CHRONIQUE DU MERCREDI 31 MAI 2017
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Jacques Cohen, bonjour !
Bonjour.
JPB: Alors, aujourd’hui, dans l’actualité, on va évoquer Donald Trump. On en a beaucoup parlé, il est venu à Bruxelles et en Europe tout récemment.
Absolument, il a des positions que l’on pourrait dire très originales et nouvelles sur l’Otan comparées à la politique américaine précédente.
Donald Trump vient dire aux Européens, « on ne vous défendra pas si vous ne payez pas. Et de toute façon, vous payez trop peu ». Il ne s’agit pas d’une augmentation demandée de quelques pour cent, il s’agit de dire carrément aux Européens « vous augmentez de 50 %, vous doublez votre budget militaire de façon à assurer les frais de votre défense ». À première vue, cela paraît être discutable, mais lorsque l’on y regarde de plus près, c’est une politique absolument délirante du point de vue des États-Unis.
Les États-Unis sont la première puissance mondiale et sont le gendarme du monde parce qu’ils dépensent beaucoup plus pour leur armée que tous les autres. Leur budget militaire dépasse largement celui de tous les autres pays du G7 réunis. En dehors du cas de la Chine.
Mais avec une telle politique et une dépense qui représente les moyens de cette politique, on peut dire réciproquement que, si l’on en baisse les moyens, cette politique ne tient plus.
Le désarroi des Allemands, c’est finalement que, s’il faut payer, effectivement ils payeront, mais il y a aucune raison à ce moment-là de refiler, si je puis dire vulgairement, cette somme aux États-Unis. A moyen terme, si les États-Unis maintenaient cette position, l’Europe reviendrait à une politique de défense indépendante. Et si l’Europe a des misères, ce serait une politique allemande indépendante en matière de défense. Ce qui, historiquement, a toujours été assez inquiétant.
Car dans le même temps qu’il défend cette position sur l’Otan, Donald Trump défend ou promeut des attaques pour faire éclater l’Europe, pour obtenir la disparition de l’Europe politique et de la force de frappe économique qu’elle représente dans les négociations internationales, pour aboutir à des accords bilatéraux pays par pays. Donc, ces deux politiques sont quelque peu contradictoires et extrêmement dangereuses.
Et d’ailleurs, la chancelière, Angela Merkel, est tout de suite montée au créneau. C’est la première fois d’ailleurs que l’on la voit aussi virulente à l’égard des États-Unis.
Des États-Unis et aussi d’un certain nombre de pays autour d’elle qui mettraient en danger la cohésion européenne. En disant « nous ne pouvons plus compter les uns sur les autres », c’est quand même une phrase très forte, surtout lorsqu’elle a comme sous-entendu que l’Allemagne risque de devoir compter sur elle-même.
Alors, ce qui est surprenant aussi, c’est que Donald Trump est parti en guerre, il y a tout récemment, à propos de l’invasion, comme il l’a dit, de voitures allemandes aux États-Unis.
Donc là, s’il tenait réellement parole, on serait très rapidement dans une situation de guerre économique beaucoup plus sérieuse. Interdire les importations de voitures allemandes aux États-Unis est difficile d’une part, parce qu’elles ne sont pas obligatoirement fabriquées en Europe lorsqu’elles ont le logo sur la calandre. D’autre part parce qu’il ne s’agit donc pas de choses symboliques comme nous avons périodiquement sur des fromages ou des choses comme cela, mais de sommes importantes. Et à ce moment-là se produirait une spirale protectionniste. il est évident que l’Europe prendra des mesures de représailles et que l’on rentrerait dans un protectionnisme généralisé dont il faut rappeler qu’il mène à la ruine et à la guerre. Parce que, si la croissance est dans le monde essentiellement en Asie actuellement, si les pays d’Europe se mettent à installer des barrières protectionnistes, nous serons réduits, si je puis dire, à notre propre croissance, c’est-à-dire à zéro.
Mais, Jacques Cohen, jusqu’à lors, les relations entre les États-Unis et l’Europe étaient relativement bonnes, parfois excellentes. Il y a toujours eu, peut-être parfois, quelques oppositions, mais là, on a l’impression qu’il y a une forme d’inquiétude. Est-ce qu’il y a une forme de rupture et est-ce que cela pourrait avoir des conséquences ?
Si la politique de Trump est mise en œuvre et durablement, les conséquences seront majeures parce que, d’une part, il accepte un certain nombre de choses de la part de la Russie pour reconquérir des marges qu’elle avait perdues de façon à ce que ce soit une pression à la destruction de l’Europe. C’est déjà une politique extrêmement dommageable. Que dans le même temps, il veuille que les Européens se mettent à payer de façon tout à fait coloniale la défense américaine et que, en prime, on aboutisse à la disparition de la puissance économique européenne sous forme de morcellement bilatéral, ce serait pour nous quelque chose d’extrêmement dommageable.
Question qui est un peu presque marginale dans votre intervention, mais qui pourrait faire disparaître le problème, est-ce que Donald Trump est sûr de rester, pendant 4 ans, président des États-Unis ?
D’une part, il n’est pas sûr qu’il reste et d’autre part, le Président des États-Unis ne peut pas tout. Lorsque cet « olibrius » a été élu, des gens se sont dit « finalement, les institutions américaines l’encadrent solidement et, après quelques déclarations, il va devoir se tenir tranquille ».
Par exemple sur la santé où il veut revenir complètement sur le système d’Obamacare, mis en place par son prédécesseur, avec un système délirant qu’il a proposé. Le sénat Républicain l’en a empêché. Il est actuellement dans une phase où il veut montrer que l’Obamacare va dans le mur et qu’il le maintient jusqu’à ce que tout éclate. Je pense que les Républicains reviendront à la charge vers un compromis avec les Démocrates sur cette question.
Donc là, ce sont clairement des sujets où le président des États-Unis ne peut pas tout et loin de là.
Mais sur le plan de la politique étrangère, il peut !
En revanche, en politique étrangère, le système n’est pas très bien conçu pour contrôler l’action du Président. Alors, il propose des choses délirantes, il commence à les mettre en œuvre et puis il a des signaux qui lui sont donnés par ce que l’on appelle là-bas pudiquement, « la communauté du Renseignement ». C’est-à-dire un certain nombre de règles… Comme il s’est affranchi d’un certain nombre de ces règles, on lui ôte, l’un après l’autre, ses conseillers ou ses intermédiaires les plus importants. Il y a eu Bannon qui est un psychopathe dangereux, qui a été exclu du conseil de sécurité, il y a Flynn qui a été refusé comme secrétaire d’Etat à la Défense. Actuellement, la « communauté du Renseignement » a donné des billes permettant d’éliminer très probablement son gendre. Donc, pour l’instant, il s’agit de couper les fils et de lui dire que « cela suffit comme cela ». Mais s’il persiste, effectivement, il y a toute chance qu’il ne se retrouve avec un impeachment.
Merci, Jacques Cohen, de votre éclairage. On se retrouve la semaine prochaine pour analyser, dans cette question d’actualité, votre point de vue sur ce qu’il se passe.
Merci ! À la semaine prochaine