Chronique d’actualité enregistrée sur RCF Reims mercredi 4 mars : http://rcf.fr/actualite/la-russie-1
JPB: Chronique d’actualité avec vous Jacques Cohen, bonjour. L’actualité, c’est la Russie. Tout le monde contre Poutine en ce moment ?! A la suite d’un assassinat d’un opposant politique…
Ceci montre bien l’extraordinaire écart des deux opinions publiques, l’incompréhension qu’elle induit et le danger de cette incompréhension. Vu d’ici on entend accuser, de façon à peine voilée, Poutine d’avoir fait abattre un opposant. Vu de Russie, ça ne tient pas debout. Parce que c’est un opposant qui devait culminer dans les scores qu’aurait Eva Joly. Donc ce n’était pas un opposant bien dangereux du point de vue du pouvoir central. En revanche c’est quelqu’un qui avait des positions radicales de laïcité, de soutien à Charlie Hebdo, qui accessoirement était juif. Et la voiture qui a servi à son assassinat a été retrouvée. Elle est immatriculée dans le Caucase.
Donc pour les Russes c’est de remonter une piste pour une histoire qui ne concerne pas le pouvoir central. Alors que du point de vue des occidentaux, c’est d’expliquer que Poutine est implacable avec quiconque. Et que donc, il a, sinon fait exécuter, au moins encouragé l’anathème sur ses opposants. C’est à la fois, comme toujours, vrai et faux. Poutine est certainement implacable avec d’abord les anciens des services spéciaux qui passent de l’autre côté. Ca c’est un réflexe, j’allais dire, qui tient à sa formation de base. Ensuite avec les oligarques, dans les histoires de fric et de gens qui sont partis à l’étranger ou qui ont disputé des empires avec ses amis. Là effectivement il peut être implacable. Encore que Khodorkovski a fini par sortir vivant. Mais l’affaire Nemtsov donne une impression très curieuse comme symbole des écarts qu’il y a entre les deux perceptions, et du danger de cet écart entre la perception de l’est et de l’ouest.
Alors est-ce qu’on fait une bonne analyse en occident aujourd’hui ? On entend beaucoup parler de lutte contre l’islamisme. Au fond Poutine ne pourrait pas être un allié de l’occident d’une certaine façon
Poutine n’est certainement pas un ami des islamistes radicaux, il a même réussi à éradiquer largement la question dans le Caucase, avec pas mal de difficultés. Il est comme tout le monde, et comme nous, confronté à la résurgence permanente de l’islamisme radical mais ne l’encourage certainement pas. Ce qui est plus à reprocher au régime russe, c’est son instabilité et son insécurité économique. Premier élément, le fait qu’une société qui investisse puisse être priée, légalement ou illégalement, de déguerpir ou de payer, conduit à ce que les investissements étrangers se sont raréfiés, voire se sont arrêtés. Et c’est un grand dommage parce que la Russie a un potentiel considérable mais avec un manque de capitaux. Et son développement économique est entravé par cette insécurité. Le deuxième élément, c’est que la manne pétrolière et gazière est utilisée paradoxalement pour le bien être immédiat de la population, pour obtenir la paix sociale et pas suffisamment pour le futur, c’est-à-dire dans les infrastructures. Il n’y a toujours pas d’autoroute convenable, et même pas d’autoroute tout court, entre Moscou et Saint-Petersbourg par exemple. Et donc là on a un petit peu une consommation qui a eu lieu dans les années fastes du pétrole et du gaz, sans investir pour le futur. Avec la crise du pétrole, ceci se retourne également, plus les éléments de guerre froide qui gênent de part et d’autre, mais qui font bien plus mal bien sûr au plus faible des deux. Tout cela conduit à une situation économique qui n’est pas flambante. Et le déficit démocratique est le parallèle du déficit de sécurité économique, de possibilités de développement. Donc ça on peut le lui reprocher.
La question de l’Ukraine et la question des marges ou des marches de l’ex empire soviétique, est aussi duezs à ce que les promesses faites à Gorbatchev, n’ont pas été tenues. Les pays Baltes sont dans l’Otan. l’Ukraine devait rester inévitablement un pays neutre à la finlandaise et si l’Ukraine ou des gens en Ukraine rentraient dans l’Otan, ce serait un casus belli de découpage de ce pays du point de vue russe. Ce serait difficile à admettre pour des Russes. C’est pour cela que Poutine malgré un bilan économique qui est mauvais, a une popularité considérable, autour de 80, 85 %, parce qu’il est évident pour les Russes qu’il n’est pas question de laisser filer une influence en Ukraine. Pour tous les Russes, Odessa est une ville russe, pour donner un exemple qui est très loin du Donbass. De même tous les Russes ont le souvenir que tous les peuples de Russie ont combattu pour reprendre cette Ukraine aux nazis, avec de gros sacrifices et non pour en faire une affaire ukrainienne. Et que la Crimée n’a été rattachée comme cadeau de Khrouchtchev à l’Ukraine que tardivement dans une question d’équilibre interne à l’intérieur du parti communiste, du parti soviétique de l’époque. Donc tout ça, ça crée une situation qui permet un réflexe de défense et une citadelle assiégée. C’est toujours la meilleure façon d’éviter de regarder en face son bilan que de foncer sur cela. Ce que Poutine a fait, mais il faut dire qu’on l’a beaucoup aidé.
Pour terminer, Jacques Cohen, comment voyez-vous l’évolution, parce que la situation est quand même difficile. Pour l’instant les accords de Minsk2 semblent plus ou moins respectés ?
Oui mais le principal problème c’est l’Ukraine. Bien avant les événement de l’an dernier, bien avant la guerre civile, l’Ukraine a été en faillite à répétition. L’Ukraine est le seul pays qui a eu trois plans d’aide successifs du FMI interrompus pour non respect des conditions posées. Et donc c’est un pays qui a tous les atouts, qui a ou avait tous les atouts de développement, aussi bien sur la partie agricole que sur la partie industrielle et qui consciencieusement les gâche. Et qui est pillé parce qu’on appelle pudiquement des oligarques, c’est-à-dire des bandits. Et c’est l’effondrement de l’économie ukrainienne qui est le premier problème. S’il y avait eu une Ukraine prospère, on n’aurait pas le problème de sa division, de sa dérive, ni l’illusion qu’il suffit qu’elle se rattache à l’occident pour ne plus avoir de difficultés.