Charles Nicolle 1933 Le destin des maladies infectieuses:
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Jamais, nous ne devons oublier que les faits dont nous nous occupons sont mouvants, qu’aucune formule ne peut les fixer, les définir, que nous n’en apercevons qu’un tronçon, que les commencements nous échappent, que le phénomène se modifie entre nos mains et, par conséquent, que ce que nous prononçons, ce que nous imprimons, n’est qu’une traduction maladroite, incomplète d’un aspect momentané, d’une seconde au cadran illimité du temps.
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Nous ne disposions jusqu’à présent que des données de l’épidémie initiale de Wuhan et du Hubei. Les données de l’épidémie lombarde dessinent plus précisément les contours de l’épidémie française à la lumière des différences entre l’épidémie du Hubei et celle de Lombardie.
Dans le Hubei, il y a eu 3130 morts pour une population comparable à la notre, soit en gros 50 morts par millions d’habitants ( mH ). Environ 1000 hospitalisés par mH. Mais tout sujet dépisté était hospitalisé dans malades laissés à domicile. Vingt pour cent seulement nécessitaient en fait des soins soit 200 par mH. Environ 50 par mH sont allés en soins intensifs dont semble t il la moitié intubés ventilés. La gravité selon l’âge en faisant surtout une maladie des plus de 60 ans dont la mortalité s’envole à 80 ans à plus du quart.
Plus de malades en Lombardie ?
En Lombardie, le ralentissement chaque jour des nouveaux hospitalisés ( 838, 377, 184 ) indique l’imminence du plateau. Même si sa durée comporte encore des incertitudes, il devrait suivre la cinétique de Codogno d’une décroissance rapide donc ne pas durer plus de 10 jours. Avec 8400 hospitalisés ( 525/mH et environ 550/mH attendus en fin de plateau ) , l’épidémie en Lombardie semble nettement plus importante qu’en Chine.
Sur le critère le plus fiable, la mortalité par mH, elle est déjà de 2.5 fois celle du Hubei à laquelle il faudra ajouter ceux des mille patients de soins intensifs qui vont mourir. On peut donc la prédire autour de 3 fois celle de Wuhan soit 150/mH. Pour notre pays, ces données prédisent 10 000 morts si notre situation était exactement superposable à celle de la Lombardie. Et un peu moins en corrigeant de la structure de notre population. Et de la généralisation ou pas de l’épidémie qui pourrait la ramener aux 2/3 des taux lombards.
Pourquoi meurt on plus du Covid-19 en Lombardie ?
Parce que la proportion de personnes âgées y est plus importante. Plus de 28 % de la population italienne, une des plus vieilles d’Europe a plus de 60 ans. L’état sanitaire de la population plus jeune est certes moins catastrophique que dans d’autres endroits en Europe mais obésité diabète et hypertension plus ou moins bien soignée ne sont pas négligeables et plus importants qu’en Chine où les obèses sont encore trop récents donc trop jeunes pour mourir du virus.
Au passage en traversant l’Atlantique, on peut prédire une structure de mortalité très différente compte-tenu de l’état sanitaire de la population US, particulièrement chez les pauvres. Il y a déjà eu sur cette photo de famille US 4 morts sur trois générations.

Quatre décès en peu de jours dans cette famille aux USA
Les flux de patients prévisibles en zone épidémique en France.
La répartition par âge de patients français décédés ou intubés/ventilés peut déjà être évaluée sur 285 patients en réanimation et 161 décès au 15 mars:
<15 ans | 44 ans | 64 ans | 74 ans | >75 ans | ||
Sous respirateurs | 3 | 16 | 80 | 78 | 103 | 285 |
1,05 % | 5,61 % | 28,07 % | 27,37 % | 36,14 % | ||
décédés | 2 | 11 | 20 | 127 | 161 | |
0,00 % | 1,24 % | 6,83 % | 12,42 % | 78,88 % |
( source RK )
Si la moitié des patients selon le relevé officiel a moins de 45 ans, les formes graves semblent elle suivre la répartition observée en Chine. Et l’allure habituelle des épidémies hivernales faucheuses de personnes très âgées. Il est néanmoins possible que dans la bordure déshéritée de la frontière belge, où l’état sanitaire s’approche de la situation US, la mortalité plus jeune soit significative. Le nombre de patients sous respirateurs dépend.. du nombre de respirateurs. En Lombardie 1000 personnes sont en soins intensifs soit 62/mH. Même avec une offre plus abondante, nous ne devrions pas dépasser 100/mH. Les capacités disponibles dans l’ancienne région Champagne Ardennes sont donc suffisantes.
Les paramètres non maîtrisés: la météo, l’écrémage.
D’après les mesures prises uniformément, le modèle attendu par les pouvoirs publics est celui d’une généralisation rapide d’une épidémie nationale. La situation actuelle de foyers atteignant le stade épidémique, alors que d’autres régions sont encore préservées peut s’accentuer selon deux paramètres, l’un naturel, l’autre artificiel.
Le phénomène naturel, c’est la météo. Dans un air sec les épidémies respiratoires s’arrêtent. Du moins si elle n’ont pas encore atteint un seuil épidémique. L’arrivée du printemps pourrait accentuer les différences entre régions françaises.
L’autre élément est l’action sanitaire à l’étape des cas sporadiques. Un large dépistage, la chasse aux sujets contacts et des confinement sélectifs rigoureux semblent avoir été efficaces, non seulement en Chine sur les foyers secondaires, mais dans l’autre pays d’Asie Taiwan, et surtout Corée du sud. Israël met ainsi en place une politique de filtrage rigoureux des entrées, d’écrémage des cas et de leurs contacts avec des « drive-in test centers », à grand renfort de surveillance digitale de masse de la population et de consignes individualisées reçue par SMS.
Comme il faut pour cela une disponibilité massive des tests en les confiant à tous les laboratoires capables de pratiquer des pcr et non plus à des centres de référence, il est peu probable que nous soyons capable de monter cet écrémage, du moins pour cette vaque épidémique.
la désynchronisation, ou la fragmentation de l’épidémie nationale.
Nous pouvons ainsi évoluer vers une épidémie désynchronisée voir une épidémie fragmentée, avec des régions indemnes ou d’épidémie avortée. Loin d’être une situation réjouissante, ce peut être la source de bouffées épidémiques multiples tout au long de l’année, même en été.
Nous ne pourrons pas maintenir indéfiniment un confinement univoque généralisé. Qu’il faudra vite aménager et moduler. Quitte à le modifier régulièrement. Pour l’aggraver en véritable couvre-feu par endroit, ou au contraire l’alléger dans d’autres. Faut il rappeler qu’en pic épidémique, un confinement mou ne sert plus à grand chose.
Les épidémies futures
Si l’épidémie s’arrête à son immunité de barrière dans la population, celle-ci est distincte du taux d’éradication. L’une comme l’autre dépendant du coefficient de diffusion, en clair de la contagiosité de l’agent infectieux. Pour les maladies très contagieuses comme la rougeole les deux taux se confondent ou presque. Pour le Covid-19 ( devenu SARS-Cov-2 ), d’une diffusion voisine de celle de la grippe, le premier taux serait au tiers de la population et le second aux 2/3.
Sauf vaccin ou traitement effondrant la contagion, des récurrences interminables sont à attendre, soit par bouffées épisodiques soit par vagues, automnales, printanières.. pendant 2 à 3 ans.
Les batailles perdues et les secondes manches à gagner
Avant de parler des batailles perdues, il faut souligner que nous en avons gagné une: le système hospitalier n’a pas explosé au premier choc épidémique dans plusieurs régions. Il peut encore s’écrouler, mais le risque en diminue chaque jour. Grâce à la motivation de son personnel. Et compte-tenu de sa cote remontée en flèche et du tribut humain qu’il va payer à l’épidémie en travaillant dans des conditions défavorables, il sera difficile au pouvoir politique de continuer à l’étrangler après la crise. Sauf à risquer la même chose.
Dépistage, masques et logistique, déplacements des malades, l’articulation ville/hôpital.
Outre l’escarmouche ridicule des élections municipales témoignant du manque d’analyse et de capacité d’anticipation du pouvoir politique au début de l’épidémie, des batailles plus sérieuses ont été perdues.
En début d’épidémie, la bataille la plus critique est celle du dépistage. La rétention des tests au niveau de labos de référence a été une lourde erreur, sur des prétextes de qualité et de sécurité de manipulation. En fait, des labos académiques et non de biologie clinique de routine se sont avérés incapables de réaliser des tests à grande échelle et paradoxalement à travailler dans de bonnes conditions de sécurité pour certains. En définissant une inactivation correcte de prélèvements, les tests peuvent être réalisés n’importe où. Si une politique d’écrémage doit à nouveau être mise en place dans des régions peu touchées, ce point est un pré-requis indispensable et urgent.
La bataille de la logistique est au passif de l’administration de la santé. Les retards à la transformation des hôpitaux, à assurer la chaîne logistique des approvisionnements se sont cristallisés sur les masques et les solutions hydro-alcooliques, même si d’autres manques comme les casaques sont aussi criants.
Les pouvoirs publics ont très mal géré le stock de masques, induisant le réflexe enfoui dans l’inconscient collectif français, du stockage et du marché noir. Le ministère de la santé a mis plusieurs semaines à redécouvrir les stocks stratégiques des deux épidémies précédentes, qui même officiellement périmés pouvaient très bien couvrir largement les premières semaines de besoins. Une fois la pénurie et le marché noir entrés dans les esprits, toute livraison de masque, en pharmacie par exemple, disparaît en thésaurisation. Quand des professionnels de santé gérant des services d’infectieux doivent restériliser leurs masques aux UV ou au sèche-cheveux, la discussion sur la moindre efficacité des masques au bout de quelques heures devient oiseuse. Comme l’affirmation de l’inutilité des masques, par exemple pour les forces de l’ordre, quand les pays aux meilleurs succès anti épidémiques ( Corée, Japon, Chine, etc.. ) prônent le masque pour tous dès qu’il y a un interlocuteur.
Le risque politique est à terme majeur.
Moins remarqué mais plus grave, le manque d’anticipation à la situation prévisible de devoir déplacer massivement des malades d’une zone de pic épidémique vers une zone épargnée. Le recours au service de santé des armées, qui n’est nullement dimensionné pour cela ne fera pas illusion longtemps. Surtout quand la médiatisation de notre unique A330 sanitaire en configuration Morphée met surtout en évidence qu’il ne transporte que 6 malades ! La mise en configuration de sécurité infectieuse de 2 ou 3 trains pour plusieurs dizaines de malades par voyage serait urgente. On peut faire remarquer que cela a été très bien réalisé dans notre pays durant la première guerre mondiale

train sanitaire première guerre mondiale
L’articulation des soins Ville/hôpital est elle aussi très défectueuse. Les généralistes de ville interprètent leur manque de masques comme un manque de considération et de reconnaissance. Ils risquent pour une part d’entre eux de lâcher prise. Alors que leur rôle dans la surveillance à domicile pour éviter les hospitalisations trop tardives et l’ajustement des traitements de malades chroniques est essentiel.
La citation qui ouvre ce texte rappelle que c’est la rapidité de réaction et non les seuls plans préparés à l’avance qui est essentielle dans les épidémies. Un pilotage central jusqu’au terrain, sans structures intermédiaires, se met en place aux USA, court-circuitant la bureaucratie de santé publique dont le CDC après une perte de temps tout à fait notable. Nous devrions réagir en ce sens.