JHM Cohen Chronique du 25 février 2022
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Jacques Cohen, bonjour.
Bonjour.
Aujourd’hui, exit la chronique santé et on revient dans votre chronique d’actualité sur la guerre entre l’Ukraine et la Russie, entre la Russie et l’Ukraine, une guerre illogique, une logique à craindre. C’est le titre que vous avez choisi pour votre chronique ! Pourquoi, JC ?
Et bien, d’abord c’est une guerre de la Russie. L’Ukraine n’est guère en état de faire la guerre à la Russie. Alors, une guerre illogique et une logique à craindre, pourquoi ? C’est une guerre illogique parce que c’est une opération militaire sur l’ensemble du pays en réponse à des inquiétudes russes, par des moyens totalement inadaptés. Personne ne croyait que réellement POUTINE allait envahir tout le pays, au mieux on pensait – ou au pire cela dépend des points de vue – qu’il allait donner un peu d’air aux sécessionnistes du Donbass en prenant les deux districts correspondants, mais on est dans une toute autre échelle.
Alors, il faut regarder quelle est sa logique, bien sûr, et pourquoi a-t-il choisi ces moyens qui sont illogiques, et enfin s’inquiéter de la logique de la situation.
Comme vous savez, les guerres ne se développent pas la plupart du temps comme les gens le pensaient en les commençant, et là il y a tout à fait à craindre. Quel est le raisonnement de Vladimir POUTINE ? Il constate des opérations de l’OTAN tout autour de la Russie avec la volonté de grignoter son glacis contrairement à ce qui avait été promis à la chute de l’Union soviétique. Il faut reconnaître qu’une partie de ces inquiétudes sont tout à fait fondées, comme l’a dit Bernie SANDERS, par exemple. Mais au lieu d’une négociation à ce sujet, éventuellement de la prise de quelques gages, il choisit une opération de guerre totale, l’envahissement total et il parle de pays nazi. Alors évidemment, là, hiatus, parce que comme Talleyrand à Napoléon « On peut faire beaucoup de choses avec les baïonnettes, mais pas s’asseoir dessus », ni justement avoir l’amitié des peuples en les priant de s’asseoir dessus. On ne peut pas à la fois dire que ce sont des peuples frères, voire un seul et même peuple et tirer abondamment des missiles en l’envahissant. Ce qui parait complètement invraisemblable, c’est qu’il n’y a pas eu d’opération politique, c’est-à-dire de tentative préalable de développer un mouvement pro-Russe significatif. La région sécessionniste du Donbass par exemple, n’a pas été développée du tout, POUTINE n’a pas été capable d’en faire une vitrine attractive. Vous me direz que de récupérer en quelque sorte, Roubaix et Tourcoing en pire, c’était certes partir de loin, mais là il n’y a pas réussi du tout. Et dans le reste du pays, il y a effectivement une perte d’influence russe de fait de l’attraction occidentale qui a un niveau de développement économique sans rapport. L’ukraine a bien sûr des points faibles, qui la pousse à la dépendance, qui sont la corruption et l’incapacité du développement économique d’un régime désastreux qui ne tient que par, évidemment, les subventions occidentales.

Anne de Kiev ou Anne de Russie. Fille de Iaroslav le Sage tsar de la Rus de Kiev Épouse d’Henri Ier Remariée par amour après la mort du roi avec Raoul de Crépy, pas tout à fait divorcé pour l’église d’où l’excommunication du couple. Qui coula néanmoins des jours heureux à Senlis.
Mais le détruire par des moyens purement militaires, c’est une solution politique impossible. S’il n’y a pas de solution politique, cela s’appelle une armée d’occupation et à chaque fois cela se termine pareil, que l’armée soit rouge ou qu’elle soit américaine, on l’a vu encore récemment. Et à la limite, on le voit aussi au Mali pour nous, où nous avons gâché de belles occasions d’amitié avec le peuple. Donc, de ce point de vue là, la situation en Ukraine est tout à fait désastreuse, car il y a des risques d’escalade. On ne pensait justement pas que POUTINE irait aussi loin. Du côté des occidentaux, il va y avoir, surtout en France en période électorale, une surenchère pour dire « il faut aller les aider ! », mais POUTINE a bien prévenu que si on va les aider, c’est la guerre ! Et donc cela peut s’étendre au-delà. Donc, cela c’est une logique implacable et à craindre comme logique militaire, comme logique de guerre alors que personne n’y a intérêt. Mais comme je vous l’ai dit pour commencer, les guerres sont rarement l’occasion de voir l’intérêt de chacun et la logique de se développer. Alors il y a quand même un point qu’il faut rappeler dans les critiques de POUTINE, il parle d’État nazi. Bien sûr, c’est parce que la seule solution avec les nazis c’est d’anéantir le pays, il n’y a pas d’action politique possible. C’est un peu pour s’excuser d’avoir été incapable de développer une option politique, ce qui ne veut pas dire réciproquement qu’il n’y a pas de nazis en Ukraine. Malheureusement, c’est un pays où il y a des néonazis qui pèsent un peu plus qu’ailleurs. Ils sont largement minoritaires, le président est juif par exemple, mais ils ont quand même réussi à faire élever une statue à l’Attaman Pétlioura, une ordure pogromiste de la guerre civile qui d’ailleurs a été abattu à Paris par un juif d’Ukraine, Schawartzbard qui était devenu français, qui avait été combattant volontaire durant la Première Guerre mondiale et qui avait même reçu la croix de guerre. Il l’a abattu de cinq balles de revolver et il a été acquitté parce qu’il a pu démontrer que ce type était une ordure pogromiste qui avait tué plein de monde. Faire une statue à ce type en 2017, dans l’ancien quartier juif, était déjà une provocation,. Quelle soit toujours là, montre aussi que ZELENSKY n’a pas été capable de la faire retirer au plus vite. Donc, il y a effectivement des néonazis en Ukraine qui vont servir d’alibi à POUTINE, mais qui ne représentent qu’une minorité de la population. Donc ce n’est pas le problème principal et cela ne peut pas être une excuse à un envahissement complet du pays et à une occupation militaire qui comme souvent, va avoir comme affichage de dire qu’il faut démilitariser. De ce point de vue là aussi, on peut se demander si en Russie le raisonnement du pays assiégé obligé de se défendre à la dernière minute va tenir très longtemps. Malheureusement donc, la situation n’est pas totalement prévisible.
JC, on aurait pu en parler encore plus longtemps, il vous reste une minute pour le dire, mais un mot tout de même sur quelle position doit adopter la France par rapport aux éléments, par exemple, que vous nous avez donnés. Est-ce que l’armée française doit se tenir prête ? Quelle posture adopter ?
Je pense que nous devons agir en faveur de la paix et éviter l’anéantissement du gouvernement ukrainien en l’exfiltrant à temps. Ce qui veut dire que l’attitude de bravade d’envoyer des troupes, cela revient à dire il faut faire la guerre. Et la guerre n’est utile à personne dans le cas présent. Non pas parce qu’en général la guerre ce n’est pas bien, mais parce qu’on ne voit pas quels seraient les buts de guerre ? Aller chercher V Poutine à Moscou ? Si les buts de guerre c’est de créer à une échelle 10 la situation du Donbass avec une ligne de front, des bombardements réciproques et une tentative d’usure militaire et industrielle de la Russie, cela me parait à peine moins stupide. D’autant qu’on n’a aucun intérêt à pousser la Russie à se réfugier auprès de la Chine et d’avoir un bloc qui soit hostile à l’Europe occidentale. Il y a des partisans du blocus, des sanctions, du boycott et de l’isolement. Et moins nombreux aujourd’hui hélas de partisans de la ligne du « soft power » de Willy Brandt, Nixon et même Reagan qui n’a jamais bombardé ce qu’il appelait pourtant « l’empire du Mal ». Nous avons ainsi, à l’inverse de ce qui se profile, et comme toujours, à développer le commerce et les contacts, puisque c’est ainsi, par exemple, que la RDA s’est effondrée vis-à-vis de la République Fédérale d’Allemagne. C’est par une compétition pacifique que l’on peut démontrer que notre système est meilleur. La guerre c’est au contraire une façon de revenir à des choses qui ne sont pas sur les mêmes rapports de force. Paradoxalement plus favorables à une dictature. Mais il n’y a pas de raison si son coup réussit, que V Poutine, s’en tienne là ? L’Ukraine lui sera bien plus dure à digérer si elle n’est pas coupée du monde. Et la Russie non plus. C’est alors son enlisement en Ukraine qui pourra le dissuader d’aller plus loin.
Mais dans un premier temps, les surenchères guerrières sont inévitables surtout en période électorale. Ensuite, limiter l’action militaire à un soutien à l’opposition ukrainienne évitant la duplication de la Biélorussie tout en reprenant commerce, échanges, et même investissements reviendra à l’ordre du jour.
Le message est passé. Merci, Jacques Cohen, de nous avoir éclairés dans votre chronique d’actualité, on vous retrouve la semaine prochaine. A bientôt.
À bientôt.