« Quand on touche aux idoles la dorure reste aux mains »
G. Flaubert dictionnaire des idées reçues
JHMC
Cette note est destinée à reconstituer la trajectoire politique du mythe Jeanne d’Arc à l’attention de ceux qui n’en connaissant que le dernier épisode (le Pen) imaginent qu’on devrait arrêter cette célébration, sans en voir les strates accumulées dans l’inconscient collectif, qui en font un mythe incontournable d’unité nationale, même si la réalité du personnage et de son action sont dérisoires à l’échelle de son mythe.
Le rôle militaro-politique de Jeanne d’Arc n’est qu’un feu de paille (…. !) d’à peine un an en 1429-1430. Le fait le plus significatif est le raid en territoire ennemi aboutissant au sacre de Reims. Cette tactique d’offensive tout azimut sans négociation divisant les factions adverses, sera abandonnée comme bien trop encombrante par le Roi qui poursuivra avec succès une tactique plus nuancée. Elle est brûlée en 1431 comme hérétique et relaps (récidiviste) et sera réhabilitée un quart de siècle plus tard lorsque que le pouvoir du roi de France sera plus assuré. Cette réhabilitation vise surtout à blanchir le sacre qu’elle a organisé, où la présence d’une sorcière pour l’église faisait un peu tache.
Beaucoup plus que d’en faire un héros positif, en Sainte de premier plan. On ne comprendrait d’ailleurs pas pourquoi le Roi l’a abandonnée à l’époque. Elle commence alors une première carrière de mythe relativement mineur d’inspiration divine conduisant au sacre après les batailles précédentes nécessaires. Sa réhabilitation relative et sa place de deuxième ordre sont attestés par le fait que malgré les voix et les messages divins, il parait difficile et excessif d’en faire une sainte.
Parmi les contemporains seule Christine de Pisan qui doit la tenir pour une féministe radicale en dit du bien comme « une nouvelle Judith ». Pour le plus grand nombre, elle n’est pas distincte des autres prophètes et sauveurs d’inspiration divine qui fleurissaient chaque année et finissaient parfois sur le bûcher. Voltaire en dira du mal parce que admirateur probable de la tactique royale de guerres et paix ainsi que d’alliances divisant l’adversaire, il ne pouvait que tourner en ridicule une illuminée entendant des voix et partisane en permanence de l’offensive à outrance. La résurrection de Jeanne d’Arc vient de Quicherat puis de Michelet après la restauration au XIX ème siècle qui vont trouver à front renversé une héroïne royale précurseur de l’idée de nation incarnée par la République. Le concept de communauté nationale et de patrie était pourtant totalement étranger à la période historique de Jeanne d’Arc où les Plantagenet « anglois» n’étaient pas des insulaires au langage saxon étrange mais vivaient pour l’essentiel en France dont ils partageaient la langue et la culture. Faut il rappeler que Richard Cœur de Lion est enterré avec une épitaphe française à l’abbaye de Fontevraux après s’être fait tuer dans une opération de police à Chalus dans le Massif Central.
Réciproquement la défense d’un féodal et même d’un Roi n’est pas basée sur la mobilisation populaire et la levée en masse mais la recherche et l’achat de compétences là où elles se trouvent : Jeanne d’Arc sera secondée par un capitaine Piémontais et par un Breton qui s’avérera posthumément encombrant : Gilles de Ray étant aussi un pédophile « serial killer » d’une telle échelle qui a fallu finir par sévir. Néanmoins au XIXème siècle, le mythe de Jeanne précurseur de la Nation Française prend bien, supporté par la gauche mais dédaigné à droite. Seul Mgr Dupanloup sous Napoléon III tentera pour la première fois d’en faire une héroïne d’union sacrée en quelque sorte bonapartiste elle aussi. Sans grand succès précisément à droite mais l’idée restera. Et lorsqu’après avoir constaté sa défaite lors de la bataille de 1905 de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’église catholique cherchera à faire la paix avec la gauche laïque, c’est elle qui va ressortir Jeanne d’Arc en héroïne d’union nationale avec un gros appel du pied en 1909 qui est sa béatification (stade préliminaire a la canonisation comme sainte). En terme de sainteté la cause était pourtant délicate : peu de bonnes œuvres à mettre en avant, en particulier aucun indice de charité chrétienne, des miracles parcimonieux, le plus spectaculaire étant de découvrir façon « Les Visiteurs » dans une église une vielle épée rouillée dite de Charles Martel et de la voir redevenir instantanément resplendissante par un miracle antirouille. A noter au passage que Jeanne d’Arc cassera cette épée sur le dos d’une prostituée lorsqu’elle voudra éradiquer la prostitution des campements de ses soldats. Abolitionniste radicale, elle tuera d’ailleurs de ses mains à l’arme blanche une prostituée.
Pendant la 1ère guerre mondiale, côté français l’union sacrée est cette fois réellement réalisée. En particulier, la hiérarchie catholique française s’opposera aux tentatives du Pape d’une paix blanche négociée en 1917 et les laïques en seront reconnaissants à Monseigneur Amette, considéré comme un vrai français, quoi qu’en soutane. Si bien qu’en 1920 à la demande de la gauche et de la droite française réunies, le Vatican, qui veut se faire pardonner sa neutralité pendant la première guerre mondiale, va canoniser Jeanne d’Arc et le Président Paul Deschanel de décider de fêtes nationales récurrentes célébrant la nouvelle sainte.
Une variante du mythe patriotique est celle de la Sainte bergère prolétaire agricole dont la devise est celle des ordres mendiants qui culminera dans l’héroïne humanitaire de Brecht « Sainte Jeanne des Abattoirs ». Ce n’est que sous Vichy que la gauche est expropriée du mythe de Jeanne d’Arc qui devient propriété exclusive de la droite et de son église sur le thème de « la France fille aînée de l’église ». S’y ajoute un aspect pratique : la transposition de l’anglophobie de Jeanne d’Arc dans celle contemporaine de Vichy dont il faut rappeler comme exemple que Laval et Pétain ont félicité le Chancelier Hitler d’avoir rejeté à la mer la tentative anglaise de débarquement de Dieppe de 1942. Après la défaite nazie, l’église bat en retraite et Jeanne d’Arc est à nouveau repeinte d’une couche de nationalisme patriotique laïc et de défense du territoire national. Mais ses commémoration n’ont plus d’ampleur nationale et se limitent à Orléans, où la levée du siège est commémorée les 7 et 8 mai depuis toujours, ainsi qu’à Reims lieu de son unique victoire politique : le couronnement de Charles VII à l’issue d’un raid militaire express en territoire hostile mais où on ne l’attendait pas. L’avant dernière carrière nationale de Jeanne d’Arc est celle de la tentative d’adoption par le Front National qui la verrait bien en ancêtre des colonels factieux de la guerre d’Algérie, puisqu’elle n’obéit pas aux ordres du pouvoir politique, pour l’idée qu’elle se fait du bien du pays. Notons que cette attitude n’a réussi ni à l’une ni aux autres….la tentative d’en faire une héroïne xénophobe échouera plus encore sur les souvenirs de Michelet que sur la réalité historique effectivement très éloignée.
La dernière carrière récente de Jeanne d’Arc, est celle de vedette télévisuelle dans de multiples émissions à la recherche des mystères de l’histoire vus par le petit bout de la lorgnette. Le véritable miracle et le véritable mystère de ce mythe increvable de Jeanne d’Arc est en fait pourquoi elle, et pas sa consoeur brûlée à Paris l’année précédente par exemple ? La réponse me parait rémoise : c’est l’affaire du sacre, coup de génie de communication politique dont on se souvient encore aujourd’hui après plus de 5 siècles.