Chronique du 20 octobre 2022
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La chronique d’actualité avec le professeur Jacques Cohen. Bonjour Jacques !
Bonjour.
Et aujourd’hui, vous voulez nous parler d’un sujet que vous aviez déjà évoqué lorsque l’on a commencé à parler de la guerre en Ukraine, les mères porteuses. C’est un sujet un peu inhabituel, une photographie de ce qu’il se passe avec ces mères porteuses et l’Ukraine.
Et bien, en effet, l’Ukraine est le seul pays d’Europe ayant une véritable industrie des mères porteuses, c’est à dire, de mon point de vue, l’exploitation de la misère des femmes d’une façon parfaitement honteuse. Comme en plus elles sont blanches et souvent blondes, cela paraît, si je puis dire, beaucoup plus simple à certains que d’aller acheter au loin dans le tiers monde. Et cette industrie est autorisée d’ailleurs en Ukraine depuis quelques années, en parallèle avec la misère induite par la décrépitude économique d’un pays qui est passé de 52 M à 44 M d’habitants de 1994 à 2022 avant la guerre. Aucun autre pays d’Europe, à ma connaissance, ne permet ce genre de chose, c’est-à-dire une industrie exportatrice. Il y a un certain nombre de pays qui ont glissé peu à peu à des productions, si j’ose dire locales, présumées à consommation locale, mais où d’autres gens viennent quand même se servir. Mais officiellement, ce n’est pas le cas. Il n’y a qu’en Ukraine où il est parfaitement possible que n’importe qui vienne, paie en « cash and carry » en quelque sorte.
Alors il y a déjà eu avec la guerre plusieurs épisodes. Le premier, c’est qu’au début de la guerre en Ukraine, on a, si j’ose dire, exporté sur pied les porteuses pour qu’elles accouchent plus loin, à l’abri, en France par exemple, et qu’on livre quand même les enfants, ce qui est contraire à la loi française d’ailleurs. Puis elles sont rentrées au pays. Il y a un article récent du New York Times qui montre très, très bien avec en première photo en bandeau une césarienne – Parce que pour la qualité, on n’hésite pas, on fait des césariennes systématiques pour que les enfants soient impeccables – , et on voit très bien que c’est une industrie qui a repris dans des cliniques à des débits tout à fait importants. L’article du New York Times annonce que les choses redeviennent comme avant, que l’Ukraine a le vent en poupe dans les combats et que donc la vie peut y redevenir normale.

Bandeau de l’article du NYT. Naissance par césarienne. Le terme « surrogacy industry » est employé.
Mais tout ça, c’était avant la campagne de bombardements. Alors cette campagne de bombardements, elle n’a pas d’importance militaire majeure, et en tout cas pas sur le front. Elle a une importance pour user la résistance ukrainienne par la destruction des infrastructures essentiellement électriques, mais les drones que l’on met surtout en vitrine, les drones iraniens à 50 kilos d’explosifs, ça représente deux obus, ce n’est pas totalement décisif. Et comme campagne de terreur, le résultat est comme d’habitude, exactement le contraire. C’est-à-dire que si on décide de bombarder les gens, c’est qu’il faut le faire pour les tuer. Si on le fait simplement pour leur ruiner le moral, ça ne marche pas. Tel qu’on l’a vu largement, y compris en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale et au Japon. N’oubliez pas qu’au Japon les Américains ont fini par faire cuire au court-bouillon, dans les canaux de Tokyo, l’essentiel de la population de la ville parce que là, c’étaient des bombardements pour anéantir la population. Les bombardements ciblés avec des charges explosives relativement limitées n’ont aucun effet autre que transitoire, En revanche, la destruction des infrastructures critiques majeures quand on ne peut pas les réparer aisément, comme, par exemple, les turbines de barrage pour la production d’électricité, c’est tout à fait significatif.
Mais revenons donc à nos mères porteuses, en anglais, ce sont des « surrogate mothers », des mères de substitution, ce serait un petit peu un « ersatz » en allemand, ce qui est tout à fait significatif. Il n’y a qu’en France où on emploie des circonvolutions euphémisantes comme la gestation pour autrui au lieu d’appeler un chat un chat. Vous me direz que ce n’est le seul domaine où, ces temps-ci, on ne dénomme plus les choses pour de vrai. On voit rarement des destructions ou des démolitions, mais des déconstructions. Et on pourrait multiplier les exemples.
Mais donc, du point de vue stratégique, on peut constater que les Russes font des bombardements précis avec des charges significatives sur quelques objectifs, mais peut-être commencent-ils un peu à manquer de munitions pour jouer à cela à profusion. Et donc pour l’instant, ils emploient un certain nombre de drones avec pas mal de déchets en route, et vaille que vaille, ils obtiennent un effet au moins sur le système électrique. Donc cela risque quand même de ressembler plus comme échelle à la campagne des V1 et V2 allemands de la seconde guerre mondiale qu’aux bombardements de destruction massive. Et d’ailleurs, ce n’est probablement pas le but des Russes de faire une destruction totale de la population comme les alliés l’ont fait en Allemagne ou les Américains au Japon.
Alors est-ce que cela aura un impact économique et militaire ? Probablement pas directement. C’est une guerre d’usure qui verra lequel des deux s‘use le premier. Sauf si la tactique ukrainienne, c‘est une tactique au finish d’obtenir des avantages militaires décisifs maintenant, en sachant que sur la durée, ils ne tiendraient pas la distance. Nous allons donc voir dans les prochains mois ce qu’il en sera, sans pouvoir en préjuger pour l’instant. Mais j’ai tendance à penser que les ukrainiens veulent tenter une décision politique rapide, soit de victoire décisive en Ukraine, soit d’obtenir une surenchère et une escalade en territoire russe de façon à pouvoir être sauvés par l’aide occidentale non plus en matériel, mais par l’implication de troupes occidentales.
Jacques Cohen, effectivement, vous parlez de ce problème des mères porteuses avec l’épreuve des drones finalement qui vient secouer encore un peu plus ces histoires. Quelle est cette « gestation pour autrui » ailleurs en Europe ? Parce que là, on prend l’exemple avec la France, est-ce qu’elles ne peuvent pas être accueillies ici ou dans d’autres pays européens, par exemple ?
Et bien, tout d’abord, j’ai du mal à voir accueillir une activité qui est interdite chez nous, c’est déjà une chose. Car quand on dit que les Ukrainiens défendent les valeurs de l’Europe occidentale, je ne suis pas sûr que les mères porteuses soient une valeur à laquelle nous aurions tellement besoin de nous référer. Vous savez que je suis un social-démocrate humaniste, un homme de gauche. J’ai toujours défendu le mariage et l’égalité des droits civils pour tous. Et c’est comme tel que je combats l’esclavage moderne des mères porteuses.

Autre illustration de l’article du NYT. Césarienne côté mère
Selon les pays, il y a par exemple en Belgique, la possibilité d’avoir des mères porteuses soi-disant volontaires, soi-disant pas rémunérées, juste dédommagées, etc. etc., et soi-disant encore une fois pour une population locale, en prenant en vitrine quelques exemples de maladies génétiques où il n’est pas possible aux dames d’avoir des enfants, où il faut mettre deux gamètes différents de deux autres personnes, alors que dans la plupart des cas, on n’en est pas là. Il s’agit de sperme d’un individu qui ne veut pas rencontrer par lui-même d’ovules, et ce sont les ovules de la mère porteuse qui servent tout simplement. La Belgique pratique juridiquement le ni-ni. Les contrats des mères porteuses n’y sont pas interdits, et toute adoption est permise si la mère ne s’y oppose pas. On voit qu’un ni-ni peut ainsi valoir un oui-oui !
En France pour en terminer sur ce point, effectivement la gestation pour autrui et les mères porteuses sont interdites, et en pratique, on laisse des citoyens français aller pratiquer ce délit à l’étranger et réimporter au nom du bien-être de l’enfant, le produit de la chose et ses enfants. La politique pénale, la politique de la Chancellerie est de ne pas poursuivre alors que, puisqu’il s’agit d’un délit, les citoyens français pourraient tout à fait être poursuivis en France pour un délit commis à l’étranger. C’est tout à fait possible, mais ce n’est pas fait pour l’instant. En tout cas l’article du NYT rapporte bien que les malheureuses ukrainiennes, font cela pour de l’argent, pour pouvoir nourrir leurs autres enfants. Loin des fantasmes d’altruisme et d’argent limité au dédommagement des frais, alibis avancés par les hypocrites défenseurs français du consumérisme et de l’esclavage des ventres.

Quelques femmes enceintes illustrant l’article du NYT
Et bien merci Jacques Cohen de nous avoir éclairés sur ce sujet. Les mères porteuses à l’épreuve des drones a très bientôt professeur.
À très bientôt.