Chronique du vendredi 27 octobre 2017
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Tout de suite, c’est l’heure de retrouver notre chroniqueur, Jacques COHEN, avec lui nous allons évoquer l’indépendance de la Catalogne. Ça y’est c’est officiel. Bonsoir Jacques COHEN !
Bonsoir.
Alors, avec vous nous allons parler, on vient de le dire, de l’indépendance de la Catalogne. Est-ce que vous pouvez d’abord revenir sur ce qu’il se passe en ce moment ?
Et bien, l’évènement du jour est une marche considérable vers l’abîme qui est la proclamation de l’indépendance par le parlement catalan. Les épisodes précédents, c’est l’annonce par Madrid que l’on ne tolérerait pas cette indépendance, l’annonce par la plupart des pays européens et par l’Union européenne qu’ils n’étaient pas favorables à une Catalogne indépendante. Et malgré cela, les choses continuent et roulent en quelque sorte vers l’abîme, car l’on est en train de passer, avec cette décision d’indépendance, de la corrida à la tragédie grecque. La tragédie grecque parce que cela ne correspond absolument pas aux intérêts des uns et des autres, mais que les dieux, rendant les gens fous, les conduisent à des attitudes qui ne peuvent que causer leur malheur et celui de tous.
Qu’est-ce qu’il se passe ? Quels sont les intérêts, finalement, pour les uns et pour les autres, et y a-t-il des intérêts communs ?
L’intérêt, apparemment divergent, est que la Catalogne est une province riche et que donc, inévitablement, elle paie un peu pour les provinces pauvres. A noter qu’elle est elle-même très hétérogène. Vu de l’autre côté, il n’est pas question que les provinces riches fassent sécession l’une après l’autre et que l’on arrive à une situation à la belge où l’état central n’existe quasiment plus, dans un pays qui a des inégalités considérables et une volonté de rester une nation comme est l’Espagne. Alors, les intérêts communs c’est que cette prospérité de la Catalogne n’existe que parce qu’elle a le reste de l’Espagne comme principal client. Dans l’éventualité où les choses se gâtent, elle ne peut pas rêver d’être une puissance en quelque sorte coloniale d’une Espagne sous-développée à côté d’elle, d’abord parce qu’il n’y a pas un écart suffisant, et puis qu’elle n’a pas une surface, une masse critique industrielle et financière pour cela.
Vu de l’extérieur c’est la Catalogne qui serait le plus perdante sur cet échange ?
Je pense que les deux seront très perdants, parce que la Catalogne c’est quand même 20-25 % du potentiel économique espagnol et que s’il y a un gros trou dedans cela fera mal à tout le monde. Mais il n’est pas possible pour l’Espagne d’accepter une indépendance totale, des droits de douane par exemple, à moins que cela ne soit dans l’Union européenne et qu’il n’y en ait pas. Mais à ce moment-là on ne voit pas très bien ce que vaut l’indépendance, car il y a finalement une espèce de cercle vicieux où l’indépendance comporte des prérogatives, où l’indépendance est symbolique, parce qu’il n’y a plus aucune fonction régalienne du présumé état. C’est une possibilité, c’est l’une des sorties de crise possible, mais malheureusement je crois que l’on est parti vers quelque chose de bien plus négatif. L’état central, Rajoy, s’imagine qu’il suffit de mettre, probablement, la main sur le président Puigdemont, les parlementaires et quelques autres, et qu’en ayant bouclé 500 ou 1 000 personnes, la question sera réglée en faisant débarquer une nouvelle administration. Malheureusement il est prévisible que cette administration ne fonctionne pas parce que la population jouera à la désobéissance civile, du moins une partie d’entre elle, que les impôts ne rentreront pas, que les gens ne paieront pas le gaz ni l’électricité, que donc la caisse de la generalidad de Catalunya sera vide et ainsi de suite… Donc en fait, il est à craindre que Rajoy soit tenté, soit même obligé de faire une démonstration de force, que celle-ci conduise à une escalade, et que cette escalade conduise à une situation économique désastreuse. Si j’ose dire, Rajoy n’a pas les moyens de faire une opération genre « Pacte de Varsovie à Prague » autrefois.
Dans cette affaire, est-ce que la raison peut encore l’emporter ?
C’est toujours ce que l’on espère ! Quand les dieux sont fatigués, ils finissent par laisser les hommes s’entendre entre eux, mais pendant longtemps ils s’amusent à les exciter. La raison pourrait être soit de transformer l’indépendance en quelque chose de fictif, soit d’y renoncer tout en continuant à avoir tous les éléments d’autonomie qui sont déjà acquis. Mais il est à craindre que cela soit difficile. De ce point de vue-là, l’attitude de la France de soutenir le Premier ministre, d’annoncer qu’il ne peut pas y avoir d’état de Catalogne indépendant, est une position ferme. Cependant notre président après la déclaration d’indépendance a annoncé son soutien total à Rajoy, alors qu’il serait peut-être préférable que Jupiter retourne sur l’Olympe en attendant un peu parce qu’il faudra bien un jour qu’il y ait un État médiateur. Si nous sommes trop fermement engagés, l’État médiateur ne sera pas la France, qui pourtant serait le médiateur naturel, et mon pronostic personnel est que cela ne pourrait guère être que le Mexique.
J’allais y venir ! Finalement le président français, Emmanuel MACRON, qui s’est peut-être exprimé un petit peu rapidement, trop rapidement ?
Sur le fond il a, j’allais dire comme d’habitude, tout à fait raison. Sur la prévision de l’aspect diplomatique des choses il faudrait un partage des tâches qui lui permette de rester un médiateur possible.
Quand on échangeait, parce que l’on prépare nos émissions, vous aviez eu cette phrase Jacques : « Les dieux emmènent les hommes à leur perte ». C’est ce qu’il ressort le plus du conflit entre la Catalogne et l’Espagne ?
Dans beaucoup de conflits, l’on peut constater que les intérêts des uns et des autres n’étaient pas de faire la guerre et pourtant ils l’ont faite ! Et donc, effectivement, la notion de la tragédie grecque, comme je l’ai dit au début, est que : « Quos vult perdere Jupiter dementat », même si cette fois-ci c’est en latin, mais que la notion grecque c’est l’hubris, la démesure, c’est-à-dire de donner à l’homme un orgueil que les dieux lui font rabattre.
Quel pourrait être le chemin, l’issue que pourrait prendre ce conflit ?
Encore une fois, s’il y a escalade par une riposte de Rajoy de prise de contrôle, si cette prise contrôle n’est pas immédiatement acceptée et s’il n’y a pas un courant indépendantiste « modéré » qui trouve un Modus Vivendi d’administration immédiate de la Catalogne, l’on va inéluctablement vers des ennuis tout à fait sérieux et une ruine économique. Voire plus s’il y a des affrontements de rue !
Merci, Jacques Cohen, d’avoir été avec nous pour nous présenter un petit peu la situation actuelle en Catalogne. On aura sûrement l’occasion d’y revenir dans les prochains numéros du 18/19 en Champagne, parce que la situation va s’étaler encore sur de longues semaines voire de longs mois.
À très bientôt, Jacques Cohen, merci d’avoir été avec nous !
À bientôt.