Chronique du 14 juin 2019
Sur les ondes de RCF: https://rcf.fr/embed/2125101
Bonsoir Jacques.
Bonsoir.
Le 6 juin était fêté le 75ème anniversaire du débarquement de 1944, le débarquement des forces alliées, un anniversaire qui a été marqué notamment par la venue de Donald TRUMP rencontrer Emmanuel MACRON, mais surtout par l’absence de Vladimir POUTINE.
On ne peut que le regretter. Surtout ce que l’on peut regretter c’est qu’il n’ait pas été invité, car bien évidemment il serait venu s’il avait été invité. Il faut réaliser la part prise par l’Union soviétique à l’époque dans la lutte contre le nazisme et il me parait totalement invraisemblable de ne pas avoir invité son successeur la Russie actuelle à participer aux festivités. La France reconnaît des États, elle ne reconnaît pas des gouvernements et donc bien évidemment la Fédération de Russie, quel que soit son gouvernement, aurait dû être là.
Est-ce que c’était un coup politique un peu calculé peut-être volontaire de ne pas inviter Vladimir POUTINE ? On imagine que de toute façon ce n’est pas une invitation qui a été « oubliée » ?
Bien sûr que non, ce n’est pas oublié. C’est un choix délibéré et c’est un choix qui me parait dommageable.
Un choix dommageable, comment l’expliquer JC ?
Eh bien, nous avons toujours besoin, du point de vue européen, de mener une politique qui d’une part tienne compte des réalités à l’Est et à l’Ouest, c’est-à-dire qui évite la vassalisation vis-à-vis des États-Unis et qui ne nous transforme pas en piétaille pour la campagne générale des États-Unis d’atomisation, de retour au Moyen-âge et de tout ce qui ne leur convient pas. Ce qui a été le cas au Moyen-Orient et qui s’est poursuivi aussi dans le Caucase avec plus ou moins de succès et qui actuellement pose aussi le problème de l’Ukraine. Donc nous n’allons pas à nous aligner strictement sur la position des États-Unis d’autant plus qu’elle est ces temps-ci assez invraisemblable, parce que c’est absolument l’inverse des années 50 où les États-Unis ont encouragé la résurrection d’une industrie aéronautique, donc militaire, dans les différents pays d’Europe et laissé faire la coopération franco-allemande dans une certaine mesure avant de s’apercevoir qu’elle prenait une ampleur qui finalement dépassait ce qu’ils souhaitaient. Mais il y a même eu un concours pour un chasseur léger où il y a eu un Fiat, un Breguet, enfin je vous épargne les détails, mais l’attitude à l’époque était exactement l’inverse de celle d’aujourd’hui, c’était d’encourager le développement économique à travers l’industrie de défense. Là, actuellement, TRUMP mène une politique absolument inverse. Il s’agit d’essayer de tuer l’industrie de défense européenne, principalement franco-allemande, en bradant du matériel et en démarchant les pays les plus vulnérables, parce que plus petits. C’est-à-dire la Pologne qui depuis longtemps utilise les aides européennes pour acheter des armes américaines, ce qui me parait une politique à courte vue, parce que la Pologne devrait savoir avec son histoire longue et malheureuse que d’avoir des amis lointains cela ne protège pas des voisins d’à côté et donc la seule chance de la Pologne c’est l’arrimage à l’Europe de l’Ouest donc à s’arrimer à un axe franco-allemand qui les protégerait. Et jouer au contraire le sabotage de l’industrie de défense européenne est une politique qu’ils mènent qui est à très courte vue. Et donc, que ce soit pour la Pologne, pour la Hongrie, pour la Grèce, etc. il s’agit de dire, « vous achetez chez nous on vous fait des remises extraordinaires », la perspective étant d’essayer de tuer l’industrie de guerre franco-allemande. Avec en plus, une politique qui est un peu contradictoire ou du moins qui est à pile ou face : qui est dans le même temps d’exiger que l’on augmente la part du PIB consacré à la défense en France ou en Allemagne. S’il s’agit de demander qu’on dépense plus et d’exiger d’acheter des choses chez lui, c’est une politique qui ne mènera pas très loin. Cela ne mènera pas très loin parce que les pays d’Europe vont traîner les pieds ou vont consacrer cet argent à leur propre industrie de défense qui leur permet en plus d’exporter. Nous avons une situation d’exportateur en industrie de défense et c’est quand même une composante assez importante de notre balance des paiements. Alors ce n’est peut-être pas très bien de vendre des armes, vous connaissez la parabole « ils fondront les épées pour en faire des socs de charrues », mais tant qu’on n’en est pas là, il vaut mieux les vendre.
JC, comment pour en revenir un peu en local, doit se positionner le président français, Emmanuel MACRON vis-à-vis de cette situation ? Il n’a lui-même pas invité POUTINE aux commémorations, on le disait du 75ème anniversaire du débarquement, et pourtant il y a quelques jours, il y a 3 jours exactement il exprimait, dans Le Figaro, souhaiter réenclencher une dynamique avec POUTINE avant le G7 qui aura lieu du 24 au 26 août du côté de Biarritz.
Effectivement, la politique du président MACRON est la politique du « en même temps ». Alors cela implique de faire des grands écarts. Cela peut parfois marcher comme cela peut rater, parce que c’est quand même très difficile de tout couvrir par la seule magie du verbe et des entrechats.
JC, on parlait de la politique de Donald TRUMP également, par exemple, c’est lui qui dit aux Anglais qu’il est favorable à un Brexit dur, qu’ils devraient quitter l’Europe sans payer par exemple. Là aussi ça peut créer des tensions peut-être avec Angela MERKEL, avec Emmanuel MACRON.

Une action destructrice convergente en Europe….
C’est une politique non seulement brutale, mais à très courte vue comme je vous ai dit, et qui en plus n’est pas certaine de gagner, parce que nous ne sommes plus en 1945. L’Europe n’est pas totalement démunie de moyens, de potentiel économique et une allégeance excessive aux États-Unis peut conduire à son contraire, c’est-à-dire à déclencher des phénomènes de rupture. Ce sur quoi d’ailleurs POUTINE ne ratera pas l’occasion si elle présente. Ce qui est très curieux c’est que pour l’instant l’un comme l’autre, POUTINE et TRUMP, utilisent la même tactique d’essayer d’affaiblir l’Europe. Et d’ailleurs, ils s’adressent aux mêmes, c’est-à-dire l’extrême droite européenne, soit directement pour POUTINE, soit par l’intermédiaire de son ami BANNON pour TRUMP. C’est un raisonnement qui n’est pas à mon avis extrêmement malin, parce que dans le meilleur des cas, si je puis dire, s’ils arrivent à renforcer l’extrême droite européenne cela ne veut pas dire du tout que les pays seront vassalisés et isolés les uns des autres. Il risque de se retrouver avec au contraire une extrême droite européenne nationaliste et souverainiste qui recréera une Union Européenne. Ce qui n’est pas tout à fait ce qu’ils avaient envie de faire, mais ce qui montre d’ailleurs qu’ils n’accordent pas grand crédit à leur obligés et aux gens qu’ils poussent, puisqu’ils pensent qu’ils n’y arriveront pas. Enfin c’est quand même un risque, on a déjà vu ça malheureusement, un axe européen sous la direction de l’extrême droite. Et dans l’autre sens, du point de vue de POUTINE, ça me parait également curieux de penser que l’atomisation des états européens lui permettra ensuite de grignoter, si je puis dire, alors que c’est le même raisonnement de la part de TRUMP qui est de dire « à des États morcelés, je pourrai imposer ce que je veux ». Et là du point de vue du rapport de forces et des poids respectifs il est sûr que TRUMP a plus de chance d’y arriver que POUTINE au moins sur le court terme, mais le raisonnement de la Russie est un raisonnement à long terme. En sachant qu’elle a un énorme atout en arrière, qui est la Chine.
Merci JC de nous avoir éclairés sur la situation TRUMP, POUTINE, l’un ou l’autre va-t-il réussir à faire exploser l’Europe ? Le conflit est à suivre, à très bientôt JC.
A très bientôt.