Chronique du vendredi 15 juin 2018
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Jacques Cohen, bonjour !
Bonjour.
Aujourd’hui, on va évoquer l’Aquarius, mais d’une façon plus globale d’abord, vous aimeriez revenir sur un dispositif des accords de Dublin pour accueillir les migrants. Ce sont des accords qui ne marchent pas. Mais que sont ces accords de Dublin.
Que sont ces accords de Dublin ? C’est un système qui fait que tout migrant est enregistré dans le 1er pays d’Europe où il met les pieds, et que c’est ce pays qui doit décider de ce qui lui est accordé comme réfugié, si cela est le cas ou pas, comme immigrant éventuellement, et éventuellement aussi qui doit les renvoyer. mais ce 1er pays ne doit pas garder tout les réfugiés ou migrants non refoulés. Il a pour ça, théoriquement, des droits de tirage sur des quotas qui ont été définis, quotas d’accueil dans les autres pays. Parce que par définition la plupart des migrants arrivent dans très peu de pays qui sont généralement les pays au contact, c’est-à-dire essentiellement l’Italie et la Grèce. Mais s’ils arrivent dans un autre endroit, c’est ce pays qui doit s’en occuper. C’est pour cela que l’on entend régulièrement parler de migrants qui sont « dublinés », ce néologisme voulant dire que puisqu’ils ont été enregistrés dans un pays, alors qu’on les retrouve dans un autre pays, ce pays les renvoie au 1er pays qui doit gérer leur cas.
Ces accords de Dublin, on s’est rendu compte qu’ils ne fonctionnaient pas forcément très bien Jacques ?
Eh bien évidemment parce qu’ils servent surtout, j’allais dire, de distillation, c’est-à-dire que l’on repêche ainsi, si je puis dire, un petit nombre de migrants qui deviennent des réfugiés politiques et puis les autres, on en renvoie très peu. Les autres s’évaporent et deviennent des clandestins qui vivent quand même en Europe. Alors, l’Italie faisait ça très bien. C’est-à-dire que les Italiens accueillaient beaucoup de monde venant des côtes de l’autre côté de la méditerranée, surtout de Libye. Ils en prenaient officiellement un certain nombre, ils en envoyaient quelques autres selon les quotas, et puis tout le reste, l’énorme majorité, disparaissait avec accord tacite que la plupart d’entre eux s’évaporaient en quittant l’Italie. Et puis, la France a un petit peu freiné, et on est rentré dans des choses un peu plus grinçantes sur qui avait le droit ou pas de décider. Parce que ces accords de Dublin comportent une réalité et un non-dit : c’est-à-dire qu’ils servent à l’évaporation pour distribuer ces migrants, mais si on commence à refuser sérieusement de les considérer comme résidents de fait, à ce moment-là le système coince très rapidement.

L’Aquarius accosté par une vedette des gardes côtes italiens
D’un côté, il y a ces accords de Dublin qui ne fonctionnent pas forcément, comme vous venez de l’expliquer, mais est-ce qu’il y a d’autres solutions?
La question, comme souvent, se situe en amont, très largement en amont. Une fois que les gens sont sur l’eau, on ne peut que les recueillir, et on verra tout à l’heure que l’Aquarius ressemble un petit peu à un autre bateau de 1939 qui était le St Louis, on en reparlera.
Mais la situation est en amont, elle est en amont d’abord pendant les désastres de guerre, que ce soit la Syrie et l’Irak, mais aussi et surtout pour nous en Afrique Sub-Sahélique. Parce qu’il y a plus de de 60 millions de personnes déplacées du fait de la dégradation considérable de la situation en Afrique Sub-Sahélique. Et il y a un littoral libre, si j’ose dire, c’est-à-dire que la Libye, qui autrefois était une barrière, est devenue à la fois un pays féodal avec le retour de l’esclavage et un pays de trafic où des gens envoient les migrants sur l’eau, pas très loin d’ailleurs, avec des bateaux qui seront incapables de traverser même jusqu’à Lampedusa et encore moins à Malte, mais qui vont être sur l’eau et dont les occupants soit se noient, soit sont recueillis. Et ce qu’il s’est passé cette fois-ci, c’est qu’ils ont été recueillis.
On a exposé les tenants, les aboutissants, si on en vient à la situation même de l’Aquarius, vous l’avez évoqué, j’ai envie de dire en préambule il y a quelques instants, c’est une situation qui est semblable à celle du St Louis en 1939.
Oui, je suis surpris que jusqu’à présent personne ne semble s’être souvenu de cette histoire. L’Aquarius aurait dû, comme d’habitude, débarquer les gens sur territoire italien, mais le nouveau gouvernement italien a voulu marquer le coup, qu’ils arrêtaient de prendre du monde en prenant comme alibi que les autres pays arrêtaient de laisser les migrants diffuser clandestinement. Après, il y a eu toute une polémique entre l’Italie et la France, je ne suis pas sûr que l’on ait eu tout à fait les bonnes formules à l’égard de l’Italie.
Finalement, l’Espagne annonce qu’elle va prendre les 600 réfugiés. Les Corses, c’est-à-dire l’assemblée de Corse avide de pouvoir affirmer sa souveraineté qui n’existe pas, a annoncé qu’elle les prendrait au besoin. Ce qui aurait été très amusant, c’est qu’ils aillent réellement en Corse avec les difficultés que crée là-bas la présence de migrants, mais de toute façon c’était une opération purement politique. Donc, ce qu’il va se passer c’est que l’Espagne les a pris. Et comme l’Espagne est aussi un pays qui permet de faire diffuser par petit paquet les migrants, ceux-ci vont atterrir, comme les autres, si j’ose dire, dans le reste de l’Europe après un épisode assez désagréable qui rappelle un peu l’affaire du St Louis.

Le Paquebot Saint Louis et son errance en 1939
L’affaire du St Louis, c’est que les nazis ont laissé des juifs monter sur un bateau à Hambourg, qui sont partis pour essayer d’aller aux États-Unis, où les visas ont été refusés, qui ont tenté le coup à Cuba, où ils n’y avait normalement pas de visas pour les touristes. Mais le gouvernement cubain a inventé immédiatement que les migrants ce n’était pas des touristes. Ils ont continué à aller un peu partout, ils ont été refusés au Canada. Ils sont repartis de l’autre côté de l’Atlantique. Ils ont été refusés en Grande-Bretagne, ils ont envisagé de s’échouer sur la côte anglaise, et finalement, ils ont été acceptés comme escale pour décharger les passagers aux Pays-Bas. Et ensuite ceux-ci ont été répartis sur différents pays d’Europe qui acceptaient d’en prendre chacun 2 ou 3 petites cuillères, la Belgique, la France, les Pays-Bas. Le bateau étant rentré finalement à Hambourg, mais à vide. Et bien évidemment, ça se passe en 39, 3 ans plus tard, les nazis ont remis la main sur la plupart de ces personnes qui avaient fui le nazisme et l’Allemagne. Et les ont exterminés.
Finalement, Jacques, les migrants ne sont pas si nombreux à venir en France, et peut-être que s’ils étaient encore plus nombreux le système politique pourrait être menacé ?
On voit très bien l’effet quasiment mécanique et pondéral du passage des migrants en Italie, en Autriche, un peu moins en Espagne, et en Allemagne, avec déjà des conséquences, mais surtout des conséquences désastreuses sur les deux premiers pays que j’ai évoqués. Un afflux sérieux de migrants, ne peut que déstabiliser la situation politique en favorisant les extrêmes, et surtout les extrémistes de droite, sur des solutions simplistes. Et, malheureusement, si on se refuse à traiter les causes, c’est-à-dire la stabilité de l’Afrique Sub-Sahélique et de reprendre le contrôle politique et militaire de la côté libyenne, et bien, on ne peut se retrouver qu’avec leurs conséquences sur les bras.
Merci, Jacques Cohen, de nous avoir éclairés sur la situation de l’Aquarius aujourd’hui. A très bientôt, Jacques Cohen, on se retrouve vendredi prochain !
À bientôt.