Alstom sans grande vitesse : une équation impossible

Chronique du 5 octobre 2016
AV : Bonjour à tous ! Chronique d’actualité avec Jacques Cohen. 
Nous allons parler d’Alstom puisque l’on a découvert le plan annoncé. Alors qu’est-ce que sauver cette usine de Belfort, on hésite entre à la fois la communication  « On a sauvé des emplois », et puis, effectivement, est-ce que derrière il y a un vrai pari économique et est-ce que cela vaut le coup d’avoir commandé tous ces TGV pour l’État ?
C’est un peu compliqué comme question parce qu’il y a là plusieurs questions à la fois.
L’impératif que s’était fixé le gouvernement, c’est de maintenir de l’activité sur le site de Belfort. Ce site est équipé pour produire des TGV. Il sort des rames qui se fabriquent à la pièce. Il n’en fabrique pas beaucoup donc c’est du travail sans chaîne, à la pièce, et très spécialisé.
On annonce que l’on va commander des TGV. En fait il s’agit, au départ, d’accélérer ou de rattraper le retard pris dans l’acquisition des rames « intercités ». Mais l’annonce est de dire que ce seront des rames TGV.

Alors c’est assez étonnant. Il est d’ailleurs assez étonnant de voir la presse reprendre les choses dites sans les analyser plus loin. Parce que faire circuler des TGV en guise d’intercités, c’est un peu comme d’acheter des coupés grand tourisme pour aller livrer du lait. Les TGV sont plus lourds, donc pour les voies, leur entretien pose des problèmes sur des voies normales, puisque les intercités circulent sur des voies normales. Les TGV sont faits également pour rouler vite, donc sur des voies normales et moins vite ils sont extrêmement inconfortables.
On a déjà dit qu’ils pesaient plus lourd. Ils pèsent plus lourd aussi en prix, c’est qu’un TGV c’est autour de 30 millions d’euros, les autres c’est environ les 2/3. Et l’entretien des TGV est aussi plus important. Cerise sur le gâteau, un TGV consomme beaucoup plus de courant qu’une rame normale. Tout cela n’est pas très sérieux ! Il y a donc gros à parier que ces rames de TGV se transformeront quelque part, avec le temps d’ici 2019, en rames « intercités » standards.
Alors, vous me direz, pour Belfort ce n’est pas de chance puisqu’ils ne savent faire que des TGV. C’est vrai, il est d’ailleurs assez probable qu’ils auront des petits boulots, si l’on peut dire, comme les deux rames de dépannage que la SNCF avait commandées, qu’ils auront quelques véhicules de service comme des locomotives, ce qui avait été prévu.
Feront-ils des TGV ? peut-être, mais peut-être pas. En tout cas, on fera sûrement des « intercités » et non pas des TGV pour les mettre sur des lignes qui n’y sont pas adaptées. En revanche, ce qui parait vraisemblable, c’est que les gens qui travaillent à Belfort vont y rester jusqu’à leur retraite. Cela me parait certain.
Du point de vue d’Alstom, du moment qu’il récupère 700 millions de commandes, pour les 400 personnes, d’en maintenir 300 à une activité que l’on dira pudiquement réduite, ne me parait pas un deal catastrophique pour l’entreprise.
Reste à savoir si l’on peut multiplier ce genre de choses et si l’on peut commencer à fêter Noël, si j’ose dire, dès maintenant, bien avant la Saint-Nicolas pour de nombreux autres sites. A commencer chez Alstom parce qu’il y a un site qui fait justement les « intercités » et qui emploie 1 200 personnes, Bombardier qui fait aussi des trains a un site de plus de 2 000 personnes, il y a la question des rames RER également. Tout cela est précaire parce qu’en dernière analyse, si on commande moins de rames de quelque sorte que ce soit, on ne peut pas garder des gens pour faire des rames que personne ne veut acheter.
Vous avez dit « bon deal pour Alstom », par contre pour l’état on se rend compte que cela fait peut-être un peu cher le maintien de l’emploi sur le site !
C’est effectivement quelque chose qui va finir par poser des problèmes si on le multiplie.
Multipliés sur d’autres secteurs économiques que le ferroviaire, parce que l’on a l’impression que l’État met la main à la poche pour avoir un maintien de l’emploi.
On ne peut pas jouer à cela indéfiniment ni pour le ferroviaire, ni pour d’autres secteurs. A partir du moment où un choix a été fait, qui à mon avis n’est pas forcément le bon, d’avoir réduit le volume ferroviaire en France, qu’il y aura moins de lignes, moins d’équipement, etc., et en particulier sur la grande vitesse sur laquelle on tire un trait, l’équation est insoluble. On ne pourra pas garder des moyens de production de choses que l’on ne produit pas.
Peut-être un mot sur cette réduction ! Nous sommes un pays plus grand que la plupart des pays d’Europe et qui a donc des distances plus importantes. Donc, un point fort depuis l’époque gaulliste, d’ailleurs, dès le début de la Vème république, c’est d’augmenter nos moyens de communication parce que cela crée de la richesse. Non seulement dans le transport lui-même, mais dans la possibilité de développer des zones qui soient plus loin en kilomètres, mais qui deviennent des zones équidistantes en temps de transit, car c’est le temps qui compte. Donc, toute diminution de la vitesse, par exemple des autoroutes périurbaines, où tout abandon de la haute vitesse fait partir en fumée, selon la rente foncière, de la valeur de décentralisation, parce que la décentralisation est très à la mode, mais la première condition de décentralisation, c’est de rejoindre le centre. Sinon, c’est complètement illusoire !
Alors, certes, beaucoup d’activités tertiaires, de nos jours, peuvent être immatérielles et passer par les moyens de communication modernes, il y a internet, mais il y a quand même beaucoup de choses pour lesquelles il faut que les marchandises, elles-mêmes, se déplacent. Donc, de ce point de vue, l’abandon du maillage TGV qui était entrepris, donc l’abandon de la grande vitesse, est une régression que l’on finira par payer. Ce qui est assez amusant également, c’est de voir que des tas de gens qui sont, parait-il, keynésiens, qui veulent des grands travaux, trouvent très bien que l’on abandonne les TGV. Alors que cela me parait de grands travaux d’investissements et d’infrastructures qui valent tout à fait les barrages que Roosevelt avait fait construire. Bien avant de connaitre Keynes d’ailleurs.

 

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