Chronique du 1 Décembre 2017
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JPB : Jacques Cohen, bonsoir. Merci d’être en direct avec nous Jacques Cohen. Alors, c’est vrai qu’actuellement on a appris, il y a quelques jours, un rapport de la Cour des comptes. La Cour des comptes et la santé. De quoi s’agit-il ?
Je veux donc expliquer l’étonnement dans l’opinion devant le rapport de la Cour des comptes sur la santé. Parce qu’à la Cour des comptes, ce sont des gens sérieux, austères, qui se moquent d’être aimés ou pas aimés, et qui ont comme principe non seulement la rigueur, mais l’efficacité économique. Et voilà la Cour des comptes qui propose la nationalisation de la sécurité sociale !
Par les temps qui courent entendre un mot comme celui-là c’est presque une injure!
Injure je ne pense pas, mais surtout cela ramènerait pour la dernière fois, ou presque, à part quelques sociétés en perditions, à la grande vague de 1981 sur laquelle l’on est revenu à partir de 1983. Et pourtant dans ce cas la Cour des comptes dit que c’est la meilleure solution, donc il faut rappeler, un petit peu, ce qu’est la sécurité sociale, comment elle est gérée, et quelle est la situation que constate la Cour des comptes.
On a l’hospitalisation qui elle dépend du gouvernement, et on a la sécurité sociale qui est un système cogéré, patronal et syndical, un système qui était basé sur la gestion, en quelque sorte, de leurs affaires par les travailleurs, ce qui depuis très longtemps a changé. Très longtemps, parce que systématiquement c’est l’état qui paye les rallonges, et que d’autre part la démocratie correspondante, après être devenue assez formelle, s’est parfaitement terminée puisque je crois qu’il n’y a plus d’élections depuis 1983.
Donc cela veut dire, à la fin des fins, que c’est quand même l’état qui paye, même cette partie de cogestion ?
Absolument, d’autant plus que maintenant la sécurité sociale concerne beaucoup plus que les salariés et les fonctionnaires, et donc il serait assez logique que l’Etat, qui paye, soit l’Etat qui décide.
Oui parce que vous dites, au fond Jacques Cohen, que l’état paye sans décider ?
Effectivement. Cela surprend toujours les gens, mais les dirigeants de la sécurité sociale, qui ne sont pas l’Etat, ont une attitude beaucoup plus bienveillante et propre vis-à-vis des mutuelles, qui est leur monde naturel, lesquelles, hélas, sont de plus en plus assiégées ou envahies par les compagnies d’assurances. Et de même, le patronat et les syndicats trouvent finalement des habitudes dans le système libéral médical du paiement à l’acte, le renforcent et le soutiennent, alors que la population des jeunes médecins, pour la plus grande majorité, voudrait passer à des systèmes soit de salariat, soit à une pondération majeure par des forfaits et non plus le système du paiement à la pièce.
Mais tout de même, je me fais un peu l’avocat du diable sur cette antenne Jacques Cohen ! La médecine libérale, il y a certains médecins libéraux qui ne sont certainement pas d’accord avec cette forme de nationalisation là !
Ils vont tous hurler ! Instrumentalisés par des syndicats qui, d’ailleurs, j’allais dire, confisquent la représentation générale des médecins, quand on voit les sondages dont je vous parlais plus haut, pour l’opinion d’une petite partie d’entre eux.
Alors, face à cela, on suit quand même l’actualité politique Jacques Cohen, et on avait suivi la campagne électorale, dans son programme, est-ce qu’Emmanuel Macron avait avancé quelques arguments dans ce domaine de la santé ?
Il avait avancé un certain nombre de choses qui vont dans ce sens-là, et puis il a commencé quelques mouvements, depuis qu’il est président, qui sont de marche avant et marche arrière, ou deux pas de côté, qui sont la figure de danse habituelle des présidents.
Alors tout d’abord, il avait annoncé qu’effectivement le paiement était un archaïsme et que l’on allait instiller dans le système une large part de forfait, et que ceci serait guidé par des préoccupations de santé publique. La réforme n’est pas encore faite dans ce sens, mais l’on peut espérer que l’attitude de la Cour des comptes le conforte en ce sens.
Sur la démographie médicale, il a été souligné tout de suite qu’à la fois la répartition des spécialités, et la répartition géographique des médecins étaient des impératifs qu’il fallait rééquilibrer rapidement. La différence, si j’ose dire, entre avant et après, ce n’est pas que l’on est plus méchant après qu’avant, c’est le contraire. Après, et bien finalement, la bienveillance s’impose comme logique de ne faire que ce que tout le monde veut bien accepter, avec des mesures incitatives, dont la Cour des comptes dit qu’elles coûtent très cher, et qu’elles ne sont guère productives, tant que des mesures dissuasives, voire même des mesures d’interdictions, ne sont pas prises, ce que propose la Cour des comptes.
Car la question des déserts médicaux est quand même une question très très importante. On la constate même dans nos régions.
Bien sûr, non seulement ce sont des déserts médicaux, mais des désertifications où tout se tient. A croire que l’on souhaite que les populations se déplacent vers les centres urbains, et disparaissent de la campagne en y laissant quelques retraités. Puis quand il n’y a plus de médecins ceux-ci seront bons pour aller à l’EHPAD du coin. Donc cela est tout à fait nuisible, et le président l’a souligné aussi. Avec cette réserve que sa politique à ce sujet est, certes, plus affirmative, plus dynamique que ce qui a été fait précédemment, mais fondamentalement c’est la même chose que précédemment, en mettant de la télémédecine, des maisons de santé, et quelques primes et déductions fiscales. Mais tout cela, malgré le volontarisme affiché, ne suffira peut-être pas. Et en quelque sorte, l’attitude du Président c’est la dernière tentative bienveillante avant de devoir accepter des mesures qui fâchent certains, ce que propose la Cour des comptes.
Vous pensez donc, Jacques Cohen, que dans les semaines ou les mois qui viennent, il y aura dans ce domaine, comme peut-être dans beaucoup d’autres, une grande réforme ?
Semaines et mois cela me paraît peut-être un petit peu juste, mais inéluctablement soit il y aura une grande réforme du Président, soit la dégradation du système à l’américaine c’est-à-dire avec la réduction, la lyophilisation ou la rétraction de la sécurité sociale tout en voyant se développer des mutuelles qui elles-mêmes sont très différenciées comme services rendus. Dont les prix, inévitablement, explosent. Ce système ne pourra pas rester sans réaction de la population très très longtemps, d’autant plus qu’il est à l’envers de ce que tout le monde attend quand on regarde les sondages ou les demandes de la population en matière de couverture santé. La population française tient énormément à la sécurité sociale, comme non seulement un mythe fondateur, mais comme un socle de l’unité nationale avec une couverture publique, partagée par toute la collectivité, à la fois comme couverture et à la fois comme financement. Si ces choses-là se délitent, il y aura des réactions majeures.
Merci, Jacques Cohen, d’avoir été avec nous. On vous retrouve la semaine prochaine.