POINT DE VUE SUR LES URGENCES ET LEUR ORGANISATION

JHMC 30 1 2019 V rev 19 06 2019

Ce point de vue est basé sur plusieurs visites rendues à des patients s’étant présentés aux urgences, pour lesquels familles ou médecins avaient demandé mon avis et sur 3 demi-gardes de renfort comme médecin de garde.

Afin d’assurer ces gardes, j’ai visité le service d’accueil d’urgence, rencontré son personnel stable, tenté de comprendre son fonctionnement et surtout je me suis astreint à apprendre le fonctionnement des logiciels qui y sont utilisés.

A) ce que j’ai vu :

Une impasse structurale et architecturale

La première chose qui frappe c’est l’inadaptation structurelle malgré des locaux qui viennent d’être rénovés. Le contraste est saisissant entre un aquarium central remplit de blouses blanches rivées chacune devant son écran et l’humanité souffrante agglutinée tout autour, sur brancards, dans la plus complète promiscuité des hommes et des femmes, vêtus ou dévêtus, agités ou résignés, et pour certains, souffrants.

Il y a au maximum une quinzaine de boxes, même en ayant requalifié ainsi les réserves ou placards, pour environ une cinquantaine de patients présents. Quelques malades précaires restent durablement dans les box ou le secteur d’accueil des urgences vitales de 4 lits, tandis que l’essentiel des patients passe dans un box pour y être examiné, après avoir attendu autour de l’aquarium, puis y retourne rapidement, devant laisser la place des box d’examens aux autres patients.

Pour éviter que patients et familles n’aient vue dans les box d’examens, les hublots de ceux-ci sont aveuglés de champs bleus en papier scotchés, laissant une fente en guise de judas et l’impression, pour les malades et visiteurs, d’un bricolage minable faute de pouvoir espérer des films dépolis d’aspect un peu plus propre.

Il est à noter que les blouses blanches de l’aquarium ne voient pas l’humanité souffrante lorsqu’elles sont assises, même si elles levaient les yeux des écrans, tandis que l’humanité souffrante allongée ou assise n’a pas vue sur l’intérieur de l’aquarium puisqu’on les installe de telle sorte qu’elle lui tourne le dos.

Malheur aux vessies pleines des malades en attente autour de l’aquarium lorsqu’ils ne peuvent marcher et ne sont pas accompagnés, puisqu’ils n’ont pas de sonnettes. S’il a pu attirer l’attention à temps, le malade sera brancardé vers un box pour faire ses besoins ou recevra un bassin au milieu de l’humanité souffrante si les choses pressent. Chacun peut imaginer ce qui se passe quand le personnel est débordé.

Il faut tout de suite dire que les blouses blanches n’ont pas leurs yeux rivés aux écrans pour éviter de voir l’humanité souffrante, mais du fait de l’organisation de leur travail comme on le comprendra plus loin.

Le néophyte ne comprend pas pourquoi on ne voit que rarement une blouse blanche auprès de ces malades entassés ni pourquoi lorsqu’une blouse blanche quitte l’aquarium, c’est pour se précipiter dans un box, sans s’arrêter auprès des malades. Lorsqu’il tente au contraire de s’arrêter prodiguer quelques paroles de réconfort à un malade qu’il a examiné auparavant, le néophyte est immédiatement assailli des plaintes venant des civières alentour et de leurs familles, comme les personnages d’une gravure de Rembrandt implorant leur guérison.

Les blouses blanches passent ainsi 80% de leur temps loin des malades.

L’intérieur de l’aquarium représente caricaturalement une chaîne aseptisée avec de nombreux postes individuels, un tableau synoptique des arrivées, horaires, prises en charge, etc.. Quelques renvois de paramètres vitaux et de scopes des boxes. A noter que plusieurs d’entre eux ne sont pas reliés à l’aquarium et sont si besoin surveillés, d’une part quasiment à la jumelle en déportant le scope à la porte entrebâillée du box, et d’autre part par la rumeur publique de la foule agglutinée qui relaiera par ses clameurs une alarme éventuelle du scope. Mais dans l’aquarium la chaîne est bien huilée, même si ces postes de travail isolés les uns des autres sont d’une logique déplorable. Je précise tout de suite que cette logique ne se rencontre pas qu’à Reims. Un grand écran, et donc un ordinateur, sont dédiés à projeter l’image fixe du plan des locaux, probablement en remplacement du traditionnel plan pompier. Un incendie éventuel est prié de respecter les prises secourues et de ne pas en couper le courant….

La chaîne des Temps Modernes Hospitaliers

La chaîne de soin où chacun travaille individuellement, le travail en équipe se réduisant à la coordination des étapes de la chaîne fait irrésistiblement penser à la chaîne de traitement des volailles chez Doux avant que l’automatisation n’en supprime les ouvrières.

Au commencement se trouve l’infirmier d’orientation et d’accueil. Le poste suivant est l’examen de l’externe. Le troisième celui de l’interne. Puis le médecin de garde voit enfin le malade. De la même façon que l’un accrochait les volailles, l’autre vérifiait qu’il ne restait pas quelques plumes après le passage à la vapeur, le troisième les éventrait, le quatrième séparait le foie des viscères, etc… Cette organisation ascendante et séquentielle revient à faire voir d’abord le patient par les moins qualifiés et à donner ainsi au médecin, supposé plus expérimenté, trois chances d’être induit en erreur par une mauvaise orientation ou une saisie erronée ou incomplète de données, Si le malade lui répond ensuite selon le point de vue erroné inculqué par les précédents interrogateurs, le médecin a peu de chance de rectifier les choses. Ce n’est pas le cas général, mais on voit ainsi des erreurs non exceptionnelles pouvoir prendre de l’ampleur.

Comme dans tout travail à la chaîne, chacun fait seul son boulot, son geste, sans se préoccuper de ceux des autres intervenants qui le précédent ou le suivent.

Les soignants esclaves d’une informatique archaïque et anti ergonomique

C’est ici qu’il faut voir l’effet très particulier de l’informatique très particulière utilisée ou SAU. Sans trop détailler, disons qu’elle est disparate puisqu’il faut disposer de trois login et mots de passes différents, par exemple. Et jongler entre les logiciels. Le logiciel principal UrQual° fourmille de fautes d’ergonomie associées à quelques belles fautes de logique ou d’absence de contrôle de vraisemblance. La prescription de sang, qui pourrait être supposée la plus urgente, se fait à travers un logiciel Tandem° datant d’avant le Minitel puisqu’on déplace uniquement un curseur par les flèches de direction pour ne rentrer que des signes binaires ou des numéros de codes. Car le système de douchettes qui avait tenté de moderniser cela il y a une bonne vingtaine d’années a été abandonné du fait d’un matériel médiocre produisant des erreurs. Sans qu’il soit remplacé par l’équipement courant de la moindre supérette d’alimentation de nos jours.

À noter d’ailleurs que le seul endroit où les soignants ne sont pas enchaînés à leurs ordinateurs est celui où ils voient enfin les malades : dans les box . Les ordinateurs à roulettes prévus là, n’ayant jamais fonctionné correctement, ont fini dans un placard. Chacun y griffonne son pense-bête sur des bouts de papier pliés en timbres postes, sans que personne, pas même les externes, ne porte un carnet individuel ou coller les étiquettes de chaque patient vu, pour suivre son évolution ultérieure ou pour un debriefing pédagogique ultérieur. A noter que l’absence d’ordinateur dans les box est vécue comme salvatrice car elle permet d’y soigner vite les malades qui peuvent ainsi libérer rapidement le box pour laisser la place au suivant.

Le logiciel le plus moderne, Easily°, manque de fonctionnalités dédiées à l’urgence dont, par exemple, l’exploration aisée des antécédents du patient et l’affichage automatique des résultats précédents lorsqu’on demande un examen, assorti éventuellement de conseils ou règles du jeu. La prescription est faite pour l’instant dans UrQual°, de façon laborieuse et anti ergonomique. Pour la radiologie l’examen est transmis dans le service concerné. Mais pour demander un avis spécialisé cardiologique sur un ECG, il faut le transmettre… par fax ! Pour la prescription biologique, lorsqu’elle est laborieusement terminée dans UrQual° par le médecin, cette prescription aboutit sans lui avoir adressé la parole, sur le poste informatique voisin de l’infirmière. Laquelle, l’ayant lue, cochera les cases d’une feuille de prescription papier. Qui partira avec les tubes au laboratoire afin d’y être ressaisie à nouveau de façon informatique dans un autre logiciel. Il n’est nullement prévu que les choses changent à l’ouverture d’un bâtiment neuf devant héberger les laboratoires en 2019.

Un mauvais esprit pourrait également remarquer qu’au minimum le médecin et l’infirmière gagneraient beaucoup de temps à ce que le médecin prescripteur coche lui-même les cases de la prescription papier.

D’une façon plus générale, le temps perdu du fait de cette informatique inadaptée n’est pas anecdotique, mais peut être chiffré au quart au moins du temps de travail, et donc des ETP !!

L’impuissance et la résignation 

Les locaux sont quasi neufs, mais il est frappant de constater que les détails manquants, en panne, ou inadaptés sont considérés par le personnel comme figés pour l’éternité devant l’absence de décentralisation des décisions et l’impression d’impuissance à obtenir quoi que ce soit des étages supérieurs.

C’est ainsi que les électrocardiographes sont de bonne qualité, sauf un seul appareil bas de gamme, parasité aux moindres mouvements de ses fils et au module d’intelligence artificielle très rudimentaire. Comme on n’envisage pas son remplacement, il se trouve relégué précisément dans le sas d’entrée, considérant peut-être qu’il est bien suffisant pour les compétences du personnel d’orientation et de tri.

Un interphone en panne a conduit à un papier le signalant, en conseillant de passer par l’autre porte. Papier qui a été soigneusement plastifié pour qu’il ne s’abîme pas et donne l’idée du délai de réparation envisagé. À noter d’ailleurs qu’une solution radicale, quasi rebelle, de blocage de la porte en position ouverte résout régulièrement le problème.

suite interphone 2

Deux mois plus tard, j’ai pu constater qu’un bon de travaux y était scotché. Je l’ai lu plein d’espoir, pour constater hélas qu’il ne s’agissait pas de réparer, mais de le rendre définitivement sourd-muet en bouchant son emplacement.

suite interphone 1

Un trou noir est un puits de matière dont rien de sort, où le temps ne s’écoule plus, où écrasé par sa propre masse, rien ne peut bouger et qui attire tout ce qui passe à sa portée.

Le digicode est toujours là mais l’interphone a disparu empêchant quiconque n’en a pas le code, de solliciter l’accès.

fin interphone

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Le fléchage vers une autre porte avec interphone a été lui aussi supprimé. Selon la devise des Shadocks : « s’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème ! ». Qu’il me soit permis d’en faire un symbole de la gestion des urgences et plus généralement de la gestion hospitalière.L

L’absence de câblages de certains box permettant le report des scopes, qui ne demanderaient que quelques câbles dans les plafonds et un paramétrage informatique réalisables en une seule journée, parait sans espoir, comme l’abandon des ordinateurs à roulettes au chevet des patients.

L’informatique ne gère en rien les rendez-vous de consultation ou d’explorations complémentaires en aval, se contentant d’imprimer des ordonnances indiquant au patient de téléphoner lui-même à tel ou tel endroit. Compte-tenu en prime des temps d’attente en ligne, ceci qui ne peut que conduire ceux qui ne sont ni très vieux ni très pauvres ni très disponibles à s’adresser au secteur privé où, sur Doctolib, tout cela est disponible h24.

Pour prendre deux exemples concrets vécus, un traumatisme du genou, s’il n’y a pas de fracture, sera renvoyé à la maison à cloche patte s’il ne veut attendre une douzaine d’heures qu’une ambulance soit libre. Il devra se débrouiller pour le rendez-vous d’IRM comme le rendez-vous de consultation d’orthopédie muni de cette IRM dans des conditions totalement non concurrentielles de l’offre disponible dans le secteur privé.

Second exemple, un syndrome grippal sévère, retour de Martinique, ne peut avoir de prélèvement viral, antigène, acide nucléique ou cultures à la recherche d’une Dengue ou d’un Zika hors des heures de bureau, pas plus qu’une recherche rapide de Grippe. Il faut souligner, là aussi, que l’offre concrète du centre hospitalier universitaire est inférieure à ce qui est disponible en laboratoire de ville de nos jours. L’attractivité du CHU par la supériorité de la biologie spécialisée de ses labos n‘est plus qu’un lointain souvenir.

Au delà de cette limite votre ticket du Service d’Accueil des Urgences n’est plus valable

Son travail fait, le service des urgences ne se préoccupe pas de la suite, du moins hors des heures de bureaux où il n’y a aucun travailleur social qui pourrait laisser des mails pour le lendemain matin aux organismes concernés et entamer un suivi. C’est ainsi qu’il est possible de renvoyer à la rue un malade qui ne nécessite pas d’hospitalisation du point de vue de la gravité de son état, mais sans percevoir qu’un toit reste un premier soin indispensable. Et qu’il peut mourir de son absence.

La typologie des patients

En fait, la typologie des urgences est triple:

i) les urgences vitales dans l’heure, hospitalisées via le samu et qui vont le plus souvent directement vers des services spécialisés. Ou devraient y aller.

ii) les urgences qui peuvent le devenir en quelques heures ou moins d’une journée.

iii) les urgences qui ne mettent pas la vie en danger. Quantitativement, ces dernières représentent l’essentiel des patients.

Parmi eux, une bonne moitié sont des patients de médecine générale demandant éventuellement quelques examens complémentaires, un avis spécialisé ou l’organisation d’un suivi. Une autre part est faite des patients chroniques ou fragiles pour lesquels une hospitalisation de débrouillage ou d’équilibrage de 3 à 4 jours maximum serait souhaitable. Nous ne disposons plus de ce genre de service dont la concurrence privée vient pourtant de remarquer l’utilité. On aboutit par défaut à des hospitalisations inadaptées avec marchandage des lits disponibles dans tel ou tel service, suivi du patient par des médecins venant d’autres services, aboutissant, là aussi à un gâchis de productivité et un suivi précaire.

Un aval inadapté

L’orientation prévue du nouvel hôpital d’une réduction massive des lits pour des soins de jour de spécialités chirurgicales d’abord puis médicales dans une seconde tranche, n’est pas conçue selon la patientèle prévisible, mais pour celle dont rêvent des décideurs qui n’ont d’ailleurs pas remarqué que le privé nous a battu à plates coutures sur la plupart de ces segments ou croient que c’est le béton neuf qui attire les malades.

Les urgences sont une porte ouverte qui montre la vraie vie et fait comprendre combien un hôpital de soins généralistes d’une population âgée polypathologique serait indispensable. Cette population submergera d’hospitalisations inadaptées bien plus qu’aujourd’hui le bel hôpital de spécialités sophistiquées. Faute de l’avoir prévu, on pourra alors construire un hôpital neuf qui leur sera enfin dédié.

L’attracteur étrange du malheur vers le Grand Entonnoir Unique

Les urgences ont toujours été en géométrie fractale l’attracteur étrange du malheur médical ou social. Et ceci est aggravé par le dogme du Grand Entonnoir Unique qui conduit des malades parfaitement connus d’un service à ne pouvoir y aller sans hospitalisation programmée qu’en passant par les urgences. Ceci conduit certains services de spécialités à ne plus prendre en charge leurs malades les moins gratifiants, cancéreux, incurables, par exemple, qui viennent aux urgences à chaque incident. Ils sont soignés dans des conditions déplorables et finissent parfois par y mourir dans le capharnaüm décrit plus haut, si on ne les pousse pas à temps dans le secteur d’urgence vitale. Et parfois trépassent devant la porte quand l’entonnoir est bouché.

Un lieu inhumain et un travail inhumain pour un personnel dévoué

Le lieu est inhumain comme nous l’avons vu avec des délais d’attente qui rendent le circuit court un euphémisme et, outre l’affluence perpétuelle, sont aggravés par l’organisation des postes de travail successifs de la Chaîne des Temps Modernes des soins hospitaliers. 

Il faut rendre hommage au personnel qui s’acharne à soigner dans cet environnement hostile.

Pour le personnel permanent et non pas le médecin de garde occasionnel, le travail est particulièrement inhumain, non seulement pour son organisation générale, mais parce que d’être obligé de soigner de façon inhumaine est une situation épouvantable pour tout soignant digne de ce nom. Il faut souligner le dévouement de l’ensemble du personnel et le coup supplémentaire à leur moral que représente l’attitude des malades et des patients. Si, en effet, quelques-uns protestent avec véhémence, la plupart manifestent leur compassion aux soignants en comprenant bien qu’ils ne sont nullement responsables de la condition qui est faite aux malades.

Si les soignants passent le plus clair de leur temps les yeux rivés sur leurs écrans les mâchoires serrées, ce n’est pas pour éviter de voir les malades, mais parce que l’ergonomie des logiciels les oblige à une attention soutenue de chaque instant pour éviter les erreurs qu’il est très facile d’y commettre, sans aucun filet logique de rattrapage, par exemple, des incohérences médicamenteuses.

Il faut encore souligner ici, l’archaïsme de ces logiciels ne disposant pas des fonctions aujourd’hui banales sur tous les logiciels de cabinets de Médecine Générale. Des erreurs graves sont ainsi possibles, par exemple, par méconnaissance des antécédents ou résultats d’examen précédents. J’espère ne pas en avoir commis, mais comme tout un chacun dans l’hôpital, j’en ai entendu parler, qui ont eu des conséquences graves.

B) Que faire ?!!!

Les quatre causes de la catastrophe des urgences hospitalières

La disparition de la médecine générale non programmée est bien sûr la première cause d’engorgement des urgences. Cet échec de la médecine libérale ne peut être compensé que par une structure publique couvrant ce domaine, articulée avec les urgences hospitalières.

Une mauvaise solution logistique d’organisation des soins d’urgence est évidente à lire la description ci-dessus. Elle conduit à une déshumanisation des soins qui est gravissime.

La rigidité administrative, totalement centralisée, sans autonome de gestion déléguée, confinant à la paralysie, fait du service d’urgence qui devrait être le plus mobile et réactif, un infirme.

L’inadéquation de l’hospitalisation d’aval dans des services spécialisés, de patients qui auraient besoin de plus modestes services de médecine est le produit d’une planification hospitalière déconnectée des besoins de la population, ayant détruit le tissu hospitalier de second niveau, à la campagne d’abord, puis aujourd’hui à la ville.

« J’attendrai, le jour et la nuit… » Rina Ketty

L’effondrement de la productivité des soignants par une informatisation inadaptée qui mange leur temps de travail est un non-sens organisationnel. Un retour provisoire au fonctionnement « papier » des urgences serait peut-être sacrilège pour les instigateurs du gâchis actuel, mais il dégagerait instantanément un quart au moins du temps de travail des soignants. Jusqu’à la mise en place de logiciels « User Friendly » d’ergonomie adaptée, faisant gagner du temps au lieu d’en gaspiller.

On ne peut se contenter de la réponse quasi automatisée que les améliorations logicielles auront lieu un jour et les voir reportées d’année en année. Lorsque j’ai quitté le laboratoire d’immunologie, il y a trois ans, j’ai proposé comme activité transversale de prendre en charge la mise en place de la prescription d’examens de laboratoire, assistée et orientée permettant d’automatiser l’affichage des antériorités et de messages selon des règles du jeu. Évitant par exemple de reproduire des examens inutilement ou soulignant, au contraire, que d’autres sont à faire à cause de résultats anormaux. Ceci permettrait aussi bien évidemment d’éviter la triple saisie actuelle, deux fois par informatique et une fois sur papier. Et les deux étiquettes, celle du patient collée sur le tube dans le service étant recouverte au labo d’une seconde. Ces deux opérations manuelles représentant un risque majeur d’erreur. Ma proposition fut refusée. Je dois constater aujourd’hui que cette mission n’a été confiée à personne d’autre à ma place. Son urgence ne fait que grandir.

Rétrécir le pavillon de l’entonnoir, élargir son tuyau… Et renverser l’entonnoir !

Il faut tout d’abord rétrécir le pavillon de l’entonnoir en reconstituant des services d’exploration brève ou d’équilibrage de traitements médicaux, en restaurant les accueils directs dans les services de spécialités des malades connus. Il est caricatural que des services spécialisé disposant d’une garde H24 d’un médecin et d’un interne comme la néphrologie ou la gastro-entérologie n’accueillent pas directement leurs patients. Un transplanté rénal fébrile perdra de 6 à 12 h au SAU, où l’interne de néphrologie viendra même le voir, avant d’accepter son transfert, Une complication aiguë chez un patient souffrant d’une maladie de Crohn, suivi dans le service de gastro-entérologie, suivra le même cheminement…etc !

Il faut également élargir le tuyau et renverser l’entonnoir en changeant complètement d’organisation.

  • L’infirmier d’orientation et d’accueil.

En dehors de la saisie des éléments administratifs, c’est un poste de travail parfaitement inutile. J’ai bien connu dans les pays en développement, l’infirmier tout puissant à la porte du dispensaire, faute de médecin. Dans notre pays, il parait inconvenant de recréer les officiers de santé du début du XIX éme siècle, Surtout s’ils travaillent seuls. De la même façon, il parait invraisemblable et non formateur que les externes jouent également au docteur sans être au contact permanent d’un encadrant.

  • Le travail d’équipe et le médecin premier de cordée

Que soit rappelé l’exemple du camarade Stakhanov, mineur de fond dans le Donbass qui abattait dix fois la norme de charbon par jour. Il était, certes, très bon au marteau piqueur. Mais il y avait toute une équipe avec lui qui déblayait le charbon au fur et à mesure de son travail. De la même façon, ce sont les médecins qui me paraissent les plus qualifiés pour accueillir les malades en travaillant en équipe avec les internes et les formant ainsi par l’exemple et le compagnonnage.

Une nouvelle maison médicale de médecine de ville est envisagée. Il est pour moi indispensable qu’elle soit transformée en un accueil frontal des patients par trois ou quatre équipes médicalisées dotées d’un ou deux boxes chacune. Qui puissent ensuite les renvoyer immédiatement, prélèvements éventuels ou examens faits, ou les orienter vers des soins spécialisés.

La prise en charge sociale comme les rendez-vous doivent être disponible h24.

En matière de logiciel, si les systèmes archaïques actuels doivent aller au musée, il n’est pas nécessaire pour autant de vouloir réinventer la roue ou l’eau chaude à la maison quand la plupart des fonctions souhaitables sont disponibles dans des outils commerciaux qu’utilise le secteur privé quotidiennement.

Si des modules supplémentaires sont à écrire, ils doivent être réalisés dans les prix et les délais usuels des sociétés de services informatiques dans de nombreuses autres activités et non pas à l’échelle des Temps Géologiques Hospitaliers.

L’accueil médicalisé intégrant la médecine de ville sur les lieux mêmes du service d’urgence, le rétablissement des accueils directs dans les services de spécialité ayant allégé le service d’urgence des patients qui n’y font qu’y perdre leurs temps. Tout cela devrait permettre une prise en charge des patients plus humaine, plus rapide, plus efficace et en un mot plus médicale.

Mise en place d’une structure de médecine générale d’amont à proximité du SAU. Les écueils à éviter

Une structure médicale de médecine générale, de consultations non programmées sans rendez-vous, destinée aux consultations en amont du SAU est envisagée sous forme de vacations de médecins généralistes libéraux comme service de garde.

Il convient de regarder ce qui existe déjà et pourquoi ce n’est pas satisfaisant pour mettre en place un système plus efficace. La garde de médecine générale tournante n’est plus le recours d’une grande partie de la population. Le système de visite SOS Médecin, ne couvre pas non plus les soins souhaitables, trop centré sur l’urgence et trop coûteux pour de nombreux usagers potentiels. Une structure de médecine générale existe à la clinique de Champagne. Un médecin généraliste y voit une quinzaine de malades par jour dans une structure mutualiste salariée. Certains vont être orientés ensuite vers le SAU. Si cette structure ne voit pas plus les patients affluer, c’est à mon avis, pour deux raisons. i) Elle n’est pas articulée avec une infirmière de prélèvement et un labo, ainsi qu’une structure de radio ii) elle ne fonctionne pas H24.

Le Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins ( CDOM ) défend pour la nouvelle structure un fonctionnement libéral à l’acte et un fonctionnement isolé de ce médecin d’amont du SAU. La pire situation serait la caricature suivante : le SAU entravé par un fonctionnement pyramidal reléguant le médecin trop loin dans la chaîne de soins. Et le généraliste de garde d’amont, travaillant au contraire seul. Sans infirmière ni interne, vite débordé, il ne pourra que « faire suivre » de trop nombreux malades au SAU.

A mon sens, ce généraliste d’amont doit bénéficier de l’infrastructure du SAU pour pouvoir prescrire des examens biologiques et d’imagerie, et les voir exécutés en temps réel. L’aide d’un interne, d’une infirmière et d’un secrétariat lui permettant de travailler en équipe et d’atteindre une productivité satisfaisante. A condition qu’on le laisse utiliser un logiciel métier de Médecine Générale comme Crossway utilisé dans la structure mutualiste, et non Urqual et autres logiciels inadaptés. Un fonctionnement vacataire et non à l’acte, ou au minimum panaché, lui permettra de consacrer le temps nécessaire, forcément variable, que chaque patient nécessite. Un fonctionnement H24 est bien sûr tout à fait important.

En faisant monter en puissance ce filtre d’amont jusqu’à 3 ou 4 équipes de médecine générale d’accueil, on peut espérer d’un tel système dégonfler d’au moins un quart à un tiers de la fréquentation du SAU actuel.

L’ouverture prévue en Mai 2019 de l’accueil de médecine générale d’amont à proximité des urgences a été reportée. loin de l’articulation avec le SAU que je propose, le projet est ensablé de façon exemplaire de l’impasse et de l‘incohérence du mille-feuille de gestion de la Santé:

:Le médecins libéraux ont tout d’abord défendu un accueil médical commun initial en amont du SAU. Tandis que le CHU n’a pas voulu modifier la structure inverse de l’infirmier d’orientation, de l’externe, de l’interne puis du médecin tel qu’il est en place et j’allais dire contre nature dans les SAU des Temps Modernes Hospitaliers. On s’est orienté vers une structure distincte en amont du SAU. Le CDOM a exigé qu’elle ne soit assurée que par des médecins installés et non leurs remplaçants. Si bien que lorsque le CHU a souhaité qu’elle fonctionne au moins de 18h à minuit période d’affluence, les MG libéraux n’ont pu proposer que 20h-24h. Recourir à leurs remplaçants de 18 à 20h aurait enfreint le grand interdit métaphysique, qu’un remplaçant ne pouvait travailler alors même que le titulaire serait encore lui même en consultation dans son cabinet. Le CHU fournissant déjà les locaux a alors refusé de financer le fonctionnement dont un secrétariat de soirée.

le CDOM a défendu l’autonomie et donc l’isolement de ce médecin de garde libéral. Et bien sûr la pratique à l’acte. Mais en acceptant une prime forfaitaire que l’ARS considère ne pas pouvoir payer par dérogation vis-à-vis d’autres maisons médicales libérales. L’ARS considère en effet que sous cette forme, il s’agit d’une maison médicale comme les autres qu’il ne subventionnera pas prioritairement à d’autres…

Le projet qui aurait pu être exemplaire nationalement d’un accueil intégré, finit aux dernières nouvelles sous la forme d’une consultation de 20h à 24h, d’un MG unique et isolé sans possibilité d’imagerie ou biologie, à proximité, mais physiquement séparé du SAU. Qui devrait ouvrir en Septembre 2019…..

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