Le char à voile et le droit au blasphème

Jacques HM Cohen 9 9 22

Sur les ondes de RCF: LIEN 

La chronique d’actualité, c’est avec le professeur Jacques Cohen qui est avec nous par téléphone. Bonjour Jacques !

Bonjour !

JC, une fois n’est pas coutume, vous voulez nous emmener dans le monde du football, indirectement, puisqu’il y a un match, Nantes-Paris, qui a fait polémique, notamment avec les déclarations de l’entraîneur Christophe Galtier qui ont suscité un peu l’émoi dans le monde politique et dans le monde en général. Il a dit que ses joueurs pouvaient aussi se déplacer en char à voile lorsqu’on lui a demandé si les joueurs du Paris Saint-Germain ne pouvaient pas prendre le TGV plutôt que l’avion.

En effet, ce qui est frappant c’est de voir une réaction qui va jusqu’au Premier ministre en passant par la couverture de Libération pour considérer comme un blasphème cette galéjade et cela rappelle la question du droit au blasphème. Vous savez que la loi en France c’est que le blasphème est permis, sinon, Charlie Hebdo n’aurait jamais eu le droit de publier un seul numéro. Mais la religion écologiste, a aussi des intégristes qui ont décidé qu’il n’en était pas question. 

blasphème

Le crime de blasphème avait été aboli par la Révolution…

Cela montre ce caractère religieux et le fait que si certaines religions ont compris qu’il fallait mettre la pédale douce, d’autres continuent à vouloir anéantir leurs adversaires, ce que bien évidemment je réprouve. Mais on peut reprendre cette question du char à voile et surtout du train contre un avion un peu différemment parce qu’il s’agissait de comparer un voyage en avion et un voyage en TGV. Il s’agissait d’un train spécial : un ATR 42 avec 40 personnes à bord contre un TGV de 700 places avec 40 personnes puisqu’on ne peut pas faire circuler un wagon, il n’y a pas de wagon dans un TGV, c’est une rame entière, je ne suis pas sûr que la comparaison des bilans soit aussi spectaculaire que cela, j’ai même l’impression du contraire. D’autre part, le TGV consomme beaucoup plus qu’un train ordinaire parce qu’il va vite, mais consomme aussi de l’électricité. Quand l’électricité est propre, ce n’est pas grave, la question c’est de voir si l’électricité est propre et va le rester parce que notre électricité propre, c’est lié au nucléaire. Traditionnellement, les calculs sont faits avec 75 % d’électricité d’origine nucléaire. Avec les réacteurs à l’arrêt actuellement, cela ne doit plus être tout à fait vrai, c’est le moins que l’on puisse dire.

blaspheme 2

Saint Louis faisait bruler les lèvres des blasphèmateurs au fer rouge… [In Hérodote°]

Cela permet de prendre la question des énergies d’un point de vue un peu plus large. Les énergies non pilotables posent le problème de ce que l’on fait quand il n’y en a pas. Les non pilotables, bien sûr, c’est le vent, puisque personne n’est maître du vent – justement, le vent est bas ou nul au moment où on en a le plus besoin puisque ce sont les marais barométriques qui sont les périodes froides ou les périodes très chaudes – et puis le soleil qui par définition est non pilotable la moitié du temps (il ne fonctionne pas tout le temps). Le problème c’est le stockage de l’électricité, puisqu’on ne sait pas le faire. La seule solution pour l’instant à peu près efficace ce sont les barrages de basse altitude et de haute altitude que l’on remplit avec l’électricité la nuit quand on ne consomme pas trop et on les vide le jour, mais nous ne sommes pas assez équipés pour cela. Les Suisses le sont, c’est ce qui permet d’ailleurs aux Allemands d’acheter de l’électricité verte et pieuse aux Suisses qui est en fait de l’électricité nucléaire française qui a servi à faire remonter la flotte pendant la nuit. Mais actuellement, nous ne sommes plus capables de ce commerce triangulaire et tout le système se dégrade.

Donc si le bilan énergétique de l’électricité passe par de plus en plus de gaz (mais en fait de charbon puisque le gaz, nous allons être en pénurie), la comparaison, pour y revenir, du TGV et de l’avion ne sera pas terrible. D’autant que l’avion a encore une carte dans la manche qui est d’utiliser du carburant biosynthétique, dont un certain nombre sont en développement.

En effet, il faut regarder les choses d’un peu plus haut : nous avons une urgence de lutter contre le réchauffement de la planète. Un des paramètres sur lequel nous pouvons agir c’est le CO². Nous pouvons réduire notre empreinte de CO² et pour cela, comme nous sommes pressés, nous n’avons pas l’embarras du choix, il n’y a que le nucléaire à l’échelle nécessaire. Le nucléaire plus de petites choses que l’on va voir rapidement après. Le nucléaire pose des problèmes de déchets, nous avons pris du retard et nous n’avons pas les centrales surégénérateurs de génération suivante qui auraient laissé beaucoup moins de déchets, mais dont les calculs préliminaires n’ont pas été faits depuis l’arrêt en 1992. Même il y a 2 ans, on a arrêté un réacteur expérimental, et annulé son remplaçant. Ou plutôt, on a arrêté son projet parce qu’on n’y croit toujours pas et que cela va nous manquer durablement parce que les cycles nucléaires sont très longs (il faut 10-15 ans au moins pour développer). Mais en l’état, nous avons des centrales possibles et nous ne pouvons faire autrement que de développer un grand nombre de centrales. Je rappelle que dans les années 70, on a été capables de décider de faire 60 centrales et on les a faites en 10 ans. Donc il ne faut pas non plus prétendre que le moindre boulon du nucléaire demande 50 ans pour sa définition.

Il y a quand même d’autres choses auxquelles il faut penser qui est d’avoir le meilleur rendement énergétique, c’est-à-dire d’utiliser des carburants qui ont le maximum d’énergie produite par kilo. De ce point de vue, il faut voir que le bois dont on fait grand cas actuellement est une assez mauvaise énergie. Alors, vous me direz, le bois, il a servi à l’entrée à capter du CO² le temps qu’il était vivant et après, ce n’est pas trop grave que l’on en relâche. Le problème, c’est qu’il ne faut pas en lâcher autant et même un peu plus. Puis, le bois a un autre problème, c’est que la fumée est cancérigène. Le premier protocole de protection de l’environnement, celui d’Aarhus en 1998 délibérément visait à réduire le chauffage au bois. Il en reste quelque chose d’important c’est qu’en période de pollution à Paris, il est parfaitement interdit, du moins en théorie, de faire du chauffage au bois à cause de la nocivité de ce chauffage. On a actuellement des choses qui sont annoncées du point de vue de l’image écologique, mais qui en termes de lutte contre le réchauffement climatique, ne le sont pas.

Il y a encore 2 choses que je voulais vous dire aujourd’hui. D’une part, le méthane. Le méthane c’est très bien, à condition que l’on n’en perde pas en route parce que c’est un gaz à effet de serre 20 fois plus puissant que le CO². Or, dès que l’on perd 5 % dans un méthaniseur, même éventuellement sur le tas de fumier avant de le mettre dans le méthaniseur, on a annulé le gain du méthane. Si en plus on doit extraire et purifier ce méthane pour l’injecter dans le réseau et ne pas faire de la cogénération en local, et bien là, on perd encore 15 %, et si on doit le liquéfier, on en perd encore 15 %. Vous voyez que tout cela finit par avoir des bilans extrêmement tangents.

En dehors du nucléaire, il y a quand même une chose qui peut être tout à fait efficace, paradoxalement, c’est qu’on a une chance sur la planète : 40 % de la pollution en CO² vient des centrales électriques à charbon anciennes qui sont dans les pays que l’on dit pudiquement en développement et les centrales modernes polluent 2 fois moins. Donc, le fait de leur vendre, ou plutôt de leur offrir, des centrales à charbon polluant 2 fois moins permettrait déjà une énorme économie avant l’étape suivante qui serait d’arrêter complètement le charbon. Mais d’annoncer que nous arrêtons le charbon alors que chez nous c’est epsilon par rapport à 40 % de la pollution mondiale, c’est un peu ridicule.

Qui plus est, les Allemands, pour des questions de guerre avec l’Ukraine, ont choisi de remettre en service les centrales au charbon et nous faisons pareil à Saint-Avold. Donc, la seule solution immédiate sur le charbon, c’est d’offrir des centrales moins polluantes aux pays en développement, paradoxalement, puis dans les générations suivantes, on pourra les supprimer. Il faut donc développer des prototypes chez nous, rapidement transférables. Donc, vous voyez que ce charbon et le nucléaire, si nous sommes réellement décidés à lutter contre un réchauffement, ce sont les éléments principaux. Je voudrais rappeler que la circulation automobile privée, sur laquelle il y a une grosse focalisation, représente à peine 5 % du dégagement mondial de CO², je ne parle pas des camions, bateaux, etc.

Vous voyez que nous sommes dans une histoire de foi et d’images saintes sur lesquelles il ne faudrait pas blasphémer, mais le blasphème a un avantage, c’est qu’il aide à réfléchir parce que le blasphème c’est l’ironie, c’est la distanciation, et que la réflexion de l’esprit humain est pour moi quelque chose de plus important que des vérités révélées, car notre esprit est capable d’aborder les choses, que cela aboutisse ou non à une conclusion ou à une autre concernant la divinité.

https://www.herodote.net/Un_delit_politique_plus_que_religieux-synthese-2795-83.php

Ce sera sur cette réflexion que vous laisserez nos auditeurs aujourd’hui, JC. On vous retrouve la semaine prochaine. À très bientôt Professeur !

À très bientôt !

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