d’autres Regalia, comme on dit. Mais il y a une différence : les Anglais parlent de couronnement, « coronation », et pas de sacre. Parce que le sacre, c’est une onction divine et ils n’ont pas tout à fait décidé de revendiquer cet aspect de la mise en place, pour prendre un terme neutre, du roi de France. Tout en revendiquant qu’il devrait l’être, mais ça, c’est autre chose. Évidemment, cela permet de faire défiler des uniformes chamarrés, un carrosse, des tas de choses et décider qu’il y a un plat royal, qui en l’occurrence est une quiche végétarienne. Je ne suis pas sûr qu’il y aurait beaucoup de clients en France. Cette tentation d’avoir un passé qui soit incarné, de nos jours, avec un personnage qui représenterait la nation, qui représenterait même le Commonwealth, on voit très bien que c’est dissonant, que cela ne représente plus grand-chose. Aussi, il y a longtemps que les rois d’Angleterre ne gouvernent plus. Ils avaient un rôle officieux jusqu’à la seconde guerre mondiale pratiquement. Mais depuis ce pauvre Charles est obligé de manger son chapeau ou sa couronne tous les jours pour ne pas dire le mal qu’il pense de la politique menée par le gouvernement et le Premier Ministre. Donc, je ne sais pas s’il pourra durer longtemps à ce petit jeu, mis à part qu’il a quand même un nombre incalculable de corvées, mais quelques facilités de condition de vie, qui en sont la compensation.
Est-ce qu’avec la disparition d’Elisabeth II et de ce que vous nous dites Jacques COHEN, on est passé dans une autre dimension de la monarchie, peut-être qui est finalement moins attirante, où avant on avait un petit peu le symbole. On regardait ça de l’extérieur. On avait un petit peu ce rêve absolu de la monarchie anglaise. Est-ce que là, finalement, tout s’écroule un petit peu avec la disparition de la Reine Elisabeth et l’arrivée de Charles III ?
Le mythe s’effrite peu à peu et de génération en génération. Il est sûr qu’on ne peut pas savoir combien de temps cela va encore durer, quoique ce soit comme tous les régimes politiques : ça dure faute de mieux. Le « faute de mieux », c’est ce système parlementaire qui est bipartisan et qui écrabouille tout autre courant politique. Une évolution du pays où l’anglais de la Reine n’est pas parlé par grand monde. Tout cela n’empêche pas les Anglais d’être archi-nostalgiques et d’être royalistes à 80-85% dans les sondages.
Est ce qu’on n’est pas, cependant, dans une sorte d’anachronisme par rapport à l’histoire et par rapport à l’ère moderne, que l’on est en train de traverser ailleurs en Europe ?
Alors, une monarchie non pas par élection, comme autrefois le Saint Empire romain germanique, mais qui n’est pas non plus un tirage au sort, mais de transmission génétique. C’est un mode de gouvernement que l’on peut certes considérer comme curieux et d’autant plus qu’il ne gouverne pas. Donc il incarne une espèce de mythe de la nation, mais laquelle se dégrade et le mythe aura du mal à durer très, très longtemps.
Vous évoquez un mythe de la nation Jacques COHEN, peut-être un mythe divisé aussi lorsque l’on regarde ce qu’il se passe entre les pays qui sont voisins des anglais et puis, avec les pays du Commonwealth également, on a vu que cet événement était quand même beaucoup moins suivi et là aussi où le mythe s’est un peu effondré. Notamment, si l’on va faire un tour du côté de l’Australie, de la Nouvelle Zélande, etc. ?
Oui parce que le Commonwealth avait déjà des endroits qui sont sérieusement effrités, comme la Jamaïque. D’autres, c’est de justesse, comme le Canada. Mais les plus lointains, qui étaient autrefois les plus fidèles, commençaient aussi à regarder au large. Donc effectivement, l’union des 5 nations est dure à admettre, d’autant que si l’on prend Charles III. Je ne vous rappellerai pas quel a été le sort des Charles I et II et des nombres de guerre qu’il y a eu pour cette couronne. Si j’ose dire, elle a souvent trempé dans le sang. Alors, de nos jours c’est beaucoup plus paisible. Elle trempe dans l’encre ou dans l’eau de rose des magazines et des sites d’adoration royale.
Mais Jacques COHEN, si on s’éloigne un peu du couronnement, il y a aussi des enjeux politiques majeurs. Je pense notamment si l’on retourne en Australie, le fait d’être rattachée à la couronne britannique leur permet d’être tournée vers l’Europe, quelque part, à la fois culturellement, politiquement. Alors que s’ils venaient à devenir un jour indépendant peut-être qu’ils devraient se tourner davantage vers la Chine et vers l’Asie. Donc cela pourrait changer des choses et bouleverser un petit peu l’équilibre ?
Se tourner vers la Chine, cela m’étonnerait parce qu’ils sont leurs rivaux et donc ce sont leurs ennemis. A la limite, la Chine les oblige à maintenir des liens avec les États-Unis et accessoirement avec la Grande-Bretagne. Mais c’est surtout un reflet qu’ils se rattachent à la couronne et on verra jusqu’à quand. Il y a quand même cette énorme particularité qui a été le Brexit et cette curiosité qu’un pays qui admet avoir fait une connerie ne veuille pas revenir sur ses pas. C’est une curiosité anglaise cela, du moins de ne pas revenir sur ses pas pour l’instant. Mais cela finira par arriver.
Il s’est passé un événement politique important ces derniers jours qui n’a pas été remarqué. C’est que les pays partisans du redéveloppement de l’énergie atomique civile en Europe se sont réunis pour pouvoir contrer ceux qui veulent enterrer la chose. Et bien le Royaume Uni qui est parti de l’Europe théoriquement, est venu comme si de rien n’était à cette réunion. C’est-à-dire qu’il rentre dans l’Europe de l’énergie par la bande. C’est quand même assez intéressant.
Ce qui veut dire, Jacques COHEN, que pour vous, de votre vision du monde et de la Grande-Bretagne, d’ici un délai plus ou moins long, on pourrait peut-être voir les Anglais vouloir revenir frapper à la porte de l’Europe ?
A condition que l’Europe existe encore. C’est là qu’est le problème. Si c’était l’Europe d’il y a 20 ans, je pense que ça serait déjà fait. Sur l’Europe actuelle et dans sa situation, c’est beaucoup plus délicat.
Et puisque depuis le début de cette chronique on évoquait le roi Charles III et son couronnement, est ce que l’on en sait plus, lui sur sa position justement vis à vis de l’Europe et du Brexit ?
On en saura de moins en moins, parce qu’il a admis que le roi ne doit rien dire. Il avait autrefois laissé percer son opinion sur différentes choses, par exemple sur l’architecture et les promoteurs qui avaient beaucoup plus démolis Londres que les bombardements d’Hitler, etc. Mais maintenant, il s’en tient strictement à la monarchie constitutionnelle, c’est-à-dire qu’il promulgue les actes et il ne dit pas un mot et en dira de moins en moins, à mon avis. S’il intervenait dans le débat politique, je pense que sa survie politique serait assez brève. Là, il survit justement en potiche.
Il n’a pas moyens de faire passer ses messages par le biais de portes paroles ou par ses enfants par exemple, ce genre de choses ?
Vous savez, les enfants cela ne raconte pas forcément ce que les parents voudraient. Mais cela est une autre question.
Surtout, qu’ils ont bien grandi !
Ah oui. En revanche, ce qui est beaucoup plus vraisemblable c’est qu’il peut donner des conseils privés au Premier Ministre ou faire comme Edouard autrefois, c’est à dire s’insérer dans le jeu politique en faisant le « go-between », en mettant de l’huile sur le feu dans un sens ou dans l’autre et donc entre les parties et les courants à l’intérieur des parties. Ça, c’est encore un petit jeu qu’il peut pratiquer, mais tout ceci off record.
Avant de vous laisser filer Jacques COHEN, non pas à l’anglaise, quel avenir pour la Grande-Bretagne ?
C’est bien dur à dire. On aurait tendance à répondre comme Pierre Dac, qui y a vécu un certain temps, n’est-ce pas, mais ce n’est pas certain. L’avenir de la Grande-Bretagne dépend de beaucoup de choses, dont l’avenir de l’Europe et donc, les incertitudes sont majeures.
Affaire à suivre, comme bien souvent avec vous et ces chroniques Jacques COHEN et on retrouve toutes les actualités que vous développez chaque semaine sur l’antenne de RCF sur votre blog jhmcohen.com. A très bientôt Professeur.
A très bientôt.