Chronique du vendredi 25 mai 2018
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Jacques Cohen, bonjour
Aujourd’hui, vous allez parler , des chances de la paix entre l’Iran et Israël, et peut-être également, des « chances de la guerre ».
Et bien, l’on voit très bien les risques de guerre d’après les derniers incidents : le drone qui a été envoyé par les Iraniens depuis la Syrie, et l’ escalade qui a suivi. On entend également les déclarations martiales, aussi bien du premier ministre israélien que de l’Arabie Saoudite, mais je voudrais quand même dire qu’il y a une chance pour la paix. Pourquoi y a-t-il une chance pour la paix ? Parce que les deux principaux partenaires locaux, donc l’Iran et Israël, ont tous les deux fait des gains considérables récemment qu’ils ont tout intérêt à consolider plutôt que de tenter d’obtenir une chose de plus qui ferait tout s’écrouler.
C’est une situation un peu paradoxale que vous nous présentez là Jacques. Pouvez-vous nous dire ce que les Iraniens ont consolidé et ce que les Israéliens ont consolidé également ?
Les Iraniens ont atteint la mer. Depuis l’Empire perse, ils n’avaient pas de présence continue allant de la Perse jusqu’à la Méditerranée. Il y a un potentiel considérable pour eux de pouvoir faire passer un jour où l’autre un pipeline puis tout un tas de flux commerciaux. Donc, ils ont une implantation en Syrie comme force militaire à l’appel du régime de Bachar El Assad qui, certes, pourrait changer d’avis, mais enfin pour l’instant les Iraniens sont son principal soutien. Donc ce point de vue là ça va à peu près, mais surtout, ils ont une implantation dans une population chiite déshéritée au Liban qui leur donne maintenant un poids considérable sur ce pays.
Et maintenant, vous allez nous parler des Israéliens, qui eux aussi, ont consolidé certaines choses.
Les Israéliens ont également consolidé des acquis considérables. Le plus spectaculaire, c’est qu’ils sont pour la première fois parfaitement insérés dans l’arc sunnite de tous les états de la région contre l’Iran. En très bons termes, et plus qu’en très bons termes, avec l’Arabie-Saoudite. Vous avez peut-être noté que l’action militaire de l’Arabie-Saoudite au Yémen n’était pas exemplaire, que les drones américains conduisaient à beaucoup de bavures et que depuis 3 mois, l’action militaire saoudienne est devenue d’une bien plus grande précision et efficacité, ce qui sous-entend de façon à peine voilée que cette fois-ci, ils ont des conseillers compétents.
Paradoxalement, vous voulez nous parler de chance pour la paix, mais finalement il y a surtout des risques de guerre.
On peut encore dire des choses concernant la paix, d’abord parce que le principal atout pour la paix c’est le gaz, la grande poche de gaz qu’il y a au large de l’Égypte, d’Israël et du Liban. Pour sa partie sud, les accords sont passés, l’exploitation va avoir lieu par les Israéliens, avec une part pour les Égyptiens. Il est même déjà prévu que les Israéliens livrent des centrales électriques à l’Égypte et les entretiennent. Ce n’est même pas du clé en main ponctuel. Donc de ce côté, bien plus que le traité de Sadate, des accords économiques sérieux semblent concrétiser une coopération, et donc une paix durable.
Tout le monde a intérêt à faire la même chose au Liban, y compris l’Iran. Parce que l’Iran par exemple, à l’autre bout de la région dans le Golfe Persique ou dans le Golfe Arabique selon la rive où l’on se situe, exploite en commun avec le Qatar une grande poche de gaz, c’est d’ailleurs pour cela que l’Arabie Saoudite voulait liquider le Qatar comme faisant des concessions à l’Iran. Donc, il y a tout à fait possibilité pour tout le monde, si j’ose dire, d’avoir à manger, et de consolider sa position.
Mais il y a un risque de guerre parce que l’Arabie Saoudite voudrait vider les poches chiites de la rive arabe du Golfe Persique ou du Golfe Arabique, selon le point de vue. Israël voudrait anéantir l’infrastructure militaire du Hezbollah au sud du Liban, également celle du Hamas et être débarrassé du Hamas par des forces arabes. Parce qu’Israël n’a pas envie d’aller au sol ni à Gaza ni au Liban. Mais même si c’est par voie aérienne cela conduira à une guerre extrêmement coûteuse en civils parce que tous les stocks de ces combattants-là sont cachés en zones civiles.
Donc, Israël pousse à l’affrontement, les États-Unis et l’Arabie Saoudite aussi. Mais comme l’intérêt d’Israël n’est au fond pas d’un affrontement exagéré, il est possible que les choses s’arrêtent soit juste au bord, soit à un degré d’escalade mesuré qui permette, finalement, qu’après que chacun ait obtenu ses buts de guerre, que l’on puisse se partager le magot, c’est-à-dire le gaz.
Est-ce que dans ce risque de guerre il y a des rapports de force et des choix tactiques divergents dans chaque camp ?
Chez les Iraniens, ce sont les Gardiens de la Révolution qui sont pour la guerre, mais pas tous les Gardiens de la Révolution, ceux qui sont en Iran et qui font des affaires sont beaucoup moins portés à la guerre que le corps expéditionnaire qui est en Syrie. Comme tout corps expéditionnaire il n’a vocation qu’à la guerre et s’il n’y a plus de guerre son rapport de force dans son pays d’origine, en Iran, s’écroule. Donc, ce sont ceux-là d’ailleurs qui, de leur propre chef, ont déclenché les hostilités et les incidents il y a quelques semaines. Cela est déjà un problème, les gens ne font pas forcément ce que l’on souhaite qu’ils fassent, y compris du point de vue de leur État. D’autre part, si les hommes étaient raisonnables et bien cela se saurait ! La Première Guerre mondiale, par exemple, n’aurait jamais eu lieu si, contrairement à une légende simpliste, les banquiers avaient dirigé chacun des pays qui s’y sont retrouvés impliqués.
Les chances de paix viennent de ce que chacun a fait des progrès considérables dans sa position, et qu’il serait raisonnable de les consolider et d’en retirer des dividendes supplémentaires. C’est quelque chose de tout à fait tentant, mais il n’est pas certain que les gens agissent selon leur intérêt.
Comment la situation pourrait évoluer dans les prochaines semaines, dans les prochains mois ?
Je ne lis pas dans le marc de café ! Il peut y avoir escalade ou il peut y avoir une situation restant stable, on ne peut pas l’affirmer. Ce que l’on voit en revanche, c’est que la presse dépendant de l’Arabie Saoudite ou des sunnites demande de moins en moins discrètement à Israël de taper la force militaire du Hezbollah en Syrie et même au sud du Liban.
Et à Gaza ?

Bande de Gaza avec points de passage
Pour Israël, Gaza n’est un problème que parce que le Hamas y règne et que le Fatah est incapable d’y reprendre pied pour l’instant. La tentation est grande de l’asphyxier avec l’aide de l’Égypte, de détruire ses infrastructures et d’espérer qu’un Fatah regonflé par une aide égypto-saoudienne reprenne le contrôle de la bande de Gaza. Mais il y aurait alors un risque … de paix avec un véritable état palestinien, ce que le gouvernement israélien ne veut surtout pas en Cisjordanie qu’il mite peu à peu. D’où le casse-tête…
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