Après avoir fait figure de modèle pour son réseau de bus, la Ville de Reims, ayant fait la dépense importante d’une ligne de tram, se retrouve en face d’un système de transport public plus coûteux et moins efficace. Avec un exploitant privé en délégation de service public ( DSP ) lourdement déficitaire qui met Reims devant le dilemme d’accepter de réduire la voilure et le service rendu, ou de remettre au pot en augmentant sa subvention annuelle. Comment en est on arrivé là et comment en sortir?

Arrivée du tram à Reims
Les problèmes de circulation de Reims
Les transports à Reims sont caractérisés par deux transhumances pendulaires: les navettes régionales liées à son rôle de métropole, les déplacements de sa périphérie vers son hypercentre. La ville s’est développée en cocardes de zones étanches entre elles à la suite de deux événements méconnus:
l’avortement du plan de reconstruction post 14-18 ( plan Ford ) dont les axes de drainage n’ont pas été terminés, larges avenues de 300m seulement de nulle part à nulle part, laissant par exemple les cités jardins en îlots abandonnés au loin.
l’abandon du centre ville en zone résidentielle dans les années 50, le Maire Bride a même été déposé par sa propre majorité pour avoir voulu un centre ville vivant, défi intolérable pour les forces économico-politiques contrôlant les offices de logement para publics qui avaient décidé de construire de grands ensemble au loin, laissant la bonne société en paix dans l’hypercentre….
Les déplacement régionaux sont à 94% automobiles. Les déplacements intra-urbains sont de 8 à 15 % en transports collectifs selon la façon de compter. Leur clientèle est captive ( trop loin, trop pauvre ) pour l’essentiel. Seules les villes dont l’offre est assez diverse et maillée peuvent gagner au delà de 20 à 25% de transports en commun et casser leur ségrégation sociale.

Bus à « haut niveau de service »
Le tram
Le tram est un outil de cette ambition. Mais il faut pour cela atteindre un réseau et non une ligne isolée et trop courte comme on va le voir. La courbe coût/bénéfice du tram n’est pas une droite. Elle est très plate à son début, de fort coût et faible service, puis s’améliore avec le maillage du réseau en plusieurs lignes…. dont nous n’avons pas les moyens !
Parlons gros sous…..
« Quand on cause pognon, à partir d’une certaine somme, tout le monde écoute » a dit M Audiard. Ce n’est hélas pas vrai pour l’argent public, que tout un chacun voit comme des chiffres cosmiques hors de proportion de son propre budget et donc aussi inintelligibles qu’incommensurables… nous simplifierons et resterons donc dans des ordres de grandeur sans détailler…
Les transports publics dans notre pays ne sont jamais équilibrés par leurs recettes de billetterie. Celle-ci atteint rarement plus de 15% des dépenses de fonctionnement. Sans parler des investissements..
La ligne de tram a été financée par une sorte de partenariat public privé, la collectivité ayant augmenté sa subvention transport annuelle de 15 M€/an pour 30 ans ( en gros elle l’a doublée ). En prélevant comme recette nouvelle, l’extension au taquet légal de 1.8% de la masse salariale, du versement de la taxe transport des entreprises auparavant à 1%. La ligne payée cash aurait coûté 300 M€ + les frais de déviation des réseaux pour 75 M€. La concession au privé a permis de ne pas emprunter, celui-ci le faisant à la place de la collectivité ( et plus cher ) et celle-ci remboursant en fait cet emprunt. Pourquoi? Pour ne pas faire apparaître ces 300 M€ dans la dette de la ville qui aurait été considérée comme excessive si on n’avait pas poussé cette dépense à crédit sous le tapis. Mais il faut retenir que la collectivité ne peut plus trouver de vache à lait taxable, et que la charge annuelle qu’elle supporte est déjà la limite du tolérable. S’il fallait l’augmenter, il faudrait tailler ailleurs dans d’autres dépenses.
En terme de fonctionnement, la ligne de tram représente la moitié des coûts de l’ensemble du réseau. Pour au mieux un tiers du trafic.
Les déséquilibres du réseau actuel.
Faute de tram-train irriguant la région, le tram rémois urbain ne pourrait aider à limiter la circulation liée aux pendulaires régionaux que s’il allait intercepter sur 2 des 5 axes la circulation automobile hors de l’agglomération. A Champfleury, pour l’axe Épernay, vers l’ex BA112 et la sortie de l’autoroute A26 pour l’axe Laon. La ligne a été limitée par l’argent de la taxe transport disponible. Elle est donc trop courte. Et il est assez illusoire de demander aux pendulaires de laisser leur véhicule à Croix-Rouge ou Orgeval… Ce sont des recettes importantes qui échappent là.
Le trajet de la ligne de tram a, de plus, été choisi selon une logique de population et non de destination. La logique de destination aurait été de desservir Tinqueux/Thillois et Cormontreuil. La logique retenue a été de relier des quartiers denses d’une population captive des transports en commun. En zigzagant ensuite pour drainer le maximum d’habitants dans la bande de 400 mètres. Malheureusement, les quartiers distaux donnent peu de trafic en période de chômage, d’exclusion du travail et de la vie sociale. Leur restructuration inéluctable à long terme les dé-densifiera également.
Un autre parti pris néfaste a été de détruire systématiquement la circulation automobile et le stationnement sur l’axe du tram au lieu de l’intégrer dans la circulation. Si bien qu’avec l’espacement accru des arrêts ( deux fois moins fréquents que ceux des bus ), la ligne, hors des zones piétonnes, ressemble à la route de la soie, avec des oasis et caravansérails blottis autour des arrêts. Et un désert entre eux.

Caravansérail dans le désert sur la route de la soie.
Cette attitude justifiée en zone piétonne est catastrophique au delà, par exemple avenue de Laon qu’on ne peut imaginer quartier pédestre avant longtemps… Une zone piétonne, si elle ne s’appuie pas sur une déserte périphérique automobile comme un réseau dense de transport en commun et non un simple axe de drainage par le tram, est vouée à devenir une mer des Sargasses.
Mais le déséquilibre le plus important du réseau actuel est celui de l’articulation bus/tram. La moitié des bus épargnée par la ligne de tram n’a pas été redistribuée mais supprimée comme économie pour l’exploitant. La collectivité ayant obtenu de mettre dans le contrat de fortes pénalités pour le non respect éventuel des critères de service rendus négociés ne s’est pas méfiée…. pour, 2 ans après, faire cadeau de ces pénalités à l’exploitant, compatissant à son déficit. Outre les sommes en jeu, le risque est aussi de voir les candidats malheureux de l’appel d’offre venir tendre leur sébile avec une mendicité agressive et véhémente…
L’articulation bus/tram n’a pas été conçue en arête de poisson mais en deux « hubs » terminaux et un « hub » central. ( faute d’un nombre suffisant de rames de tram pour une desserte cadencée, et d’un nombre suffisant de bus ). Malheureusement, les hubs aux deux bouts sont mal placés sur une ligne trop courte, le hub central draine en centre ville les bus qu’on aurait voulu en exclure. Et par moins d’artères qu’auparavant vu la neutralisation des rues de l’axe du tram. Les trajets en bus sont ainsi allongés et moins pratiques dès qu’il y a trajet composite. Tout incident ou retard sur la ligne de tram, paralyse ou désorganise la desserte des bus.
Le résultat est que les usagers votent avec leurs pieds et que la fréquentation du réseau n’a pas augmenté voire baissé, malgré la crise augmentant en principe la clientèle captive des transports en commun.

Bus à « haut niveau de service » et guidage optique dans la circulation
La mauvaise et la bonne solution
La mauvaise solution est de considérer qu’il faut réduire le déficit par la réduction des coûts de fonctionnement et donc réduire à nouveau les bus et le service assuré. Outre de léser gravement les usagers, on peut prédire un nouveau rétrécissement de clientèle, la baisse des recettes et une spirale infernale avec des rallonges successives et régulières de la part la collectivité prise au piège. Le stade ultime serait de ne plus considérer le tram comme axe structurant mais de le réduire à une ligne de bus comme les autres. Avec un immense gâchis….

Un cauchemar à éviter…..
La bonne est de considérer que les transports publics sont une des attributions principales de la collectivité. Et que c’est donc sa priorité d’investissement comme de fonctionnement. Quitte hélas à abandonner d’autres prétentions. Il faut donc terminer la ligne en l’allongeant en sachant que faute de cela, cette ligne est structuralement déficitaire et ne peut l’être que de plus en plus. Revenir vers un modèle de rabattage tram/bus en arête de poisson en augmentant l’offre de bus, indûment réduite. Assurer ainsi un meilleur service permettant d’en espérer des recettes.
Faut il renégocier la DSP, une nouvelle DSP, voire une régie publique? Ce n’est qu’un débat théologique si on ne commence pas par définir un cahier des charges de la restructuration des transports en commun, au premier chef de l’amélioration des dessertes par bus, « standard » ou à « haut niveau de service ». Et de voir ensuite qui est candidat pour l’assurer.
En conclusion
Sachant qu’il faudra payer, il vaut mieux le faire pour remettre sur pied le réseau que par rallonges itératives devant un réseau dégradé et un déficit régulièrement aggravé. Payer pour un service rendu aux habitants plutôt que pour éviter que l’exploitant ne boive le bouillon et ne nous abandonne à l’improviste…
Indispensables aux usagers, Il ne faut pas prendre les transports en commun comme un mistigri politique à apaiser régulièrement, puis à repasser aux suivants….
Annexe:
La situation n’est pas tombée du ciel ces derniers mois et ses éléments sont connus. J’ai de longue date tiré la sonnette d’alarme comme en témoigne cette note de 2012.
Annexe note du 1 11 12
Take home message.
a) Le réseau est structurellement déséquilibré et de ce fait déficitaire. Il faudra payer et sans doute revenir sur la dsp ou la renégocier.
b) la dégradation des conditions de transport en commun est un risque politique majeur. Si le sujet ne préoccupe ni les habitants du centre ville ni les déshérités qui ne travaillent pas, c’est le point négatif majeur de tous ceux qui se lèvent le matin pour aller travailler et habitent hors de l’hypercentre.
Note de travail tram et transports urbains 1 11 12 JHMC
1 Tram.
a Impact. L’impact positif du tram en terme d’image dans la ville et de la ville est considérable. Déconnecté de son utilité intrinsèque comme outil de transport. On peut espérer que le phénomène dure encore quelques années, jusqu’à ce que la mode des bus dits » à haut niveau de service » en sites propres ne gagne en image. Les points faibles de notre ligne de tram sont pour certains prévisibles pour d’autres inattendus. Le plus surprenant et à ne pas reproduire dans l’extension du réseau est l’effet « route de la soie » qui traverse le désert animée aux seules oasis des caravansérails. Les arrêts de trams sont deux fois moins nombreux que les arrêts de bus. Les voies empruntées par le tram ont été délibérément rendues quasi impraticables aux voitures, ce qui n’était pas techniquement obligatoire, et à peu près privées de stationnement. Les piétons ne pouvant traverser le désert, ces axes sont morts côté commerce et animation. Seules les zones totalement piétonnes y échappent.
Le retentissement considérable du moindre incident perturbant durablement le trafic tram et bus est aussi une mauvaise surprise.
b le tracé. Le tracé choisi est une logique de population et non de destination, reliant deux quartiers défavorisés car considérés comme réservoir de clientèle captive. Il parcourt ensuite les zones permettant le plus gros drainage dans la bande des 400 m de part et d’autre. La ligne n’a pas de logique de destination puisqu’elle ne dessert pas les zones d’activité commerciale principales de l’agglomération, si bien qu’elle ne peut ambitionner plus d’un tiers de couverture de la Ville. De plus la ligne est trop courte à chaque extrémité: elle ne se rend pas hors agglo sur les axes de circulation pour intercepter la circulation automobile pendulaire venant travailler ou consommer dans la métropole régionale ( 94% de ces flux sont en automobile ). L’extension vers la gare de Bezannes est ainsi inutile et inutilisée, non seulement parce qu’elle échoue à 400 m et moins 15 m de dénivelé de la gare, mais parce qu’il y a une navette ferroviaire directe vers la gare centrale. Sa logique en fait est de poursuivre vers Champfleury pour un grand parking de transfert et dissuasion urbaine. Le choix Orgeval/Croix-Rouge est aussi responsable du déficit structurel à long terme de la ligne. La densité de passagers potentiels des deux extrémités de la ligne doit en effet inéluctablement diminuer avec le temps et les rénovations et transformations urbaines. En attendant, l’involution d’Orgeval en ghetto où le tram n’est qu’un manège gratuit n’améliore pas non plus la rentabilité.
c aspect financier. La ligne est à la fois très insuffisante en elle-même et comme réseau, tout en étant à la limite de l’effort financier possible. Les promesses électorales de seconde ligne sont hors de contexte: la ligne cash avec les déviations de réseau coûtait plus que la dette totale de la Ville et l’aurait doublée en prêt traditionnel. Le tour de passe passe PPP, évite cette impasse au prix d’une forte rémunération du portage financier, et pour un prix total à peu près doublé. Le tour de bonneteau ne sera pas possible deux fois. Plus gênant encore, le montage d’un exploitant assumant les contraintes d’exploitation d’un contrat dont la partie financière est sanctuarisée, risque de conduire au chantage à la solution de droit privé des gestions impossibles: le dépôt de bilan. Aux soubresauts épisodiques des négociations, on ne peut exclure de devoir reprendre en régie un jour ou l’autre, dans les pires conditions de rapport de force avec les syndicats…. A court terme, c’est la réorganisation de l’articulation Tram Bus qui est à reprendre ( cf infra ). Au delà, c’est l’achèvement de la ligne prolongée à ses deux extrémités qui serait la priorité logique, à la fois comme service et comme base de rentabilité.
d intégration tram bus. La situation est catastrophique techniquement et de grand péril politique en périphérie comme en centre ville.
La négociation par nos prédécesseurs a dérapé comme souvent en faveur du partenaire privé dans sa phase finale, dont les détails s’avèrent désastreux. La redistribution insuffisante des bus épargnés par la ligne de tram, et le nombre de rames de tram insuffisant, ont conduit à abandonner l’articulation en « arêtes de poisson » de plusieurs connexions le long du tram comme colonne vertébrale, pour limiter à trois « hub » en bouts de ligne et place de l’opéra. Les hub terminaux sont mal placés puisque la ligne est trop courte . Et le hub central conduit en centre ville une noria de bus, par un nombre d’artères limité par la disparition de l’axe du tram lui-même. Si bien que l’un des arguments en faveur du tram de limiter le nombre de bus en centre ville en devient amer pour les riverains et que les trajets s’allongent inutilement…. mais la situation est bien pire pour tous les voyageurs contraints à des correspondances tram bus, dont les temps de transports ont augmentés ( plus de 20mn de plus pour Orgeval fac de sciences. Sans parler de l’Europe, la Verrerie, Betheny..etc dont même Bezannes village ), sans parler des cascades de retards lors de la désorganisation des correspondances par le moindre dysfonctionnement du tram. Nous nous sommes contentés de mesures cosmétiques d’arrêts de bus baladeurs qui ne feront pas illusion en 2014. La remise à niveau de l’articulation bus tram et donc du réseau de bus est coûteuse ( 3 à 5 M€/an ) mais indispensable et prioritaire. In fine, elle peut devenir rentable, un réseau d’une meilleure logique devant voir sa fréquentation et donc ses recettes s’améliorer.
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Bonjour Pr Cohen,
Très bonne analyse. A part Strasbourg, quelle ville a réussi à rendre le Tram efficace?
Tous les édiles ont regardé Strasbourg comme un modèle en terme d’image et ont voulu le copier.
Mais la seule chose qu’ils ont voulu copier c’est l’équation je veux l’image ville jeune et dynamique—>TRAM—>élection. Alors que l’équation de Strasbourg c’était ville saturée par la voiture, forte circulation pendulaire sur un seul couloir nord-sud—-> lignes de Tram longues, parking extérieur à faible coût, TRAM train, fermeture du centre ville à la voiture—->amélioration des conditions de transport pour tous.
Encore une fois à Reims on a la création d’un éléphant blanc, hors-sol, faite par une majorité pour marquer son passage (j’ai bien une métaphore sur les chiens qui marquent leur territoire mais ce serait vulgaire). C’est le centre des congrès all over again, « je l’ai voulu pour Reims » dixit J. Falala, il était bien le seul à l’avoir voulu…