Gilets Jaunes : Chronique d’un mort annoncé

CHRONIQUE du vendredi 11 janvier 2019

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JC, on l’a dit en introduction de cette émission, vous vouliez nous parler des Gilets Jaunes, l’acte 9, en lançant le sujet sur le grand débat national qui va commencer ce mardi, et ce grand débat national a l’air mal engagé avec le départ de Chantal JOUANNO qui a jeté l’éponge dans la semaine.

Oui, je crois que l’on peut parler de l’acte 10 avant de parler de l’acte 9 et de ce débat qui part déjà sous de très mauvais auspices puisque la personne qui devait l’organiser, l’encadrer et le personnaliser a jeté l’éponge. Pour une spécialiste des sports de combat – cela montre qu’elle considérait que ce n’était pas un combat terrible – donc les thèmes sont assez peu définis, l’opinion publique a surtout l’impression que le gouvernement a l’attitude « on va vous expliquer », ce que justement ils ne veulent plus entendre. Donc je ne parie pas grand-chose sur l’issue de cette procédure.

 

Ce grand débat national, même si vous n’en espérez pas grand-chose, que vous ne pariez pas grand-chose dessus, que les français peuvent-ils en espérer ?

Ils vont surtout voir s’il sert à arbitrer entre deux lignes qui ont des partisans dans l’entourage du Président et peut-être même deux lignes qui cohabitent dans la tête du Président.

L’une des deux lignes est de mettre en œuvre un certain nombre de mesures sociales plus ou moins annoncées et de penser à calmer le jeu comme cela en consolidant un recul pour stabiliser sur des réformes raisonnables à faire.

L’autre ligne, c’est ce que l’on entend depuis quelques jours, d’annoncer ou d’inciter à des affrontements pour l’acte 9, c’est-à-dire avant le débat et de dire qu’on ne va pas pouvoir de toute façon tenir parole sur les cadeaux promis, qu’on n’a pas l’argent, qu’on ne peut pas le distribuer et qu’il faut donc se dépêcher de reprendre d’une main ce qu’on a annoncé de l’autre. Ce qui à mon avis va assez mal se passer parce que les Gilets Jaunes ne sont pas dans la situation de mai 68, ils n’ont pas été battus. Ils n’ont pas été battus par un rassemblement de masse qui dépasse leurs manifestations. Ils sont peu à peu rentrés à la maison quand il faisait froid. Il reste quelques milliers de jusqu’au-boutistes qui déclenchent quelques affrontements auxquels le gouvernement répond de la même façon, mais le fond du mouvement, et on le voit, de son niveau de soutien est parfaitement dissocié de ces extrémistes. Donc, penser qu’il va suffire de leur taper dessus pour que le reste de la population change d’avis, cela me parait être une très grosse erreur.

Le peuple français semble quand même assez divisé sur la question des Gilets Jaunes au point que l’on parle qu’il y a : les Gilets Jaunes et les Foulards Rouges, mais qui font moins de bruit.

Je pense que les foulards rouges, soutiens résolus du gouvernement, font moins de bruit parce qu’ils sont beaucoup moins nombreux. Il y a une annonce d’une manifestation de masse vers la fin du mois, je crois, le 27. Cela me parait extrêmement dangereux du point de vue du pouvoir parce que c’est l’occasion de se compter et je peux prendre le pari – nous irons probablement manger ou boire quelque chose – qu’il n’y a aucune chance que l’on retrouve le 30 mai 1968, c’est-à-dire la démonstration politique d’un soutien de masse supérieur à celui qu’avaient les manifestants précédents, qui avait été faite par le Général de Gaulle.

Vous dites que c’est l’occasion de se compter, c’est peut-être aussi prendre un risque d’avoir des heurts dans la rue, un peu plus violents.

C’est possible qu’il y ait des affrontements à ce moment-là, mais c’est surtout en termes d’échelle de la manifestation de masse qu’il y ait assez peu de chance d’avoir quelque chose de significatif.

Tout simplement, pour revenir au point précédent, c’est-à-dire qu’une manifestation est toujours l’émanation d’une volonté populaire, d’une échelle de soutien. Et là, je ne vois pas, et aucun sondage ne le montre, une échelle de soutien du gouvernement qui soit suffisamment massive. Je vous rappelle qu’il y a eu une élection législative après mai 68 avec une chambre extraordinairement dominée par le parti gaulliste parce que justement il y avait un soutien très important que, malheureusement j’allais ajouter, les révolutionnaires de 68 étaient minoritaires. Là, le rejet de la politique menée est archi-majoritaire quand vous regardez les sondages. Donc je ne vois pas comment une population importante pourrait venir occuper les Champs Élysées le 27 janvier.

JC, je voulais vous emmener sur le terrain des affrontements parce que c’est vrai que l’on remarque, lors des manifestations, qu’il y a aussi des casseurs qui se mêlent à la foule, que certains ont envie de faire se identifier comme étant des Gilets Jaunes et le maintien de l’ordre, cela semble assez compliqué pour le gouvernement qui ne sait pas trop comment gérer les choses.

Alors, il y a déjà deux populations bien distinctes : il y a des extrémistes chez les Gilets Jaunes et il y a des pillards, qui d’ailleurs n’interviennent pas dans le même temps. Et puis il y a des Gilets Jaunes, manifestants traditionnels.

flashball 2

La tactique de maintien de l’ordre a changé à partir de la troisième semaine et elle s’est révélée une improvisation, à mon avis extrêmement dangereuse. On avait depuis plusieurs années développé une tactique de « No Touch », une tactique de barrière infranchissable par la manifestation qui pouvait s’en approcher, mais le périmètre était totalement bouclé. Cette tactique a des limites puisqu’en dehors du périmètre les souris dansent, et donc on a choisi de changer complètement de tactique pour une tactique mobile.

Mais une tactique mobile – ce qui était le cas autrefois – ne s’improvise pas. Il faut plusieurs paramètres, il faut avoir d’abord des sonnettes, c’est-à-dire des points de surveillance partout, et une réactivité très importante. Or, on a constaté la semaine dernière qu’une vingtaine de gus avec des gilets, portant leurs gilets !, pouvaient se promener en plein Paris avec un Fenwick° et aller défoncer une porte, rue de Varennes, c’est-à-dire à moins de 400 mètres de l’hôtel Matignon en ligne droite. Ce qui indique au moins un certain défaut dans la surveillance et la réactivité.

Autre problème, on a dégonflé le matériel d’intervention depuis longtemps, c’est-à-dire que les forces de l’ordre n’ont pas en intervention, au contact, de moyens de repousser une foule, de telle sorte qu’elles puissent avoir devant elles une interdiction de terrain. Ce qui est absolument indispensable parce que la situation catastrophique – c’est ce qui s’est passé aussi la semaine dernière – c’est d’avoir un cordon de gendarmes mobiles, un cordon mince, ce qui n’est même pas une tortue comme faisait Alexandre Le Grand et son père ou comme faisaient les Romains, mais qui est un cordon mince, qui se retrouve débordé au contact. Jamais une troupe légère ne devrait être au contact de façon statique. Tout cela conduit donc à une situation extrêmement dangereuse par mauvaise pratique policière, que l’on pourrait qualifier de « chronique d’un mort annoncé ». On ne sait pas encore si ce sera un manifestant ou un flic, mais les uns et les autres ont cette théâtralisation sur le fait que ces affrontements qui sont en fait de très petite taille, de très peu de monde, qui ne devraient pas poser de problème de contrôle, sont vécus comme une montagne et par imprécision des moyens peuvent donner une bavure, hélas définitive.

JC, en quelques mots parce qu’il vous reste un tout petit peu de temps, je sais que vous vouliez parler également du matériel qui a aussi changé l’utilisation, notamment des chars vieillissants, des Flash-Balls qui sont moins précis…

Les Flash-Balls sont des armes inadaptées à cela. Ce sont des armes qui permettent de neutraliser un excité, mais quand quelqu’un prend une boule de Flash-Ball, les voisins n’ont rien donc cela n’a pas d’effet sur la foule. Et les Flash-Balls, d’autre part inévitablement, ont un problème de précision. Donc il y a quelques bavures. Et si on multiplie les Flash-Balls, on va multiplier les bavures sans en faire pour autant une arme de repoussement des manifestants.

Quant aux chars, ce ne sont pas des chars vieillissants, ce sont des fossiles de 1972 qui n’ont jamais été produits en série parce que c’était un modèle raté. Le conducteur ne voit pas très bien s’il est en train de passer sur une poubelle, sur un manifestant ou sur un flic par exemple. Donc, ce sont des choses qui n’auraient jamais dû ressortir du musée.

Merci JC, d’avoir été avec nous ce soir pour nous présenter comment se profile le grand débat national et l’acte 9 des Gilets Jaunes. C’est demain, le rassemblement dans toute la France. À très bientôt JC, vendredi prochain ?

À très bientôt.

 

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