Du Numerus Clausus à la mort de la sécu : un billard à 3 bandes

JHM COHEN

Chronique du 18 février 2022

Sur les ondes de RCF: Lien

Et avec nous aujourd’hui, le professeur Jacques Cohen. Bonjour.

Bonjour.

Alors cette semaine, vous nous proposez ce thème : les réformes des études de médecine. Un vaste sujet et on va dire toujours d’actualité.

Tout à fait, car les choses croissent et s’amplifient. La chose commence avec la suppression du numerus clausus en disant que le numerus clausus étant bas, il faut le supprimer pour qu’il y ait beaucoup plus d’étudiants admis et de médecins à terme.

Alors pour rappel, le numerus clausus, qu’est-ce que c’est ?

C’est le nombre d’étudiants admis au concours d’entrée en médecine en fonction d’un coefficient décidé nationalement. Où c’est une espèce de subterfuge, c’est que le numerus clausus, il peut être bas ou haut, il peut être changé en 48h par un arrêté ministériel. Il n’y a donc vraiment aucune raison de le supprimer sur l’argument du manque de médecins.

C’est totalement idéologique et assaisonné d’un numéro de pleurnicherie sur les pauvres malheureux qui n’ont pas été reçus, qu’est-ce qu’ils vont faire de leur vie, etc… Ce qui reste le cas de toutes filières qui ne sont pas extensibles à l’infini ou toutes filières où les gens doivent avoir un certain niveau. Alors ce truc-là va permettre aux facs de choisir, avec un peu de négociation avec le ministère, d’augmenter leur quota de places de façon différenciée. Et cela donne un pouvoir considérable de façon décentralisée aux différentes féodalités. D’autant plus que certaines vont viser l’excellence: je parie qu’il n’y aura pas beaucoup d’augmentation des reçus à Necker à Paris, et en revanche, il y a des facs du fond du panier qui vont ouvrir largement et jouer la retape sur le fait que chez eux c’est moins cher, on rentre plus facilement. Donc cela, c’est déjà un élément vers l’éclatement de l’homogénéité du système médical. Le deuxième élément dans ce sens, c’est la question du concours national pour les postes de Praticien Hospitalier. Bien sûr, les contingences locales, les nécessités à tel ou tel endroit ont toujours compté dans le fait de mettre des gens sur la liste d’aptitude ou de les nommer, mais il y avait une barre indispensable qui était d’être reçu à un concours national – qui se passait à Orly , je me rappelle d’avoir été du jury plusieurs fois – et qui tenait compte des besoins, mais qui fixait une barre nationale sur le niveau des gens. Là aussi, un concours national ça protège contre les pressions locales trop importantes destinées à faire passer untel ou unetelle. Si la commission nationale disait « on est désolé, mais il ou elle n’a pas le niveau », les protections locales étaient impuissantes. Et bien, cela disparaît et les postes deviennent locaux. Et là aussi c’est un puissant retour au système féodal d’avant 1958, car il y a encore deux étages de cette opération de démolition.

plaque de celine a meudin

Le Dr LF Destouches avait bien pris soin de mentionner qu’il était diplômé de la Faculté de Médecine de Paris…..

L’un c’est le concours d’internat qui est transformé, il disparaît de fait ce qui là aussi ne va plus assurer que les rentrées dans les postes hospitaliers et spécialités médicales soient garanties par un concours anonyme et un classement. Il faut bien se rappeler qu’en 1958 pour faire passer leur réforme contre les féodalités médicales, même le Général DE GAULLE et Michel DEBRÉ, qui défendaient la réforme du père de Michel DEBRÉ, n’ont pu faire passer directement leur projet par le parlement. Même une chambre UNR et aux ordres aurait saboté le projet. Il est passé entièrement par ordonnances, c’est-à-dire imposé par le pouvoir central. Et pour réformer l’internat et casser les féodalités il a fallu aller assez loin, c’est-à-dire maintenir un anonymat strict au point que le jury ne pouvait pas voir les copies: trop facile de reconnaître les écritures.

Pour éviter le  clientélisme !?

Voilà, pour éviter le clientélisme qu’on pourrait appeler aussi un népotisme  en la matière. Le jury ne voyait pas les copies qui étaient lues par des internes en exercice au jury et avec dans leur dos, un représentant de l’administration qui vérifiait qu’ils ne racontaient pas autre chose que ce qui était écrit dans les copies. Donc cela vous montre la lourdeur du processus et la détermination du pouvoir gaulliste à l’époque pour casser ces féodalités qui faisaient qu’on écrivait sur sa plaque de la faculté de médecine de « Trifouilly-Les-Oies » ou de la faculté de médecine de Necker avec une considération de la part de la clientèle extrêmement différente selon d’où on sortait, et des honoraires en conséquence. La réforme a permis pas mal de choses qu’on ne verra pas aujourd’hui, mais entre autres d’homogénéiser le système médical en réduisant au minimum sa disparité et en permettant que tous les médecins soient considérés semblables et que leur activité soit remboursée pareil par la sécurité sociale, de même qu’ils pouvaient s’installer où bon leur semble. Or, il y a des gens qui de longue date sont fâchés par cela, ce sont tout simplement les compagnies d’assurance qui voudraient faire exploser la sécurité sociale et pouvoir conventionner eux-mêmes des médecins, ou plutôt tel et tel médecin sur tel ou tel critère de leur formation, mais aussi de leur docilité et de leur prescription, ce que le système actuel ne permet pas.

Donc les compagnies d’assurance savent très bien que leurs faux nez mutualistes qui sont quand même une chose politiquement fragile de part leurs frais de fonctionnement astronomiques (30 %!) leurs prestations opaques et leurs hausses de tarifs subreptices, ne peuvent prétendre sérieusement à remplacer la sécurité sociale par leur concurrence.

Ill faut donc, pour progresser de leur point de vue, en finir d’abord avec la sécu. Cet opération de revenir à la féodalité d’avant 1958 c’est la meilleure solution pour faire éclater la sécurité sociale en différenciant des médecines à plusieurs vitesse et à plusieurs prix, basées sur des praticiens de formation inégale et niveaux diversifiés.

Alors, on nous donne généralement comme argument pour la différentiation des facs, qu’il y a des déserts médicaux, qu’il faut plus de médecins et que de toutes façons les médecins étrangers ou formés à l’étranger reviennent et sont automatiquement acceptés. Et bien, ce n’est pas automatique, il y a une commission qui doit juger de leur niveau, voire même un examen, et rien n’oblige contrairement à ce qu’on dit que des médecins de l’union européenne soient automatiquement validés quand ils passent la frontière. Il faut qu’ils répondent à des critères, ne serait-ce que pouvoir interroger leurs patients en français et quelques autres critères qu’on ne détaillera pas maintenant.

Donc le système à l’inverse qui me parait de loin le plus logique contre les déserts médicaux, c’est de transformer les facs de médecine en les recréant en écoles professionnelles où, exactement comme à Polytechnique, les gens sont payés du lendemain du jour où ils sont reçus au concours. Ils sont payés, mais ils ont signé ! et ils ont signé qu’ils allaient passer X temps dans la région de la fac dans laquelle ils ont été reçus, de façon justement à éviter l’héliocentrisme et le drainage des déserts médicaux.

Il y a un dernier élément important dans le massacre, c’est l’histoire de la suppression du concours d’entrée en médecine anonyme devenant une épreuve orale qui compte pour jusqu’au ¾ de la note, qui donc bien sûr n’est pas anonyme et qui plus est, porte sur des sujets de culture générale ou d’intérêt général et pas du tout sur les bases de connaissances nécessaires pour Médecine. De plus il est délibérément annoncé qu’elle va conduire à augmenter la diversité, c’est-à-dire en clair à prendre des gens qui n’ont pas le niveau, mais qui viennent de zones défavorisées. Ce que je recluse complètement, car l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et des citoyens rappelle que « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux [ ceux de la loi ] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »  Et non pas de leurs origines, ce qui était au contraire le système précédent féodal avec les gens qui étaient bien ou mal nés.

On peut se demander à qui profite le crime ?

Dans l’idéologie communautariste ou « woke «, on doit réserver des places et on trouve cette alliance très curieuse de gens présumés d’ultra gauche, et encore j’en doute, qui réclament leur place au soleil, si possible sans effort et gratuitement, alliés à des représentants du capitalisme bancaire et des assurances pour obtenir ce massacre du système de concours et de méritocratie républicaine qui a jusqu’à présent été la base de notre système éducatif. S’ajoutent en pique-assiettes ou ramasse-miettes, les exécutants dociles, les Doyens des fac de médecine, pour beaucoup des politiciens de seconde zone, parmi lesquels les disciplines sans soins et sans malades sont sur-représentées –- c’est surprenant qu’ils soient considérés comme les mieux placés pour savoir comment apprendre à soigner et à qui–, habiles en retape électorale dans des élections par collèges à récupérer des voix étudiantes par exemple et qui voient aussi là une belle opportunité de connivences entre collèges au bénéfice de leurs progénitures, comme de s’assurer des Molenbeek électoraux universitaires.

C’est tout à fait dommage et c’est pourquoi j’ai donné ce titre à cette chronique de « billard à 3 bandes » parce qu’on va de la destruction du système centralisé et méritocratique vers une féodalité multiple, vers l’éclatement de notre système de soins, et la mort de la sécurité sociale.

Professeur Jacques Cohen, merci pour cette nouvelle chronique cette semaine et on se retrouve la semaine prochaine.

À la semaine prochaine, à bientôt.

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