Insurrection et contre-insurrection en France

Ou la stratégie des fondamentalistes islamistes radicaux

et comment s’y opposer

JHMC

Le passage à la lutte armée de la part des trois tueurs de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en France n’est pas un geste isolé d’individus à la dérive mais s’inscrit comme une étape d’escalade de la part d’un mouvement radical hostile à notre pays et à ses institutions. Son fonctionnement est aujourd’hui très largement décentralisé, tandis qu’ Al Qaida Version 1 était au contraire strictement hiérarchisée. Mais les consignes générales données par la propagande de Daesh et al. sont de ne plus seulement considérer notre pays comme une source de militants et de combattants, mais de porter la lutte sur notre sol.

Nébuleuse ou organisation léniniste, le mouvement qui nous est hostile ne considère pas l’action armée comme son seul moyen d’action. Il se conforme ainsi aux principes de base de la guerre révolutionnaire, connus depuis l’époque coloniale. Nous devons aussi tirer les leçons de l’expérience des contre-insurrections, tout particulièrement de leurs échecs qui ont été plus nombreux que les succès.

Les principes de base

A La prise en main d’une population et les sanctuaires « territoires libérés »

Le but des islamistes radicaux est l’installation du califat, comme théocratie conquérante. Il leur faut pour cela s’assurer une base populaire. Ils la cherchent dans la population immigrée musulmane de seconde et troisième génération. Le principal obstacle a longtemps été l’organisation sur des bases nationales des pays d’origine des populations immigrées. L’affaiblissement des régimes arabes correspondant, a permis l’émergence d’un mouvement internationaliste radical, sur des thèmes unifiants comme le soutien aux mouvements palestiniens hostiles au Fatah.

L’étape critique a été franchie de passer du groupuscule à l’encadrement social d’une population plus importante. Ce n’est certes pas la Houma, la communauté de l’ensemble des croyants, mais une large population exclue et déshéritée, sans travail sur plusieurs générations, vivant dans des quartiers pourris par la petite délinquance, la pauvreté, la disparition des services publics et du tissu social. La prise en charge des mosquées de ces quartiers, puis de l’action sociale et de la sécurité, conduit à y installer un mode de vie, l’oppression obscurantiste de la femme, voire des institutions parallèles: on a vu ainsi des mariages religieux sans mariage civil préalable ne plus conduire à des poursuites judiciaires contre l’iman en cause…dans des quartiers où la police hésite souvent à intervenir pour ne pas y déclencher d’affrontements de rue.

1931 édité par le Komintern ( puis désavoué au changement de ligne suivant ).

1931. Édité par le Komintern ( puis désavoué au changement de ligne suivant ).

B Le poisson dans l’eau et la lutte armée

Il n’y a pas de lutte armée possible si les combattants ne disposent pas au premier chef d’une population qui leur soit favorable et qui en fasse des poissons dans l’eau. La ligne de clivage des partisans des assassins parisiens de la semaine dernière est très en deçà du niveau nécessaire pour enraciner des cellules militaires d’opérations coordonnées et récurrentes au delà du feu de paille d’opérations suicides. Et sans doute des espoirs des dirigeants du mouvement islamiste radical. Qui ont probablement appelé à la lutte armée un peu trop tôt.

Les manifestations ont montré que non seulement l’essentiel des français issus de l’immigration nord africaine ou africaine leur était hostile, mais que même dans les quartiers déshérités, l’hégémonie des islamistes radicaux était loin d’être totale, particulièrement chez les jeunes filles, qui travaillent à l’école, veulent s’en sortir, et en sortir.

Il ne faut pas pour autant se voiler la face ( si l’on peut dire ) et ne pas admettre qu’avec un bon million de sympathisants dans des zones géographiques limitées, le mouvement islamiste radical a dépassé le stade du groupuscule pour poser un problème de société.

L’urgence donc pour les ennemis de la République, c’est d’élargir leur base sociale, en exploitant ou en suscitant un rejet des populations d’origine immigrée au delà de celle qu’ils influencent, aboutissant à rendre solidaires de leur action, une population beaucoup plus large, insérée dans le monde du travail. Nous posant alors un problème beaucoup plus insoluble que l’exclusion et l’exérèse d’un mouvement uniquement enraciné chez les exclus.

La plus vieille recette pour cela est de provoquer une répression indistincte ou une vindicte populaire et populiste par quelques attentats….ce qu’il faudra particulièrement éviter.

1938 Chine.  Un peu oublié....

1938 Chine. Un peu oublié….

C Les bases arrières et leurs liaisons

 Il n’y a jamais eu de lutte clandestine insurrectionnelle victorieuse qui n’ait pas disposé de bases arrières, nécessaire à son financement, à sa logistique, à sa propagande extérieure. La déstructuration d’États arabes, au profit d’un émiettement médiéval ( en Libye ), confessionnel ( en Irak ), ou confisquant les axes commerciaux de produits illégaux mais aussi légaux ( en Afrique sahélique et sub sahélique ) est une catastrophe. Les intermédiaires financiers devraient être beaucoup plus fermement combattus. Mais la stratégique US de ramener quelque part entre le moyen-âge et l’âge de pierre les États qui les gênent,  montre là son coût prohibitif pour tous.  Si ces zones ne sont pas réduites par le retour à des puissances étatiques, il ne sera pas possible de les boucler hermétiquement, mais nous pourrons à juste titre tenter d’intercepter le maximum de flux d’entrée et de sortie.

1958 France. "école" contre insurrectionnelle de l'armée coloniale française

1958 France. « école » contre insurrectionnelle de l’armée française dans les guerres coloniales.

D Diviser l’ennemi et paralyser sa volonté de combattre

 S’appuyer, même sur l’intégralité de la population française issue de l’immigration, ne conduirait les islamistes radicaux qu’à une situation minoritaire sans issue, si dans le même temps, le pays continue à refuser son éclatement en communautés juxtaposées et balkanisées, avec un État qui ne serait plus qu’un agglomérat féodal de micro pouvoirs.

Tariq Ramadan, progagandiste islamique aux multiples languages, est le plus exemplaire des combattants présents sur ce front là. Il s’agit de promouvoir, au nom de la tolérance et du vivre ensemble, le chacun chez soi. Et une société éclatée en communautés dont les règles de vie priment, hors de celles de la République.

S’il n’y a guère de « porteurs de valises » à espérer cette fois, il est fort possible à tel ou tel groupe, de monnayer en ce sens son soutien électoral à des politiciens locaux…

Idéologiquement, on peut en revanche dénicher sans trop de mal des « idiots utiles » faisant l’éloge de l’entrée illimitée en France libre et gratuite au nom de la citoyenneté du monde, etc… ou tolérant l’oppression de la femme dès son enfance au nom du libre choix, de l’équivalence des cultures et autres fariboles… L’antisémitisme peut aussi être un thème idéologique de désencerclement, en convergeant avec le fond traditionnel d’une certaine droite française et d’une extrême pseudo gauche.

Pour les islamistes radicaux, il faut sur ce front idéologique, obtenir que l’autogestion et l’indépendance de fait des quartiers qu’ils contrôleront, soient vécues comme naturelles ou du moins trop coûteuses à briser par le reste de la population.

Et bien sûr, que leurs sanctuaires ou « territoires libérés » soit bien plus vastes qu’aujourd’hui. Faute de quoi, la tentation d’en finir par l’expulsion vers leurs bases arrières réunira le reste de la société française. L’enjeu crucial étant l’ensemble de la population française issue de l’immigration, et non pas les seuls quartiers déshérités de chômeurs perpétuels. Le front « communautariste » vise à faire admettre par notre pays cet objectif comme légitime. Les plus abrutis des partisans « identitaires » du FN pouvant même devenir là des alliés objectifs des islamistes radicaux.

Brésil 1969 C. Marighela

Brésil 1969 C. Marighela

La contre-insurrection

Comment traiter les quartiers défavorisés?

Pour sortir les poissons de l’eau: on peut les pêcher…, ou vider l’eau!

La restructuration des quartiers en perdition, n’est pas affaire d’urbanisme décoratif. Ni de mesures individuelles multiples d’aide à l’emploi. Qui sont en fait des aides, faute d’emploi. On peut noter que les trois assassins de janvier 2015 avaient tous bénéficié des multiples aides et encouragements publics mis en place…..

Sans croissance et emploi point de salut ! C’est donc un retour à la croissance qui serait la base à la seule solution « en douceur »: du travail pour qui en veut, et des services publics que personne n’ose plus dégrader dès leur mise en service. Aboutissant à une restructuration profonde de ces quartiers ou à leur destruction/reconstruction.

Il est amer et significatif du politiquement correct des autruches de deux bords, de voir reprocher à M Valls d’appeler un chat un chat et « apartheid » la ségrégation de fait que représente ces quartiers.

En revanche, ses propos sur le peuplement de ces quartiers n’ont pas appelé les critiques méritées: l’image est clairement coloniale, et renvoie à plusieurs situations: le peuplement de contrées aux populations peu denses comme l’Algérie du XIX ème et autres colonisations de peuplement à la fin du XIX ème début du XX ème siècle, refoulant les populations autochtones, ou les exterminant. Les colons étant souvent des pauvres dans leur pays expédiés au loin, ils y furent de piètres « messagers de la civilisation »…… et dans le cas de la dernière vague, les italiens en Érythrée et Éthiopie, une bonne part y resta comme « insabbiati » ( ensablés..! ) après la déroute des armées italiennes.

Addis Abbeba 1991 Deux "insabbiati" ( ensablés )  et la fille de l'un d'entre eux. Imago Mundi Fabienne LeHouerou

Addis Abeba 1991 Deux « insabbiati » ( ensablés ) et la fille de l’un d’entre eux. Imago Mundi Fabienne LeHouerou

Le cas des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie est un bien pire exemple contemporain de fortins assiégés, ne voulant convertir leurs voisins qu’à une chose: le départ des uns ou des autres….

Encourager l’implantation d’habitants représentatifs de toute la société française dans ces zones, comme nouveaux hussards de la République, semble assez naïf en période de crise et stagnation… Détruire certains quartiers et en disperser la population lors de son relogement sera en revanche parfois nécessaire.

Une répression efficace, mais sans bavure ni discrimination

Les poursuites: l’arsenal concernant les individus partis rejoindre un État ou un groupe combattant notre pays existe déjà largement, hors de la seule participation à un groupe terroriste, utilisée jusqu’ici. Avec la limite de nécessiter le passage à l’acte. Les articles du code pénal sur la sûreté de l’État, la trahison et la rébellion contre la République ( dont l’article 411 et suivants ) peuvent être utilisés automatiquement au retour. Des peines conséquentes sont prévues….

Les prisons: le dilemme du regroupement des prisonniers ou leur isolement n’est pas neuf. L’un comme l’autre demandent des locaux adaptés, des personnels nombreux, des dispositifs annihilant les portables sauvages et les wifi. Ce qui n’interdit pas d’en autoriser identifiés et surveillés.

La double nationalité: de grandes et indiscutables démocraties refusent la double nationalilté. Elle peut conduire non seulement à des conflits de loyauté, mais aussi à des conflits de règles de vie, de morale, et de comportement. En revanche, la déchéance de nationalité de nos concitoyens est impraticable.

La fin des compromissions: le démantèlement des organisations mafioso-religieuses ayant trouvé un modus vivendi avec les politiques locaux doit être résolu et généralisé. Il ne doit pas se limiter aux réglements de compte entre potentats du PS marseillais, ni à pousser à la retraite un politicien de droite largement octogénaire. Les peines d’inégilibité peuvent être salutaires et dissuasives pour les élus complices.

Les contrôles au facies et autres vexations sont au contraire parfaitement contreproductives. L’armement des polices municipales conduirait  à la certitude de fournir des bavures, sans efficacité contre des combattants mieux armés et entrainés. Va t on faire tirer 10 000 cartouches de pistolet automatique par an à chaque préposé aux PV pour en faire un tireur d’élite entrainé…. qui aura du mal à manier son boitier ou son carnet à souche en même temps qu’une telle arme: à chacun son travail !!

Du côté des partis politiques: désarroi et manque d’imagination..

Curieusement, et fort heureusement, le concours Lépine des solutions radicales du café du commerce n’a pas pris l’ampleur qu’on pouvait craindre. Personne n’a cité Charles Pasqua et surenchéri sur lui sur le thème « il faut terroriser les terroristes.. »

On a vu ressortir néanmoins l’Indignité nationale, dont les terroristes, qui votent assez peu, se moquent éperdument !  La déchéance de la nationalité française existe déjà pour les binationaux, tandis qu’elle est impraticable pour nos concitoyens.

L’expulsion des délinquants étrangers, à la fin ou à la place de leur peine, n’a pas été mise en avant. Alors que la question peut se poser….et qu’elle a récemment été appliquée à certains imans fondamentalistes et recruteurs!

Conclusion: les valeurs de la République…et la politique étrangère

Réduire le vivier de nos ennemis en leur disputant les descendants d’immigrés. Défendre nos valeurs de laïcité parce que nous pensons non seulement qu’elles sont justes mais qu’elles sont attractives, tout particulièrement pour les femmes !

Détruire les organisations hostiles à la République qui sont souvent à la fois religieuses fondamentalistes et délinquantes banales.

Contribuer à la reconstruction de structures d’État autochtones dans les pays  où se sont installées, par la faute des pays occidentaux, des féodalités islamiques radicales.

Tout ceci est à la fois urgent, mais surtout un objectif de longue haleine à poursuivre avec persévérance…

Une lecture utile:

De Marighella à Ben Laden. Passerelles stratégiques entre guérilleros et djihadistes

http://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2006-2-page-385.htm

3 réflexions sur “Insurrection et contre-insurrection en France

  1. Structuré, documenté, humain et respectueux des libertés publiques. Diagnostic et prescriptions cohérents. Bonne synthèse.
    Un doute cependant sur les voies de la création nécessaire d’emplois. Est ce que cela passe encore par la croissance telle que nous l’avons connue dans les décennies précédentes ? Peut-on faire confiance à la main invisible du marché ou à la volonté des détenteurs de capitaux pour investir et créer des emplois, alors qu’ils recherchent des résultats financiers et à court terme ? Notre planète en a-t-elle encore les moyens ?
    Pour ma part, j’en doute.
    Or, je crois comme vous à l’outil emploi pour apaiser les tensions et dangers que vous décrivez fort bien. Ne faudrait-il pas, réfléchir 1 – au « partage de l’emploi », faute de croissance ? 2 – A remettre en cours pour une partie au moins, fut-ce transitoirement, l’état comment outil d’investissement industriel dans des secteurs de moyen et court terme délaissés aujourd’hui par le secteur privé pour cause de quête effrénée aux dividendes à court terme. 3 – Ceci passe par une fiscalité restaurant la capacité de l’état d’investir.
    Vaste programme. Mais pas plus risqué que le laisser aller actuel dont on pèse les résultats chaque jour depuis l’avènement du dogme de la « création de valeur pour l’actionnaire ».
    A vous relire

  2. Pingback: TERRORISTES : Le niveau baisse ! – Le blog de Jacques HM Cohen

  3. Pingback: Retour des djihadistes : que faire de traîtres bien de chez nous ? – Le blog de Jacques HM Cohen

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