Syrie: escalades en série

Chronique du vendredi 16 février 2018

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Bonjour Jacques !

Bonjour.

Et cette semaine, comme on l’évoquait en préparant, parce que oui, on prépare nos chroniques malgré tout ! On redouble, on va de nouveau parler de la Syrie.

En effet, il s’est passé beaucoup de choses cette semaine, nous avons parlé la semaine dernière des évènements précédents, mais il y a deux évènements très importants cette semaine.

Alors, qu’est-ce qu’il s’est passé depuis la semaine dernière ?

Eh bien, il y a l’affaire du drone iranien et de ses suites, et puis il y a le bombardement américain des troupes loyalistes à Deir ez-Zor.

Sam3

Morceau d’un missile anti aérien de haute altitude retombé en Israël

Donc, le drone c’est une affaire en cascade. Est parti de Syrie un drone que les Israéliens présument iranien, qui est allé se promener au-dessus de la Jordanie, qui est passé d’ailleurs au-dessus d’une base américaine, puis qui a tourné, et pris la direction d’Israël. Repéré par les forces armées israéliennes, il a été abattu peu de temps après son entrée sur le territoire israélien. En foi de quoi, il a été immédiatement décidé par Israël de représailles sur son site de lancement, c’est-à-dire de détruire le camion de gestion de cet appareil, et peut-être quelques bricoles autour.

Jusque-là, on était dans du relativement classique, mais les Syriens ont tirés des missiles anti-aériens de basse altitude durant cette mission, et un avion israélien est allé au tapis. À partir de là, les Israéliens ont encore fait monter d’un cran, c’est-à-dire qu’ils ont développé des raids sur pas mal d’infrastructures militaires et aériennes syriennes et iraniennes. Cela a conduit à une escalade notable.

Les Syriens, c’est important dans ce deuxième raid, ont tiré de tout, c’est-à-dire tout ce qu’ils avaient comme types de missiles. On a même retrouvé en Israël un morceau de SAM 3, c’est-à-dire un missile datant des années soixante, quelque chose de fossile, qui va probablement aller tout droit au musée, mais qui montre que le matériel soviétique était solide puisqu’il a pu survivre même au-delà de la survie du régime soviétique !

Là, aucun autre avion n’a été abattu, mais l’impact politique majeur d’un avion israélien abattu donne un avantage dans le compte, si j’ose dire, au point du match de boxe ou de catch aux Iraniens et à leurs alliés syriens. Pour l’instant, les choses en restent là, car dans le dernier raid, le second, la base elle-même d’où était parti ce drone n’a pas été détruite. Les Israéliens se sont amusés en quelque sorte à démolir quelque chose aux quatre coins exactement de la base, mais pas à détruire cette base qui est une base mixte qui comporte l’ensemble des forces aériennes de renseignement des Syriens.

Vous avez évoqué deux actions significatives, deux escalades significatives, donc l’on vient d’en évoquer une, il y en a une deuxième qui concerne les Américains plus particulièrement.

Oui. Il y a eu une escalade très significative. L’aviation américaine a pulvérisé des forces loyalistes de Damas, donc des forces syriennes, près de Deir ez-Zor, c’est-à-dire sur la rive droite de l’Euphrate. De fait, pour l’instant, toute la rive gauche est contrôlée par des forces kurdes et islamistes soi-disant modérées et contrôlées en fait par les Américains, tandis que les troupes de Damas étaient arrivées jusqu’à l’Euphrate par l’autre côté depuis l’ouest.

Là, les troupes de Damas se préparaient, manifestement, à attaquer et à essayer de récupérer du territoire de l’autre côté. D’autant que pas loin il y a un champ pétrolier important, et que justement, c’est de là que le régime tirait une bonne partie de ses ressources avant la guerre.

Les Américains ont choisi de bombarder sans coup de semonce et sans aucun habillage diplomatique. C’est-à-dire que jusqu’à présent tout le monde acceptait le fait que le régime syrien soit le régime internationalement reconnu, quoi que l’on pense de son Président ou de son fonctionnement, et que donc les attaques de régimes en place avaient toujours eu lieu, dans ce cas-là des attaques d’État, avaient lieu sous mandat de l’ONU, ou en prenant l’alibi de rupture de traités internationaux comme interdiction des armes chimiques. Là, il n’y a pas le moindre prétexte, l’aviation des États-Unis bombarde les troupes d’un état souverain ce qui est une escalade dans l’affirmation que les États-Unis font ce qu’ils veulent où ils veulent, c’est déjà un problème.

Deuxième problème, c’est ce que cela veut dire, les USA comptent amputer la Syrie de toute sa partie Est et la laisser aux Kurdes. Ce qui est une chose de toute façon inacceptable pour les Turcs. Donc l’on va continuer à voir des systèmes de chaises musicales ou de changement de camps entre les amis et les ennemis. Et le régime de Bachar va s’entendre un peu mieux, probablement, avec la Turquie qu’avant cette opération. Au plan militaire, il lui est quand même arrivé quelque chose de significatif, c’est qu’entre les destructions israéliennes et les destructions américaines, il va être sérieusement handicapé et les deux opérations qu’il était en train de mener, celle de la région d’Idlib et celle de la Ghouta, vont poser des problèmes. Il ne pourra pas les mener de la même façon ou immédiatement. C’est-à-dire qu’en fait, et malheureusement, les populations vont continuer à souffrir dans une guerre lente alors que l’on pouvait penser que les choses allaient se terminer relativement rapidement.

Jacques, vous avez commencé à en parler, mais quelles vont être les conséquences immédiates, à court ou moyen long terme, en quelques mots ?

Immédiatement donc c’est un ralentissement des capacités d’offensives syriennes qui va les obliger de choisir entre la région d’Idlib ou la fin du nettoyage de la Ghouta. À moyen terme, on est dans un système beaucoup plus compliqué pour les alliances des uns et des autres. Car il est habituel dans ce pays que les groupes fassent alliance un temps avec l’un puis un temps avec l’autre. Et même avec les Kurdes, le régime de Damas vient de réussir à avoir un accord avec les Kurdes et à leur laisser de fait une certaine autonomie le long de la frontière dans la zone d’Afrin, les kurdes préférant Bachar à Erdogan. Les kurdes vont rester beaucoup plus hostiles ailleurs, mais il est possible que l’alliance rebascule ensuite ultérieurement.

Merci, Jacques Cohen, d’être venu nous éclairer aujourd’hui, une nouvelle fois, sur ce conflit. À très bientôt !

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