chronique du Vendredi 17 Janvier 2020
sur les ondes de RCF: https://rcf.fr/embed/2288032
Pour la chronique d’actualité, on retrouve JC qui est avec nous par téléphone, bonjour Jacques.
Bonjour.
Et aujourd’hui, si vous le voulez bien, on va parler un peu du gouvernement, des hommes forts même du gouvernement : Emmanuel Macron le président de la République, Edouard Philippe son Premier ministre et puis Christophe Castaner le ministre de l’Intérieur. Alors, on sait qu’il y a des violences policières et le gouvernement a l’air de se rendre compte que finalement c’est assez grave ce qu’il se passe, c’est un peu une nouveauté quelque part d’ouvrir les yeux comme ça, JC.
Oui tout à fait, parce que le changement d’attitude des forces de l’ordre depuis quelque temps, et un certain nombre d’encouragements imprudents, ont conduit à ce que quelques-uns ont commis des bavures. On a quand même 2 tirs de grenades lacrymogènes vers les étages – dont l’un qui s’est terminé tragiquement par la mort de la personne à Marseille – qui sont là des fautes d’exécution radicales, c’est strictement interdit de faire cela. Il y a quelques autres affaires comme cette histoire d’interpellation avec, non pas seulement un placage ventral, mais une clé d’étranglement qui a brisé l’os au-dessus du larynx, l’os hyoïde, et qui a donc tué la personne. Tout cela avec quelques autres éléments : tirs et emploi hasardeux des lanceurs de balles en caoutchouc dans des conditions qui ne sont pas réglementaires, a fait quand même comprendre au gouvernement qu’il fallait dire aux policiers qu’ils avaient le droit de cogner, mais peut-être pas aussi fort que cela.

Armes non létale à ultrasons version US
JC, cela c’est pour les faits, mais qu’en pensez-vous, vous, si vous devez analyser ces faits-là ?
Je crois d’abord qu’il faut revenir sur le problème du changement de doctrine de maintien de l’ordre et de voir les dangers, non pas de la nouvelle doctrine, parce qu’elle est assez empirique, qu’elle n’est pas encore parfaitement codifiée, mais des dangers des pratiques qui ont eu lieu.
Qu’est-ce qui a changé sur cette doctrine JC ?
Et bien, pendant très longtemps, je me souviens des choses il y a un peu moins de 50 ans ou dans cette époque-là et ensuite pendant très longtemps, la doctrine française a été très particulière en matière de maintien de l’ordre. Elle avait des principes de base, le premier étant qu’on ne fait jamais de nasse, c’est-à-dire qu’on ne prend pas de risque d’avoir un comportement irrationnel d’une foule encerclée. Là le préfet Lallement l’a fait récemment plusieurs fois – je maintiens que c’est quelque chose d’extrêmement dangereux qui a conduit par exemple à l’empilement des manifestants tentant de se sauver au métro Charonne en 1962 avec neuf morts – et nous sommes à la merci d’un phénomène de ce genre dans la tactique employée récemment. Deuxième élément, l’autre élément formel de la tactique policière en France, c’est le « no touch », c’est-à-dire de ne jamais avoir un cordon de police en tenue de maintien de l’ordre avec des manifestants arrivant au contact et s’y maintenant. Le cordon statique est la pire situation. Il y a eu pendant très longtemps le raisonnement qu’on maintenait les manifestants à distance avec des gaz et des grenades. Puis il y a eu la question des barrières qui ont été abondamment employées quand on a diminué l’efficacité du matériel d’interdiction de terrain – je reviendrais sur ce matériel d’interdiction de terrain – Ensuite, il y avait un dogme qui est que la charge ne souffre pas d’échec (cela date du préfet Lépine ) et qu’elle doit disperser la manifestation et certainement pas arriver à la tronçonner et à risquer de se faire encercler par des charges trop petites et mal coordonnées comme c’est arrivé à plusieurs reprises récemment. Tout cela ce sont des dangers considérables, ce comportement, j’allais dire brouillon, disons que l’on rompt avec l’attitude habituelle. Evidemment la défense d’un périmètre statique par des barrières cela permet aux manifestants de faire ce qu’ils veulent de l’autre côté, et en particulier cela donne du champ aux casseurs et aux pillards. Mais on a recréé des brigades mobiles qui, là aussi, représentent des dangers, parce que sauter sur des pillards avec un paquet d’une soixantaine de motos, prépositionné et intervenant en très peu de temps, c’est très efficace. Accélérer les dispersions en tapant au petit bonheur c’est très dangereux. Parce qu’un jour où l’autre cela va faire éclater un crâne. Et c’est d’ailleurs ce qui s’était passé pour l’affaire Oussekine autrefois qui avait fait interrompre l’utilisation de ces brigades de voltigeurs. Donc là, on a recommencé dans des conditions qui sont aussi précaires et même avec une troisième condition précaire, c’est qu’à force de morceler les forces de l’ordre jusqu’à l’échelle d’une compagnie de CRS ou de gardes mobiles, ils risquent de se retrouver encerclés par les manifestants, avec l’extrême danger que pour se dégager ils soient obligés de sortir leurs armes et qu’on finisse par avoir des morts, des 2 côtés. En les laissant encerclés ainsi par des manifestants radicaux, ils peuvent très bien se retrouver à prendre des cocktails Molotov ou quelque chose comme cela. Donc une tactique policière nouvelle qui est brouillonne, qui a comme raisonnement de rompre avec l’ancienne, mais qui comporte des imprécisions dangereuses, plus les encouragements qui avaient été imprudemment donnés, ou plutôt qui ont été compris comme des encouragements, à partir de propos imprudents du pouvoir sur le fait que la police doit, et c’est bien normal, avoir le dernier mot et que la force doit rester à la loi. Bien sûr, mais cela doit être expliqué avec mesure et cela n’a pas été le cas. Alors, est-ce que l’imprécision de la nouvelle doctrine est également perçue par le pouvoir et pas seulement les bavures de quelques excités ? Je n’en suis pas certain. Néanmoins je pense qu’il y a du travail chez les policiers pour essayer de mettre au point une nouvelle doctrine ou au moins pour commencer à se rendre compte des dangers de ce qui a été fait depuis quelques mois de façon, j’allais dire brouillonne, empirique et mal maîtrisée – Ce qui est très dangereux, parce que l’on voit bien que dans les manifestations actuelles, le rapport de force est tangent et qu’un mort peut changer complètement l’appréciation politique des choses.
Voilà JC quelques éléments intéressants que vous nous apportez aujourd’hui, mais pourquoi brièvement, parce que le temps passe très vite sur notre antenne, mais pourquoi ce débat n’est-il pas mis plus en évidence finalement qu’on le fait dans le secret, qu’on a l’impression qu’il y a une sorte de tabou autour de ce sujet ?
Et bien, c’est effectivement très dommage et c’est un souvenir très ancien d’une époque où le pouvoir et son rapport avec la presse, par exemple n’était pas du tout le même. On ne discute pas en France des questions de maintien de l’ordre et des problèmes techniques posés, des solutions, des avantages et inconvénients. Il n’y a pas de débats sur le sujet, parce que c’était considéré comme un domaine régalien où le pouvoir pouvait décider de ce qui se faisait sans en référer aux citoyens. Je crois que précisément, parce qu’il y a une palette technique beaucoup plus étendue, même si on n’en a pas parlé, aujourd’hui qu’autrefois, et peu de réflexion sur leur emploi, je pense que le débat, y compris le débat sur l’utilisation de telle ou telle chose, pourrait, comme débat démocratique, être utile à l’amélioration du maintien de l’ordre, justement par la discussion qu’il entraînerait, par la définition d’une nouvelle doctrine. Au lieu de considérer que les citoyens n’ont pas à se préoccuper de cela, que c’est une affaire de police et que la police fait ce qu’elle veut. Ce n’est pas du tout ce qui serait la meilleure solution pour mettre en place une nouvelle doctrine de maintien de l’ordre et l’appliquer au mieux.
Merci JC de nous avoir éclairés aujourd’hui, à très bientôt JC. On rappelle que l’on peut retrouver cette chronique ensuite également sur votre blog, à très bientôt.
À bientôt.