Guerre en Ukraine : 2×2 lignes occidentales.

Jacques HM Cohen 21 3 2024

Sur les ondes de RCF: LIEN

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone. Professeur bonjour.

Bonjour.

Et aujourd’hui vous voulez nous emmener en Ukraine pour parler des quatre lignes occidentales avec une position de l’Union Européenne jusqu’au-boutiste dans un premier temps sur un sujet bien précis, Professeur, qu’est-ce-que vous voulez développer dans un premier temps ?

Et bien, il est assez spectaculaire que non seulement les actifs russes en Occident ont été immobilisés, ceux de la banque centrale, donc des actifs d’état. Mais que là l’Union Européenne annonce sans complexe qu’elle va commencer à en distribuer directement aux Ukrainiens. C’est-à-dire de piquer de l’argent aux Russes pour le donner aux Ukrainiens en clair…..

Empire russe

L’empire russe en 1914. De la minuscule Moscovie de 1300 puis à l’avènement d’Ivan le terrible en 1533 et les étapes suivantes de son expansion dont l’annexion de l’Ukraine en 1783.

Il faut voir que l’échelle n’est pas négligeable, en Europe il y a environ 200 milliards d’actifs de la banque centrale russe sur 600 au total en Occident, et tandis que les États-Unis sont plus prudents sur le sujet, les Européens commencent une tactique assez tarabiscotée consistant à ne pas distribuer directement cet argent aux Ukrainiens mais à distribuer une partie des intérêts à travers une chambre de compensation qui est je crois Euroclear qui au passage réclame une quinzaine de pour-cent de ce qui va être distribué pour couvrir ses risques juridiques. Ce qui est quand même assez symptomatique. La banque centrale européenne est archi-contre bien sûr parce que c’est la meilleure façon de ruiner le crédit de l’Union Européenne comme refuge financier, et tout pays qui apprend que l’on peut lui piquer son fric s’il le met en Europe évidemment et bien ne mettra plus son argent en Europe. C’est quand même une ânerie monumentale de ce point de vue-là. On ne voit pas très bien quel est le niveau d’urgence à part une certaine vindicte qui oblige comme ça à distribuer 5 milliards puisque c’est la somme en jeu dans un premier temps avant probablement d’aspirer les 200 milliards. Ces chiffres là on ne sait plus bien ce que c’est mais pour donner un ordre de grandeur, un peu plus de 200 milliards en Europe, 600 et quelques au total, c’est le budget de l’État qui lui est de l’ordre de 450 milliards, donc vous voyez c’est quand même notre budget annuel qui est à peu près au milieu de fourchette, c’est quand même spectaculaire.

Mais ceci nous conduit à regarder avec un peu plus de recul les quatre lignes occidentales concernant cette guerre en Ukraine.

Il y a celles qui sont favorables à la position russe, ceux qui acceptent la victoire russe éventuelle, il en a deux et ceux qui la refusent il y en a deux également. Ceux qui l’acceptent tout d’abord, il y a ceux qui sont idéologiquement d’accord avec le leader de la fédération de Russie, Vladimir Poutine. C’est-à-dire sur une ligne de l’Occident chrétien, de la décadence des mœurs, etc. Ceux-là pensent que de toute façon une influence russe sur l’occident européen serait une façon pour eux d’avoir un puissant soutien contre ce qui les inquiètent dans l’évolution des sociétés occidentales. Ils ne sont heureusement pas très nombreux. Même si on y ajoute quelques attardés qui défendant la Russie, croient encore défendre l’Union Soviétique contre les USA.

La deuxième ligne est un peu plus compliquée, elle est de considérer que finalement Angela Merkel avait raison, de même que Willy Brandt. C’est-à-dire qu’obtenir une modification en profondeur de la fédération de Russie, cela ne peut se faire, dans leur raisonnement, que par l’intensification des échanges économiques, l’économie finissant par gouverner l’idéologique, de la même façon que Willy Brandt avait obtenu la déliquescence de l’Allemagne de l’Est par l’accentuation des échanges commerciaux, et de personnes d’ailleurs aussi, avec l’Allemagne de l’Ouest. Donc cette ligne implique de dire que finalement il n’est pas grave que la Russie puisse bien revenir à la frontière impériale précédente, celle de la guerre froide. C’est-à-dire revenir à la guerre froide, en quelque sorte cette ligne est de rejouer le match. On avait gagné la guerre froide, on peut en faire autant, mais là il y a eu un incident c’est-à-dire qu’après l’effondrement de l’Union Soviétique la Russie s’est rétractée et on a continué à pousser à son atrophie et que c’est une mauvaise chose parce que c’est un partenaire inéluctable pour l’Union Européenne, et que si on la laisse remonter à ses frontières précédentes, on pourra recommencer à la miner comme on l’avait fait dans la guerre froide précédente et la gagner de la même façon. Ces gens-là ajoutent aussi un point qu’on va retrouver dans l’une des deux lignes soutenant la guerre des Ukrainiens, c’est que la Russie comme puissance régionale est indispensable si on ne veut pas avoir une balkanisation des Balkans justement jusqu’au bout de l’Asie centrale, avec des guerres interminables dans le Caucase, en Asie centrale et en Europe, parce qu’il ne faut pas imaginer qu’après la disparition de la puissance régionale de la fédération de Russie, les relations par exemple polonaises-ukrainiennes resteront longtemps pacifiques. Donc là se sont les deux lignes de ceux qui sont en quelque sorte partisans de laisser les Russes gagner en Ukraine et il y a deux lignes de ceux qui pensent qu’il faut empêcher cette victoire.

Alors l’une malheureusement est celle qui soutient la ligne de la direction ukrainienne et qui semble peu à peu avoir envahi l’Union Européenne, c’est celle qui considère qu’il faut faire la guerre à la fédération de Russie jusqu’à sa défaite et qu’après on pourra rebâtir. C’est celle défendue par les Baltes et par les Ukrainiens, mais elle a l’inconvénient qu’elle n’est possible qu’à travers une guerre mondiale ou du moins une guerre très sévère en Europe dans laquelle nous serions impliqués y compris sur notre territoire. Elle aboutirait à la même chose que cité précédemment c’est-à-dire à l’instabilité régionale durable et d’autre part elle sera très coûteuse parce qu’actuellement les Russes y compris à mon avis la majorité, une large moitié des Russes qui considèrent que Poutine a fait une énorme connerie, considèrent aussi qu’ils sont obligés de le suivre maintenant parce qu’ils sont menacés de destruction pure et simple par les occidentaux qui en profitent. De ce point de vue-là, on peut dire que les Ukrainiens ont été les meilleurs propagandistes de Vladimir Poutine pour sa réélection en attaquant systématiquement sur le territoire de la fédération de Russie y compris en profondeur. Et accessoirement aussi par quelques provocations comme le fait d’avoir soutenu un résidu fasciste pro-nazi ukrainien, Monsieur Hunka, au Canada alors qu’il n’a pas été difficile pour les Russes de retrouver rapidement que son unité était responsable de massacres non seulement de juifs mais de polonais pendant la guerre. Donc tout cela est une ligne d’escalade mais surtout une ligne vers un coût totalement déraisonnable de cette guerre en Ukraine de notre point de vue.

Alors l’autre ligne, soutenant l’Ukraine, c’est qu’il faut empêcher l’effondrement de l’Ukraine par tous les moyens militaires, mais il faut aussi donner un signal à la population russe, pas à Vladimir Poutine, qui est que nous ne voulons pas mettre un pied en fédération de Russie et nous ne voulons pas non plus que nos armes soient employées sur le territoire de la fédération de Russie. C’est déjà ébréché, parce que les Ukrainiens ont eu des patriotes qui commencent à tirer au-dessus du territoire de la fédération de Russie, c’est-à-dire des missiles américains, alors pour l’instant ce n’est pas ceux que les Américains leur donnent, mais c’est ceux que les alliés européens partisans de cette ligne ont donné aux Ukrainiens. Dans le même style les incursions de supplétifs ukrainiens d’origine russe, se font délibérément dans du matériel occidental et non pas soviétique et les lance roquettes multiples employés vers la fédération de Russie sont du matériel tchèque et non pas soviétique, dont les ukrainiens ne manquent pas. De toute façon, c’est extrêmement dangereux, non pas parce qu’il faut j’allais dire abstraitement avoir peur d’une escalade, mais parce que c’est la meilleure façon de souder la population russe pour une guerre extrêmement coûteuse et extrêmement longue et qui à mon avis est totalement déraisonnable.

Si l’on donne assez de moyens à l’Ukraine pour lui éviter l’effondrement et bien il s’agit de rendre la guerre en Ukraine la plus coûteuse possible pour la fédération de Russie, ce qui conduira à la fragmentation de l’opinion publique russe et à la perte de pouvoir par Poutine ou par son successeur, Poutine ayant quand même un âge où des choses peuvent arriver, puisque vous me direz d’ailleurs qu’on peut avoir des misères plus jeune en Russie comme c’est arrivé à Navalny. Donc cette ligne de soutien ferme à empêcher que la guerre soit totalement gagnée par les Russes en Ukraine pourrait avoir comme efficacité le délitement de la société et du monde politique russe, et on voit que l’aventure de Prigojine montre que cette seconde politique n’est pas déraisonnable, visant la société russe qui n’est pas aussi monolithique et aussi indestructible que certains le prétendent pour dire « la seule solution c’est de faire la guerre jusqu’à pouvoir défiler sur la place rouge après avoir brûlé Moscou ». Et bien malheureusement alors que le président français avait en quelque sorte une ligne qui était plus proche de cette 4ème ligne que de la 3ème, depuis ses déclarations et l’absence aussi de déclarations concernant les surenchères européennes, et bien on a l’impression que la France s’aligne sur la ligne jusqu’au-boutiste ce qui serait une très mauvaise chose de mon point de vue.

Merci Professeur Jacques Cohen de nous avoir éclairés. Ça sera le mot de la fin et si vous avez plus d’informations à développer, nul doute que vous le ferez dans les prochains jours sur votre blog, jhmcohen.com. A très bientôt Professeur.

A bientôt.

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