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Pour la chronique d’actualité, on retrouve le professeur Jacques COHEN, Jacques bonjour.
Bonjour.
A C-R Et aujourd’hui, on sort un peu de la situation sanitaire, de la crise de la Covid-19, on va aller faire un tour sur ce qu’il se passe sur la carte de l’Europe et ailleurs. Et on va aller un peu plus loin dans le monde avec la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Absolument. C’est une situation qui est une récidive, puisqu’il y a eu une guerre en 1992, mais c’est une situation riche d’enseignement.
Que se passe-t-il exactement là-bas JC, si on pose le contexte actuel, il y a conflit. Qu’est-ce qu’il se passe ?
Il y a conflit entre la notion de peuple nation, et la notion de frontières des États.

Carte du point de vue Arménien….

Frontières internationales où le Nagorny-Karabakh est une région autonome de l’Azerbaidjan….
Le droit international et les résolutions de l’ONU sont en faveur de l’Azerbaidjan. Il y a une enclave, depuis très longtemps, arménienne en Azerbaïdjan qui était le Nagorny Karabakh, c’était une enclave où il y avait des Arméniens majoritaires mais aussi des Azéris. Et puis il y a la guerre de 1992. Tout a été nettoyé, plus de 1 million de personnes de part et d’autre ont été déplacées et surtout, les Arméniens ayant gagné militairement, ils ont non seulement récupéré cette enclave, mais tout l’espace qui était entre cette enclave et l’Arménie, et sont même descendus un peu plus bas dans la plaine, ce qui les mettait à portée de coupure du corridor qui relie la Géorgie à l’Azerbaïdjan et dans lequel passe entre autres les oléoducs d’évacuation du pétrole de Bakou. Car la richesse de l’Azerbaïdjan, c’est surtout son pétrole. Et depuis 30 ans il n’y a donc plus un azéri au Nagorny Karabakh, dont la population intégralement arménienne souhaite son rattachement à l’Arménie. A deux reprises, le groupe de Minsk, dont la Russie, a tenté une solution négociée qui aurait laissé en gros le Nagorny Karabakh redevenu région autonome aux arméniens, et rendu à l’Azerbaidjan le reste des territoires conquis soit plus de 15 % du territoire de ce pays. Sans succès car les dirigeants des deux camps même lucides pour certains, n’osent pas affronter leurs opinions publiques bellicistes.
Alors, je ne sais pas si l’on puisse dire qu’il y ait des choses qui justifient des guerres et des conflits, mais quelle est l’origine, en tout cas, de ce conflit JC ?
Alors, dans la région, il y a eu des royaumes et des empires qui ont eu des fortunes diverses, que ce soit le Royaume de Géorgie, d’Arménie, des Khazars, les Perses et qui ont laissé à chaque fois lors de leur reflux, des populations en peau de léopard. Alors il y a des petites tâches, elles existent encore, et puis il y avait 2 grosses tâches, il y a une enclave azérie à la frontière turque à l’ouest de l’Arménie et cette fameuse enclave du Nagorny Karabakh, à majorité arménienne, en République d’Azerbaïdjan.
Deux enclaves qui ont eu un destin différent.
Elles ont eu un destin différent, parce que, au Nakhitchevan il n’y a pas eu de guerre, parce que le dirigeant à l’époque qui a bien joué était le père du dirigeant actuel d’Azerbaïdjan. C’était un homme politique soviétique, c’était un proche d’Andropov et il a travaillé avec ses collègues arméniens de façon raisonnable. Après, il a été balayé et les nationalistes azéris ont mis de l’huile sur le feu pour la question du Nagorny Karabakh de l’autre enclave qui était théoriquement rattachée comme région autonome à la République d’Azerbaïdjan et qui voulait être rattachée à l’Arménie. Et puis il y a eu conflit, il y a eu guerre et les Azéris l’ont perdue d’ailleurs. Cela peut paraître étonnant, ils sont plus nombreux, ils sont plus riches, mais ils l’ont perdue, parce que l’Arménie pouvaient s’appuyer sur sa diaspora et aussi sur une infrastructure militaire, héritée d’une organisation quelque peu terroriste, qui était l’Asala qui avait fricoté avec les Palestiniens. Ce qui expliquera ce que l’on va retrouver ensuite du point de vue de la position des grandes puissances et des alliances totalement insolites.
Justement, est-ce que vous voulez revenir maintenant, JC, sur ce rôle des grandes puissances ? À la fois, les grandes puissances au niveau international, mais aussi les grandes puissances locales, telle que l’Iran.
Alors, dans la région, tant que c’était la Russie des Tsars, puis l’Union soviétique, les rattachements n’étaient pas dramatiques, puisque de toute façon tout cela restait, si j’ose dire, dans la grande famille, comme la Crimée par exemple. Il ne faut pas oublier que la région a donné des dirigeants nationaux à l’Union soviétique, d’abord Staline qui était Géorgien et qui fut d’ailleurs Commissaire du Peule aux Nationalités, Beria qui était Mingrélien, et donc une des minorités de la région, Chevardnadze, le dernier ministre des Affaires étrangères de l’Union soviétique, était Géorgien et Aliev, proche du dirigeant du KGB, était Azerbaïdjanais. Donc, il y avait des hommes politiques de premier plan originaires de la région et tout cela a volé en éclat.
Et la classe politique qui les a remplacés, on doit le reconnaître, a été assez peu convenable, ce qui a donné des soubresauts dans les trois pays du Caucase du sud. En Arménie il y a quand même un président dont on se demande toujours ou pas trop d’ailleurs, s’il a été empoisonné ou pas… De l’autre côté, on a un régime en Azerbaïdjan qui après les errances de 1992 est un régime autoritaire, mais laïc, qui a maintenu un équilibre entre la Russie et l’Iran – l’Iran qui a de très mauvaises relations avec l’Azerbaïdjan, parce qu’il y a une forte minorité azérie en Iran et l’Iran a très peur que les Azerbaïdjan essayent de les récupérer et vice-versa. La Perse a envahi plusieurs fois toute la région, donc ce n’est pas le grand amour – les gens de Bakou ont maintenu un équilibre avec Moscou, même si Moscou a une base en Arménie, jusqu’il y a 3 mois où le ministre des Affaires étrangères d’Azerbaïdjan a été limogé, qui était lui justement le garant de cette politique d’équilibre prudent. Et après, le régime de Bakou s’est trouvé des alliés sous la forme de la Turquie. Car l’Iran est dans l’autre camp, clairement. Quand il y a eu des manifestations la semaine dernière pour soutenir les Azerbaïdjanais en Iran, la police iranienne est allée taper sur ses Azéris en soutien à l’Arménie.
C’est étonnant.
Ce qui est quand même assez amusant. Et ce n’est pas le plus étonnant, parce que dans le camp de Bakou, il y a Israël, non seulement pour les ventes d’armes, mais aussi pour les facilités pour les Israéliens d’avoir une base en Azerbaïdjan qui permet d’espionner l’Iran, et aussi, parce que je vous rappelle que les Arméniens avaient, même si cela a nettement diminué maintenant, quelque peu fricoté avec les Palestiniens. Et donc, on est dans cette situation paradoxale qu’en Israël l’opinion publique est favorable aux Arméniens comme petit peuple ayant subi un génocide, même si dans la guerre de 92 ils ont commis eux aussi des massacres…, mais que l’alliance des États se situe exactement dans l’autre sens. Et pour couronner le tout, maintenant il y a la Turquie, la Turquie d’Erdogan, et là aussi c’est l’eau et le feu, parce que l’Azerbaïdjan est laïque, il n’y a aucune oppression de la femme, ce n’est pas exactement la situation en Turquie. Et enfin, la contribution d’Erdogan c’est d’avoir prêté ses mercenaires qui sont des rescapés de Daech en Syrie, qu’il a déjà employés en Libye et que là, il a transféré par avion environ 1 500 personnes. Cela ne fait pas la différence, cela ne fait pas la décision, mais c’est de la chair à canon qui peut avoir de grosses pertes, sans que cela fasse trop de tâches. Et on arrive à ce moment-là à une situation, qui peut paraître surréaliste, d’avoir des troupes de Daech qui vont se retrouver appuyées par les armes d’Israël.
JC, pour boucler la boucle de cette chronique, très rapidement. On a commencé par exposer le conflit actuel avant d’en revenir à ses origines, maintenant que l’on a un peu mieux compris, où tout cela peut-il mener ?
Les gens de Bakou ont manifestement profité d’un incident de frontière, comme il y en avait toutes les 3 semaines pour, cette fois-ci, lancer une grosse offensive. Ils ont essayé de grignoter des villages dans la plaine et ils se sont mis à bombarder la capitale du Haut-Karabakh pour en faire fuir les civils. Ce qui veut donc dire qu’ils ont le raisonnement d’envahir cette zone sans s’encombrer de civils arméniens, mais ce n’est pas si facile. C’était relativement facile par surprise. Au bout de quelques jours ou quelques semaines, comme il s’agit d’une région montagneuse avec des défilés, à partir du moment où les Arméniens ont aussi du matériel antichar et quelques missiles en interdisant l’accès aux avions d’appuis tactiques, l’affaire n’est pas garantie même si on essayait sérieusement. s’il ne reste que les drones armés Turcs fournis par la Turquie à l’Azerbaïdjan, je pense que cela ne suffira pas et que la conquête de Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh, n’est pas garantie. Aliev pourrait tenter de couper l’Arménie de l’Iran en récupérant par les armes les districts occupés par l’Arménie le long de la frontière et en poursuivant jusqu’au Nakitchevan. Mais la Russie a fait savoir qu’elle garantit la frontière arménienne historique, et non ses conquêtes d’ailleurs. Mais surtout l’Iran en fait une ligne rouge et a massé des moyens militaires pour l’empêcher. Donc là, si Aliev qui annonçait qu’il allait récupérer tout ce qui avait été pris auparavant par l’Arménie, qu’il allait faire le symétrique de la guerre de 1992, doit se contenter de prises relativement modestes, il aura du mal avec son opinion publique, puisque de chaque côté l’opinion publique est chauffée à blanc.
Merci JC de nous avoir éclairés, on se retrouve la semaine prochaine, à très bientôt.
À très bientôt.