Jacques HM Cohen 1 9 2022
Sur les ondes de RCF: LIEN
Jacques Cohen :
Il fait sa rentrée lui aussi cette semaine, le professeur Jacques Cohen, pour sa chronique d’actualité. Professeur, bonjour !
Bonjour !
On s’était quittés avant l’été en parlant du Monkeypox et ce sera le premier objet de votre chronique d’actualité pour cette saison 2022-2023. Le Monkeypox, quelles sont les nouvelles de l’été, JC ?
Le virus a passé l’été lui aussi et il y a une bonne nouvelle, c’est que l’épidémie se ralentit. Alors, il y a plusieurs explications possibles. Il y a un état d’esprit là-dessus qui est peut-être de penser que finalement, c’était beaucoup d’inquiétudes, mais cela va disparaître : c’est assez peu probable. En fait, c’est une affaire lente. Le virus a 3 semaines d’incubation, la contagiosité, pour ce virus, est portée par les surfaces contaminées par le virus sécrété, que ce soient à partir des tissus ou par contact direct bien sûr.
Mais comme il est très solide, il peut contaminer en retard à partir des vêtements, draps ou lingeries contaminés. Donc, c’est une affaire lente et on est un petit peu dans la situation du début du Sida, c’est-à-dire qu’on a eu une épidémie limitée à des homosexuels masculins à partenaires multiples, puis qui ensuite s’est modifiée. Au début, elle montait très vite ou du moins, elle montait de façon exponentielle et il y avait des calculs pour dire qu’on allait avoir des millions et des millions de contaminés et puis un beau jour, cela s’est arrêté. Non pas arrêté tout court, mais arrêté de monter. On passe à une phase endémique à un certain niveau d’activité qui va quitter extrêmement lentement, mais va quitter ce milieu d’origine de l’épidémie pour devenir la même chose que l’HIV, c’est-à-dire une maladie sexuellement transmissible, ou là, une maladie par contact occasionnel indirect qui s’installera dans la durée, c’est l’hypothèse la plus probable.
L’autre hypothèse est beaucoup plus optimiste, c’est qu’on a remarqué dans les épidémies africaines de ce virus MKP que les bouffées ne dépassaient pas 7 passages successifs chez l’Homme et on pensait au départ de cette épidémie, dès qu’on a eu la séquence, on s’est dit pas de chance, ce n’est pas comme cela puisqu’il y a 23 mutations alors que d’habitude, les Orthopoxvirus ne mutent que très peu (une ou deux mutations). Donc on s’est dit depuis 2017, il a dû tourner chez l’Homme à bas bruit et c’est pour cela qu’il a beaucoup muté et que maintenant il est adapté à une diffusion continue, ce qui, je le répète, est l’hypothèse la plus vraisemblable. L’autre hypothèse c’est que ces mutations sont venues d’un aller-retour chez l’animal, et qu’ils gardent cette curiosité de ne pas passer très bien chez l’Homme et de se limiter à 7 passages après quoi, le virus dégringole. On ne peut pas en être sûr ! L’autre hypothèse du passage à la phase d’endémie est beaucoup plus vraisemblable.
Alors, la phase d’endémie, cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de bouffée. En France, on a déjà une bonne soixantaine de dames contaminées, il y a une quinzaine d’enfants, heureusement pas trop jeunes puisque l’on sait que c’est plus grave chez les enfants très jeunes, et il est à prédire que les bouffées suivantes seront des histoires en milieu scolaire ou de crèches dans un délai qui est très dur à définir. Donc, vous voyez, ce virus est lent – 3 semaines, c’est le même délai que les oreillons – et résistant sur les surfaces. Par exemple, les Anglais avaient contaminé, au Canada, les Indiens en leur donnant des couvertures qui avaient servi à des gens ayant fait la variole. Vous voyez, la famille des Poxvirus est très résistante sur les tissus ou les papiers une fois desséchés. La contamination se fait donc sur un cycle de 6 semaines. Les mesures les plus strictes évidentes au départ, c’est-à-dire d’isoler les patients n’ont pas été prises, sauf par exemple au Japon où il n’y a eu que 4 cas, dont l’un d’entre eux est arrivé à l’aéroport depuis la France avec des pustules. Il a été isolé pour 3 semaines strictement et il n’y a pas eu de cas secondaire, mais malheureusement, ce n’est pas ce qui s’est fait le plus souvent. Donc, en dehors de cet isolement, ce que l’on a fait c’est d’essayer d’utiliser le vaccin Bavarian Nordic, un vaccin de troisième génération destiné à protéger contre la variole en cas de bioterrorisme et qui protège moins bien d’ailleurs du MKP que de la variole.
J’allais dire, JC, c’est étonnant, vous ne nous avez pas encore parlé du vaccin. Peut-être que le vaccin a joué un rôle efficace dans cette histoire.

Réponse induite par le vaccin Bavarian Nordic appréciée par elisa ou anticorps neutralisants des plaques d’infection virale en culture cellulaire. On voit une durée très brève de la protection induite par ce vaccin après 2 doses y compris intra- dermiques . Frey et al https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26143613/
C’est assez peu vraisemblable. D’abord parce que si les épidémiologistes disent que la contagion pour eux est de 3 jours à 3 semaines, cela veut dire que la plupart du temps, ils ont loupé la contamination d’il y a 3 semaines puisque le cycle du virus, lui, est strict et qu’il n’y a pas de contamination express. Donc, déjà, beaucoup de choses passaient sous les radars. Ensuite, ce vaccin a été donné à ceux qui le voulaient et aux sujets contact, mais les sujets contact, je viens de vous dire que c’était très difficile de les déterminer et qu’il aurait fallu une vaccination de barrière, c’est-à-dire tout le milieu concerné et tous les gens au contact de ces derniers.
Mais de toute façon, on n’avait pas beaucoup de vaccins et on n’a pas voulu employer les stocks stratégiques, si tant est qu’ils n’aient pas été détruits, de vaccins antivarioliques traditionnels. Je rappelle qu’il y a 3 générations de vaccins antivarioliques, la première est un vaccin vivant cultivé à flanc de vache ou de veau que l’on récole là-dessus, c’est le vaccin historique qui s’est employé jusque dans les années 60 largement. La deuxième génération c’est le même virus vivant sur des cultures cellulaires, c’est déjà un milieu un peu plus contrôlé. À noter que ce vaccin vivant qui est la vaccine historique présumée venir de la vache, en fait a toutes les chances de venir plutôt du cheval, c’est assez amusant. Il a d’ailleurs donné une épidémie chez les chevaux en Mongolie parce que ce vaccin se diffuse. Il peut se promener chez l’Homme tout seul ou dans d’autres espèces et le cheval en Mongolie est apparu être un bon terrain pour une épidémie qui s’est éteinte à la fin des années 70. Donc, ce vaccin-là avait quelques effets secondaires bien moindres que la variole. Pour donner un ordre de grandeur, quand on a immunisé 25 millions de vaccinés en France en 1954, on a eu 39 encéphalites, dont 13 décès, et je vous rappelle aussi qu’à l’époque, on ne savait pas ventiler les gens, donc toute coma qui obligerait aujourd’hui à mettre sous respirateur quelques jours, à l’époque était mortelle. Donc même si on prend cette base, on en est à 0,5 morts par millions ce qui est très différent de la maladie qui a Vannes a tué 22% et même 28% avant 10 ans. La maladie MKP actuelle a quand même tué autour de 1 pour mille, même un peu plus parce que cette maladie reste grave chez les immunodéprimés, beaucoup plus grave que chez les autres sujets.
JC, vous le savez, le temps passe toujours très vite, je sais que vous avez encore beaucoup de choses à dire, mais quel comportement adopter désormais ?
Ce vaccin, on a voulu l’étirer en donnant une injection sous-cutanée et non plus intramusculaire soi-disant intradermique. J’épargne les détails, mais jusqu’à présent, pour faire ce genre d’injection – c’était le cas du BCG ou du vaccin antivariolique – on utilisait à chaque fois un dispositif particulier : une aiguille bifide dans le cas du vaccin antivariolique, là il n’y en a plus, et on dit aux gens de réussir des injection intradermiques ( ID ) précises ce qui parait totalement irréaliste. C’est un métier que de faire de belles intra dermos ! Il faut piquer pas mal de souris ou de lapins avant de savoir le faire avec une aiguille ordinaire !! On n’injecte d’ailleurs jamais 200µl en ID, mais 4x 50µl. Sinon soit l’injection devient sous-cutanée, soit elle coule sur la peau autour de l’aiguille ou du point d’injection.
En plus, une seule injection, alors que le point faible de ce vaccin de troisième génération, un vaccin vivant, mais non réplicatif, c’est que sa protection demande 2 injections à 1 mois d’intervalle strict, et sinon ne protège guère. et si on retarde la deuxième injection, cela ne montera plus beaucoup la protection. De plus ce vaccin, même dans les meilleures conditions, ne donne une protection que d’environ 6 mois et après, plus rien. Tout simplement, il avait été fait pour protéger le personnel de santé dans l’hypothèse d’une épidémie ponctuelle liée à du bioterrorisme. Comme vaccin dans la durée, il ne vaut rien.
Il est donc peu vraisemblable que la diffusion parcimonieuse du vaccin Bavarian Nordic ait en quoique ce soit influencé la cinétique de l’épidémie.
Comme la niche des Orthopoxvirus dans l’espèce humaine est vide puisqu’on n’a plus vacciné depuis le début des années 80, inéluctablement, ce virus MKP1, ou d’autres éventuellement plus méchants, essayeront d’occuper la niche et il faut donc remettre en place une vaccination générale en essayant de préparer une souche vaccinale qui ait le moins d’effets secondaires possible, mais en acceptant qu’elle en ait quand même un peu et cela, c’est quelque chose que l’on a du mal à admettre dans notre société qui n’aime pas prendre des risques en oubliant que l’assurance peut être un risque et qu’on n’en est content que quand elle montre qu’elle est efficace.
Merci, Professeur JC de nous avoir éclairés dans votre première chronique d’actualité sur le Monkeypox pour cette saison 2022-2023. On vous dit à la semaine prochaine, fidèle au poste et rendez-vous sur votre blog jhmcohen.com pour en savoir plus évident, c’est toujours l’actualité aussi. À bientôt !
À bientôt !
Quelques lectures utiles dont mes sujets précédents, et le seul article rapportant l’usage d’injections intradermiques… et les durées de protection !
Frey 2015:
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26143613/

Réponse induite par le vaccin Bavarian Nordic appréciée par elisa ou anticorps neutralisants des plaques d’infection virale en culture cellulaire. On voit une durée très brève de la protection induite par ce vaccin après 2 doses y compris intra dermiques.
Monkeypox MKP1, un cousin de la variole passe du singe à l’Homme
https://www.mdpi.com/2306-7381/1/1/40/htm
https://www.bavarian-nordic.com/pipeline/technology/mva-bn.aspx
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12543935/
Alternative:
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2939220/
NYT Intra dermo