La Mittel Europa de l’empire austro-hongrois se rappelle à notre bon souvenir dans son confin le plus inextricable:
La presse a rapporté un incident armé qui a vu le décès à Mukadevo de deux membres de « pravyi secktor » secteur droit (PS), Suivi de protestations nationales de ce mouvement…

La Ruthénie se situe à l’extrême Ouest de l’Ukraine, contiguë avec la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Pologne et non loin de la Moldavie. Source http://travel.kyiv.org
La Ruthènie est le plus mauvais endroit pour un conflit armé, même limité, dans l’ouest de l’Ukraine…..
PS est un groupe armé d’idéologie d’extrême-droite arborant même parfois les emblèmes des collaborateurs locaux des nazis, fer de lance de l’occupation de Maidan, et armée privée pro-Kiev indépendante dans le conflit à l’est de l’Ukraine. . . Mais qu’est ce que la Ruthénie?
Un peu d’Histoire-Géo….
Le lieu n’était plus guère connu récemment que pour la présence autrefois de radars géants soviétiques, à l’extrême ouest du territoire de l’URSS. Mais son passé peut conduire à une situation potentiellement explosive. Que la zone soit appelée Ruthénie, Transcarpatie, Karpatian Russland, ou Néorussie de l’Ouest, il s’agit de l’extrême pointe de la Slovaquie de 1918, proclamant son indépendance en 1939 lorsque Mgr Tiso demanda le protectorat du Reich pour la Slovaquie lors de l’invasion de la Tchéco-slovaquie.
Ce qui dura….4 jours car la Hongrie envahit la Ruthénie immédiatement en souvenir de toute la région perdue en 1918 de Kaschav ( Kosice de nos jours, hongroise à 80% à l’époque…) à Munkacs ( Mukadevo, Mukacheve, ou Moukatchiévo selon la langue et transcription contemporaine retenue…) en passant par Ungvar ( devenu Uzhhorod ou Ujhgorod )…
il faut dire que la population locale est faite de tout sauf d’Ukrainiens…. une bonne dose de Magyars, des Slovaques, un peu de Roumains et de Polonais, et surtout des Ruthènes russes… du temps de la Russie de Kiev avec un dialecte qui serait aux langues contemporaines ce que l’acadien est au français. Il faut ajouter un grand vide: les juifs ont disparu à la seconde guerre mondiale ( 20% de la population totale en 1924, dont la moitié de la ville de Munkacs elle même…qui assuraient l’essentiel du commerce, dont la totalité de celui du vin ). La région est proche, via la Bukovine, de la Moldavie et surtout de la Transdniepstrie sécessionniste pro-russe….
Un carrefour stratégique….
Il faut comprendre la situation stratégique de cette plaine étroite et des vallées montagneuses qui la prolongent: c’est le seul débouché Est de la Slovaquie, le seul passage de voies ferrées de la Russie vers l’ouest au sud de la Pologne, à 2 km de la frontière hongroise actuelle…, le passage du principal gazoduc, et de l’unique voie rapide.
La zone est de nos jours le lieu de tous les trafics et commerces plus ou moins licites, Uzhhorod ( ex Ungvar ) étant poste frontière de l’union européenne vers la Slovaquie, tandis que la Tizsa ( la Theiss autrefois ) conduit aussi à l’UE en Hongrie puis dans les balkans. Ses relations avec le pouvoir central de Kiev sont assez lâches, bénéficiant d’une très large autonomie de facto, grâce à des ressources « douanières » significatives donnant quelque poids dans les discussions avec le pouvoir de Kiev….
Historiquement, la situation névralgique de la zone en a fait le bastion de la révolte anti Habsbourg au 17ème siècle. Et c’est là que le leader communiste hongrois Bela Kuhn envoya à juste titre son armée attendre la jonction avec l’Armée Rouge durant la révolution hongroise de 1919. Qui ne viendra pas. Les troupes roumaines et françaises vont alors le balayer à revers à travers la plaine de Debrecen dans l’est de la Hongrie actuelle. Lénine, peu porté à l’autocritique, assassinera moralement Bela Kuhn en disant qu’il n’avait pas compris l’essence même du marxisme, l’analyse concrète d’une situation concrète. Staline en 1938 l’assassinera physiquement…
Que s’est il passé début Juillet 2015?
La zone et ses « commerces » sont tenus par des féodaux, mafieux, oligarques ( au choix ) reconnus par le pouvoir central, dont le député Lanyo. Il fut soutien du président débarqué par l’insurrection du Maidan, puis s’est accommodé ( et réciproquement ) du changement de régime. Une bande minoritaire est affiliée à « Pravyi Sektor » secteur droit (PS). Les concessionnaires ruthènes de PS ont pensé que leur poids national les dispensait de faire allégeance au féodal local. Les choses se sont envenimées jusqu’à l’emploi de RPG anti-chars contre la police locale. Le féodal local et la police (ou sa milice selon le point de vue ) ont fait monter les enchères, mis en déroute PS et abattu deux membres de PS ( après quand même avoir eu une quinzaine de blessés sous les attaques de PS, dont des cas graves et des civils, c’est à dire de malheureux habitants passant au mauvais endroit au mauvais moment ). Les autres membres de PS sont en fuite et le féodal local fait ratisser la montagne…en ayant obtenu le soutien politique sinon réellement militaire du pouvoir central…
PS a donc lancé une campagne nationale pour démontrer son pouvoir de nuisance et faire plier Kiev. Campagne allant de manifestations classiques, à quelques grenades contre des postes de police envoyant le planton à l’hôpital…en passant par des menaces de grève militaire dans l’est contre les insurgés si on ne reconnait pas à leur troupe un statut militaire…. sans bien sûr qu’il ne soit question de les intégrer ni même de les subordonner à l’armée régulière…
Et la Hongrie voisine?
Le premier ministre hongrois Orban lorgne sur la région depuis le début de la crise ukrainienne, ce qui l’a conduit à une attitude assez conciliante avec Moscou, au cas où une opportunité se présente…. En cas d’incident majeur, genre prise de contrôle par PS rameutant toutes ses troupes tirant à tort et à travers avec chars et lance roquettes multiples, Orban ne renouvellera pas l’erreur de Poutine à Odessa et ne ratera pas l’occasion d’assurer l’ordre et la protection de la population qui l’aura bien sûr appelé au secours. S’il n’y a pas d’incident majeur immédiat, il continuera d’attendre que la situation pourrisse un peu. SI le pouvoir central de Kiev ne pouvait se passer de PS et lui faisait des concessions sur ce dossier, on irait vers une sécession de fait de la région, symétrique de celle de l’est, à laquelle le gouvernement hongrois assurerait soutien et base arrière.
Mais à ce jour, Kiev semble tenir bon devant la surenchère de PS et le pouvoir local de Ruthénie semble gagner la partie.
Si bien que personne hors Ukraine ne parle de Mukadevo…. pour l’instant!
Quelques cartes et images:
L’empire austro-hongrois:
La région après 1918:
(cliquez sur l’image pour l’agrandir. Retour flèche « retour en arrière » de votre navigateur. Source CEE Portal°)
Pendant la seconde guerre mondiale:
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Après 1945:
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On voit sur cette carte les gazoducs converger vers Uzhhorod à la gauche de l’image:
http://www.cee-portal.at/CEE%20PORTAL%20WEBSITE/Maps.htm
Une carte linguistique de l’ukraine:
Le château « Palanok » qui domine Moukachevo fut une prison de l’empire austro-hongrois. Ici en cours de restauration….radicale!
Un lien vers une série de cartes intéressantes:
Cliquer pour accéder à Atlas_de_l_Ukraine_Francois_de_Jabrun_CID_15e_promotion_www.diploweb.com.pdf