Jacques HM Cohen 1 7 2022
Sur les ondes de RCF: LIEN en attente
Avec nous, par téléphone, on retrouve le professeur Jacques COHEN pour la chronique d’actualité. Jacques COHEN, bonjour !
Bonjour !
JC, l’actualité, c’est le Monkeypox, un virus que l’on essaye de décortiquer semaine après semaine avec aujourd’hui au programme les vaccins et la stratégie vaccinale. Que voulez-vous nous dire, Professeur ?
Je voudrais commencer par parler des différents vaccins parce que ce sont eux qui sous-tendent la stratégie vaccinale vis-à-vis d’un virus dont le rythme de développement est lent. Le cycle est d’à peu près un mois contre moins d’une semaine pour un Covid par exemple, l’incubation est de trois semaines comme les oreillons, mais ce n’est pas parce qu’il va lentement qu’il ne va pas sûrement. En particulier, il est très résistant, il est contagieux par les surfaces et il semble que la montée soit maintenant inexorable puisqu’on n’a pas coiffé l’épidémie à son début. Quels sont les outils dont on dispose ? En fait, il n’y a pour l’instant guère que les vaccins et il faut reprendre la question de la vaccination antivariolique qui a été faite avec un virus proche, un virus de la famille des pox, celui de la vache qui devrait protéger également, plus ou moins parfaitement – on n’est pas sûrs que ce soit parfaitement – contre le virus dit du singe dont on sait qu’en fait, c’est un rongeur ou un écureuil de forêt Africaine qui est son réservoir naturel. Les grands singes sont malheureusement très malades avec ce virus, c’est pour cela que c’est sur eux que l’on s’en est rendu compte.

Alors, les 3 vaccins, c’est d’abord le vaccin historique que l’on appelle de première génération, c’est de la vaccine cultivée sur vaches ou sur veaux. Aux États-Unis, c’était sur veaux, et cela s’est employé jusque dans les années 70. C’est un vaccin parfaitement efficace qui protège à partir du 11e jour. On vaccinait avant 2 ans, puis avec un rappel à 10 ans et cela dure pour la vie entière. Vous n’êtes pas protégé, je crois, Alexis, mais moi, je le suis. C’est un des rares privilèges de la vieillesse.
Bon, écoutez, Jacques, il faut bien des avantages à tout âge !
Voilà, on peut toujours trouver un bénéfice à quelque chose.
La deuxième génération a été le même type de virus, mais au lieu de le cultiver sur l’animal, il est cultivé sur culture de cellules, cela permet d’être plus sûr de la propreté, etc. Là aussi, ce vaccin n’a pas été extrêmement employé parce qu’il avait été développé un peu au moment où la vaccination a été arrêtée, car il n’y avait plus de malades. Il faut noter d’ailleurs que c’est une production de Sanofi Pasteur et qu’ils seraient capables d’en produire de très grandes quantités dans des délais d’à peine quelques mois parce que ce sont des grandes productions de vaccins et que c’est un vaccin parfaitement calibré et connu. Ces deux premiers vaccins sont des vaccins vivants, de souches proches moins dangereuses que la maladie elle-même chez l’Homme, mais quand même qui, chez des immunodéprimés peuvent donner des ennuis graves et ont un taux d’effets secondaires qui n’est pas négligeable. C’est pour cela qu’il y a une grosse hésitation à ressortir ces vaccins-là pour une épidémie dont on maîtrise pour l’instant assez mal la gravité, non pas l’étendue, mais la gravité des cas. D’après les exemples africains, il semble que la maladie soit grave chez les nourrissons et fasse avorter la plupart des femmes enceintes. Mais on en est même pas totalement certains puisqu’on a comme problème une épidémie actuelle qui s’est produite après un certain nombre de mutations de la souche et que le caractère habituel du virus n’est pas très établi, on n’en est pas très sûr.
La génération dite n° 3, c’est un vaccin qui est un virus d’une souche atténuée ( MVA pour Ankara origine de la souche à l’époque où la géographie n’était pas interdite en virologie humaine ) mais vivante cultivée sur œuf. Mais c’est aussi un virus defectif censé ne pas se répliquer in vivo chez le vacciné. Alors, il parait qu’il ne se réplique pas non plus chez les immunodéprimés, mais j’ai de gros doutes. Cette souche qui avait été commandée à Bavarian Nordic pour pouvoir protéger les personnels de santé en cas de bioterrorisme, son degré d’efficacité sur le Monkeypox n’est pas du tout établie et elle a un autre problème c’est que l’on sait que la première injection ne donne pas grand-chose, il faut en faire une seconde. Il semble qu’il faille la faire plutôt à un mois, si on la fait trop tôt, il y a des ennuis et donc on a une protection convenable au bout de 2 mois. Donc vous voyez que c’est relativement long. Par rapport aux stratégies vaccinales, justement, cela conditionne des choses. D’abord, ce vaccin de troisième génération on n’en a pas beaucoup de doses disponibles
C’est embêtant.
Oui, donc on a d’abord dit qu’on allait vacciner les sujets contacts sur un traçage de cas et ça, c’est un désastre, car il faut bien voir que le foyer initial est une propagation comme maladie sexuellement transmissible dans une population d’homosexuels à partenaires multiples. Mais cela va en sortir, cela a commencé, il y a déjà deux cas infantiles en France, il va y avoir d’autres cas inéluctablement. Donc cette première stratégie n’a pas fonctionné puisqu’on s’est retrouvés à avoir finalement vacciné moins de personnes qu’il n’y avait de cas. C’est-à-dire que pour un seul cas, les sujets contacts, on en avait moins que de malades alors que l’épidémie inéluctablement se répandait. Les associations qui soutiennent ces populations se sont émues en disant que c’était une discrimination, que c’était pour cela qu’on ne faisait pas comme il fallait et ont commencé à exiger que l’on puisse vacciner plus large. Il faut dire qu’au départ, il y avait aussi l’inquiétude de ne pas discriminer qui a pu jouer dans l’autre sens. L’activisme des associations est ici finalement utile. L’attitude actuellement retenue est de dire que les gens qui se sentent à risque, qu’ils aient ou qu’ils n’aient pas eu de contact connu, devraient se faire vacciner.
Le problème c’est qu’avec un vaccin de troisième génération, donc un vaccin dont on a vu qu’il était très lent à agir, même si c’était efficace, cela ne sera pas transcendant. De plus, on en a très peu, on espère avoir une production, on en a quelques petites dizaines de milliers, je crois qu’on a commandé 200 000 doses pour l’Europe, mais pour la fin de l’année, on devrait être autour du million, million et demi de doses disponibles. Tout cela ne va pas bien loin par rapport à ce qu’il faudrait faire. En effet, la seule solution pour endiguer l’épidémie c’est la vaccination de barrage, c’est-à-dire de vacciner les populations non pas par contact, mais par zone, c’est-à-dire que ce soit par zone géographique – par exemple la classe pour un gamin – ou que ce soit par habitude professionnelle ou habitude extérieure, comme ce qu’il s’est passé au départ en se basant sur le comportement des gens. Pour cela, on a manifestement un vaccin de troisième génération dont on a des doses insuffisantes, il va falloir des mois pour en avoir plus et également une efficacité, ne serait-ce que pour sa vitesse d’immunisation qui ne va pas marcher.
Donc on se pose sérieusement la question – et le New York Times l’a expliqué pour les États-Unis alors qu’en France on n’en dit rien – de savoir si on ne va pas devoir ressortir des vaccins de deuxième génération, c’est-à-dire un antivariolique classique cultivé sur cellules plutôt que sur vache, mais avec l’inconvénient d’un vaccin à effets secondaires qui doit absolument éviter les immunodéprimés. Accessoirement, il ne faut pas que des gens pendant la période où ils ont cette pustule au site d’injection, soient en contact avec des immunodéprimés ou des nourrisons parce qu’ils sont contagieux. Ils sont inoffensifs d’un sujet normal à un sujet normal, mais si c’est un sujet immunodéprimé qui le ramasse, là, c’est bien plus ennuyeux.
Encore une fois, tout cela est suspendu à un élément qu’on en maîtrise pas encore qui est : risque-t-on d’observer des formes graves de l’infection MKP ? Si finalement il n’y a pas de formes graves, ce n’est pas la peine d’aller prendre des risques avec des vaccins de deuxième génération. Donc on est un peu coincés entre une troisième génération dont l’efficacité n’est pas prouvée, l’administration pratique n’est pas garantie et des délais ne conduisent pas à une protection, et des vaccins classiques dont nous avons des quantités raisonnables, mais dont on n’est pas sûrs qu’ils n’aient pas un taux d’effets secondaires prohibitif par rapport à celui de la maladie. Donc voilà où on en est pour l’instant.
JC, je pense que vous nous avez fait une belle photographie, on vous a laissé développer votre propos. On arrive au terme de votre chronique aujourd’hui, elle aura été la dernière cette saison pour les auditeurs du magazine régional. On aura le plaisir de vous retrouver l’année prochaine avec de nouveaux décryptages sur l’actualité santé ou autre, pourquoi pas ? On espère un jour pouvoir sortir de tous ces virus tout de même.
Bien sûr ! Nous pourrons non seulement parler des virus, mais de beaucoup d’autres choses.
À très bientôt, Professeur !
À très bientôt !
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