Emission diffusée sur RCF Reims mercredi 1er juin 2016 : https://rcf.fr/actualite/israel-tsahal-suivra-t-elle-le-chemin-de-larmee-turque#
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JP B: Jacques Cohen bonjour, vous êtes avec nous pour votre chronique habituelle, qui est diffusée le mercredi et qui est rediffusée le samedi. C’est l’occasion, pour nous, d’apprendre une question d’actualité sur laquelle on n’était pas forcément informés. Le ministre de la Défense d’Israël Yaalon est remplacé par Lieberman. Alors, pour nous, cela ne veut pas dire grand-chose, mais pour vous, est-ce qu’il y a là une signification politique ?
C’est un évènement politique tout à fait important parce qu’il faut remonter en amont. Yaalon était ministre de la Défense d’Israël, il est ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, de Tsahal, et il est remplacé par Lieberman qui est un Russo-Moldave de Chisinau, dont l’expérience militaire se limite au café du commerce de Chisinau.
Il dirige un parti d’extrême droite, « Israël notre maison » Israël Beitenou, qui croit qu’il faut conquérir la Sibérie et repousser les Arabes le plus loin possible. Quelque chose de suicidaire !
Netanyahou, contrairement à ce que les gens pensent souvent, n’est pas un illuminé de ce genre mais c’est un politicien de centre droit qui court après l’extrême droite, parce qu’il court après le vent et que la société israélienne évolue vers l’extrême droite.
La grande nouveauté, c’est la crise de l’armée vis-à-vis du pouvoir politique. C’est la première fois que cela arrive en Israël et le choix de Netanyahou a été finalement de faire quelque chose contre l’état-major. En Israël, c’était inimaginable ! L’armée est un des pivots de la société, c’est un réseau qui remplace tous les réseaux que nous connaissons chez nous. Et une fraternité considérable. Elle s’occupe des carrières des gens, de beaucoup de choses, et c’est donc une contre-société très importante qui a également sa logique politique.
C’est-à-dire qu’elle est une contre-société. C’est un pouvoir qui est inséré dans une géopolitique lucide, donc qui est depuis un certain temps fâché avec le pouvoir politique dont elle considère qu‘il ferme toute possibilité de solution politique avec les Palestiniens, et qu’il a donc forcément tort.
Et l’évènement qui a mis le feu aux poudres, c’est le chef d’état-major actuel Golan qui a pris position publiquement pour dire que le soldat qui avait tiré une balle dans la tête d’un prisonnier, qui était un agresseur dans une agression de l’intifada récente, mais qui était donc prisonnier et au sol, que ce soldat allait être sévèrement condamné au conseil de guerre parce que dans l’armée on obéit.
Pourquoi avait-il à rappeler cela ? Parce que pendant très longtemps les ultras ne faisaient pas leur service militaire en disant qu’ils étaient ultras religieux et qu’ils ne pouvaient pas. Depuis quelques années cela a changé. Mais pour l’armée israélienne, c’est un point important, s’ils font leur service, ils obéissent. Et des signes de désobéissance comme celui-là sont inadmissibles pour l’état-major. Or, il y avait une campagne de l’extrême droite pour soutenir cet individu, qui d’ailleurs est français, et l’armée voulait faire savoir qu’il n’était pas question d’avoir la moindre tolérance pour ce genre de chose.
Le ministre de la Défense donc, Yaalon, a pris fait et cause pour le chef d’état-major Golan et Netanyahou les a viré pour les remplacer, symboliquement par ce qu’il y a de pire en matière d’extrémisme de droite. Donc se pose la question de la réaction de l’armée israélienne et l’analogie, un petit peu, avec l’armée turque.
Oui parce qu’on pourrait s’interroger ce changement de ministre de la Défense qu’est-ce que cela va changer ? Qu’est-ce que cela peut changer ?
Ce n’est pas en instantané que cela change quoi que ce soit, mais cela change quelque chose dans la concrétisation d’un rapport de force.
La comparaison, c’est la question de l’armée turque. L’armée turque a été longtemps une force sociale importante, le garant de la laïcité, et laissaient les politiciens jouer jusque dans une certaine mesure, mais pas au-delà. Et sur une quinzaine d’années, son pouvoir a été grignoté, « bouffé » par les islamistes qui ont maintenant un quasi-dictateur avec Erdogan, qui a obtenu la « peau » de l’armée, de son expression politique et de sa situation de garante des institutions.
L’armée israélienne est dans une situation comparable à celle de l’armée turque autrefois. Et comme elle a en plus cet exemple sous la main, il est peu probable qu’elle se laisse faire. Bien évidemment, elle ne va pas réagir par un coup d’État, mais que va-t-elle choisir comme relais d’expression politique !! Va-t-elle précipiter la chute des politiciens qui lui veulent du mal ? Parce qu’elle a quand même des services de renseignements qui ont des dossiers, de quoi remplir tous les placards…
Ou va-t-elle avoir un autre type de tactique politique en étant confronté à une droitisation de la société israélienne, dans une logique infernale de confrontation, sans solution politique ou de destruction des solutions politiques, en préférant avoir une balkanisation autour et par exemple une guerre perpétuelle avec le Hamas, plutôt que de susciter des solutions politiques parmi les Palestiniens qui soient crédibles et réalistes, y compris dans leurs rapports de force avec les extrémistes comme Barghouti.
Ce qui veut dire en clair, ce n’est pas du jour au lendemain que l’on peut voir les évolutions, mais à long terme peut-être que la politique étrangère et les politiques de défense d’Israël peuvent être modifiés !
C’est surtout sa structuration sociale interne. Ou l’armée arrive à se défendre, ou l’armée va être émiettée et va ressembler au reste du corps social israélien, alors que jusqu’à présent elle représente quelque chose, si j’ose dire, en meilleur état.
Donc, on aura l’occasion de vous retrouver, de reparler de toutes ces questions ! Ce sont des sujets qui sont relativement ignorés, car nos informations, sur le plan national, restent quand même relativement hexagonales.
Très hexagonales, et très peu évènementielles, mais « sur l’air du temps ». Quand on voit le temps passer et les surfaces de presse occupées par des choses qui sont tout à fait superficielles, comme les affaires de footballeurs ou si le sélectionneur a pris le bon ou pas le bon…
Alors qu’autour de nous, le monde dans lequel nous sommes insérés, que nous le voulions ou pas, subit ou voit des évolutions importantes, tandis que certaines épreuves de force ou lignes de fracture passent inaperçues d’un nombrilisme hexagonal. Ce qui est tout à fait dommageable parce que nous sommes, encore une fois, dans une société mondialisée avec de nombreux échanges, y compris de circulation des personnes, et que nous aurons inévitablement des conséquences chez nous, de tout ce qui se passe au Moyen-Orient.