La paralysie des urgences, stade terminal de notre système de santé

Jacques HM Cohen 29 4 2022

Sur les ondes de RCF: LIEN

On retrouve le professeur Jacques COHEN pour une chronique d’actualité, on va parler du système de santé. Professeur, bonjour !

Bonjour !

Avec ce titre : paralysie des urgences, stade terminal de notre système de santé. JC, les urgences, on a l’impression que le service a changé par rapport à ce que l’on a connu il y a quelques années. Maintenant, on ne prend plus que les urgences vitales quelque part, si j’ose dire.

Il y a quelques endroits où on a dû refouler ces derniers jours des urgences présumées non vitales, ce qui est gravissime parce que les urgences non vitales peuvent le devenir et que les gens sont venus là parce qu’ils n’avaient pas eu d’autre solution. Il y a des difficultés des urgences proprement dites, mais il faut tout d’abord bien considérer que ces difficultés des urgences ne sont que les reflets de la dégradation totale de notre système de santé.

Les paralysies des urgences viennent non seulement de l’amont, c’est-à-dire des malades qui viennent là parce que le système de santé ne les a pas pris en charge avant, et viennent d’autre part de l’aval c’est-à-dire de réductions considérables des lits et personnels empêchant les soins des gens qui ont été vus aux urgences, sans parler des difficultés internes aux urgences. La mauvaise solution c’est de penser qu’il suffit de mettre un peu plus d’argent dans les urgences, voire même de modifier leur organisation qui n’est pas d’une fonctionnalité extraordinaire, mais ce n’est pas le centre du problème.

Bien sûr, les urgences manquent de personnel, de moyens, de labos et de radios, mais d’abord, c’est l’organisation du système de santé y compris le fait de faire de grands services d’urgence qui sont de véritables entonnoirs régionaux, alors que beaucoup de choses devraient être décentralisées en amont sur des soins plus légers et géographiquement répartis. Tout cela est un problème, mais le principal problème est dans l’organisation du système. Comme on le verra, la parenthèse du Covid, remarquable organisation égalitaire, a masqué un certain temps la dérive progressive du système. Une politique qui à force de ne pas faire de choix est une politique qui ne dit pas son nom, que l’on va voir, qui est une réduction du potentiel hospitalier public, l’organisation d’un système à deux vitesses et à deux structures entre le public et le privé et un système très inégalitaire.

On dit que les mutuelles vont couvrir, même si la sécurité sociale couvrira moins ceci ou cela. Or les mutuelles sont chez nous des parasites, des vers solitaires.

FIGARO MUTUELLE BLEUE

«  »Corentin Horeau, Skipper du Figaro Mutuelle Bleue pour l Institut Curie, en entrainement en vue de sa participation a la Solitaire du Figaro 2021 – en mer le 08/07/2021″ » communication officielle. Les seules dépenses publicitaires des mutuelles dépassent, en pourcentage des recettes, l’ensemble des frais de gestion de l’Assurance Maladie !!

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Le Télégramme° Aprés le rêve publicitaire, la réalité….. à Rennes ou n’importe où en France.

Cela veut dire qu’elles n’ont pas un rôle à jouer quelque part ces mutuelles finalement, JC ?

Il y a deux situations. En Europe, il y a des pays où l’ensemble des systèmes de santé reposent sur des mutuelles, par exemple en Allemagne ou dans une certaine mesure en Suisse, mais elles ont des contrôles très stricts et des cahiers des charges qu’elles respectent. Chez nous, il faut bien voir que les mutuelles multiples qui sont les faux nez de compagnies d’assurances  – je crois qu’il y en a 400 –, et les fromages d’une nomenklatura, ont d’abord une chose en commun. Globalement elles ne reversent que 70 % de ce qu’elles touchent, cela veut dire qu’elles empochent 20 à 30 % de leurs recettes. Ce sont des « frais de gestion » astronomiques et inacceptables, on comprend que le développement d’un tel secteur est regardé avec gourmandise par les investisseurs des compagnies d’assurance et des banques. Deuxièmement, elles sont très différenciées du point de vue du niveau de couverture. Certaines sont plus ou moins bonnes, d’autres moins. Ceci est absolument opaque pour l’utilisateur qui peut juste juger que les plus chères sont probablement meilleures que les moins chères parce que leurs conditions sont extrêmement tarabiscotées. En plus, elles modifient leurs tarifs alors que soi-disant le gouvernement doit le leur interdire, mais le ministère de la Santé est incapable de les surveiller. D’autre part, elles trient et choisissent et quoique l’on dise, là aussi, elles ne devraient pas avoir le droit de choisir et trier les risques, mais elles le font allégrement. Bref, sur l’alibi de l’entraide, c’est un secteur parasite sur la santé qui coûte cher.

JC, pour aller en opposition face aux mutuelles, est-ce que l’on ne pourrait pas se diriger vers un système de sécurité unique par exemple ?

Totalement. Le système que par exemple « les gauchistes » de la Cour des comptes  ont proposé à plusieurs reprises c’est d’arrêter le système des doubles dossiers, des doubles caisses, etc. Si nous ne sommes pas capables d’avoir des systèmes de mutuelle contrôlés comme en Allemagne, c’est dans l’autre sens, la sécurité sociale – non pas la Grande Sécu comme certains le disent, mais la Sécurité Sociale Unique, indivisible et universelle, comme la République – qui peut parfaitement couvrir le système de santé pour tout ce qu’elle doit prendre en charge. Je vous dis franchement que par exemple, toutes les « médecines » de grigris et autres machins, de croyances à l’ostéopathie, au blanc des yeux, etc., il n’est pas question de mon point de vue que la collectivité y consacre un centime. Si des gens veulent jouer à ça, c’est leur affaire. Mais tout ce qui est utile devrait être pris en charge par la collectivité parce que le système ancien de partage à partir du travail des entreprises a disparu puisque c’est l’État qui finalement comble le trou de la sécu quand il y en a un et donc je ne vois pas pourquoi ce n’est pas lui qui déciderait et qu’on laisserait les partenaires sociaux, comme on dit pudiquement, syndicats, patronaux et ouvriers discuter entre eux. C’est quand même assez aberrant parce qu’il me semble que, quel que soit le régime, celui qui paye décide serait une politique rationnelle. De ce point de vue-là, il est à mon avis indispensable de reprendre une politique dirigiste, on le voit avec la parenthèse du Covid. Le Covid a représenté une politique centralisée, dirigiste et égalitaire, ce qui est remarquable parce que ce qui nous pend au nez, c’est l’Obamacare.

Vu des États-Unis, l’Obamacare est un gros progrès, mais chez nous, ce serait une énorme régression, c’est-à-dire ce que l’on est en train de voir se mettre en place, des régimes complémentaires basés sur les entreprises. Donc les entreprises importantes et prospères peuvent couvrir leurs salariés et les autres peuvent crever la dalle, ce n’est pas la bonne expression, mais c’est tout de même une image parlante.

On a quand même réussi, suivant les préceptes du Pr Shadoko, à mettre en place une mutuelle voiture-balai, puisque tout le monde doit en avoir une, accesoirement bas de gamme, pour ceux ne pouvant s’en payer aucune, financée par la sécurité sociale pour fournir aux miséreux la couverture de ce que la même sécu ne prend plus en charge !

Donc un système différencié de couverture avec une assurance complémentaire variable et une atrophie de la sécurité sociale revenant à la maladie catastrophique et au système des urgences, lequel est complètement engorgé comme on le voit facilement. Tout cela serait chez nous une régression colossale et ce n’est pas de mettre un peu de personnel ou un peu d’argent, le système est globalement mal structuré. Même pendant le Covid, subrepticement, on a continué cette politique d’atrophie où l’on ferme des lits puis du personnel parce qu’on a moins de lits et réciproquement. On voit par exemple quand le président de la République avait limogé le directeur de l’ARS Grand Est qui avait clairement annoncé qu’on allait continuer le plan de restructuration en réduction du CHU de Nancy. Qui a été nommé à sa place ? La personne qui avait préparé ce plan. Le ministre et le président n’ont pas décidé de faire sauter le directeur de l’hospitalisation publique pour s’être payé leur tête, ce qui veut dire qu’ils ont préféré renoncer à ce terrain sans livrer bataille et regarder ailleurs. 

Donc vous le voyez, il y a un changement considérable et structural à faire, pas seulement revaloriser les salaires des aides-soignantes et infirmières, créer des différentiations pour les contraintes que représentent de travailler le week-end et la nuit. Il y a un élément de structure. On s’oriente pour l’instant vers un système avec une hospitalisation publique qui lâche les hospitalisations au long court pour un système de médecine de soins de jour, une hospitalisation privée qui elle divise des secteurs, certains étant très rentables comme le parking des vieux, d’autres pouvant le devenir sur les soins de moyen séjour et créant des services de médecine spécialisée avec une division de la population entre celle qui a de bonnes couvertures et les autres parce que c’est naturellement plus cher. Et créant même des services d’urgence qui, là aussi, ne prendront plus n’importe qui parce que c’est là encore le point faible. Même là, l’encombrement ou le manque de personnel conduisent à des paralysies, y compris dans des urgences de droit privé qui sont supposées participer au service public d’accueil des patients.

L’organisation territoriale sans carte sanitaire, la bureaucratie dévorante de l’activité de médecins généralistes, le faible dirigisme- un euphémisme !- des quotas de telle ou telle spécialité, et maintenant la décentralisation féodale des études de médecine conduisant bientôt au retour à la situation d‘avant 1958 et la réforme Debré. Tout cela charge la barque et la fait chavirer vers une dépense toujours croissante et un service de plus en plus médiocre. On reviendra un des ces jours sur l’option inverse des écoles professionnelles de médecine avec concours d’entrée, et salaire dès le lendemain, mais obligations de service y compris géographiques annoncées dans le contrat initial.

Et ce sera le mot de la fin, JC, si vous le voulez bien, parce que l’on a déjà explosé les chronos. Un grand merci, Professeur, de nous avoir éclairés sur la paralysie des urgences, le stade terminal de notre système de santé. À très bientôt, JC !

À bientôt !

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