JHM COHEN 30 Juillet 2020
La pandémie se poursuit, le virus prenant un second souffle un peu partout. Sous forme de retour en foyers importés dans les pays éradicateurs vrais lors de la première vague. Ce qui ruine le moral de ceux qui ne s’étaient pas résignés dans ces pays à une coupure durable avec le monde occidental aussi longtemps que celui-ci ne filtrera pas systématiquement par des tests ses entrées et sorties, notamment aériennes. Dans les pays occidentaux, éradicateurs plus ou moins mous, au contrôle des frontières médiocre à la fois pour des raisons économiques et d’incompétence, le virus reprend une prévalence de phase pré-épidémique. Ce qui ne l’oblige pas à un remake du premier pic dans les prochains jours, mais conduit à un fond continu et des foyers d’ampleur variable. La résurgence épidémique pouvant être en plateau ou en vagues plus ou moins hautes dont on ne peut prédire les délais.
La bataille des tests et la bataille des frontières, deux défaite françaises silencieuses
Nous n’avons rien fait de sérieux durant la période de répit post premier pic. Ni évalué l’histoire de l’épidémie par des sérologies, fussent elles imparfaites, ni mis en place un outil de surveillance de la réapparition virale. Ni tenter d’éradiquer la circulation virale résiduelle. Les pouvoirs publics ont choisi tout d’abord de tester les cas cliniques et de tenter de suivre leurs sujets contacts, puis accepté un dépistage en population générale. Mais ce dernier organisé en dépit du bon sens, à la fois dans son ciblage et sa réalisation, s’est enlisé à une échelle pitoyable quand on compare à ce qui a pu être réalisé en Chine par exemple.
Si l’on y joint une valse hésitation concernant l’ouverture des frontières avec ou sans tests, des demi-mesures en conséquences, et le retard à la mise en oeuvre de tests de dépistages au delà de la première génération encore majoritaire chez nous, nous serions en queue de classe, pas loin du redoublement s’il existait encore. Et si le reste de la classe européenne avait fait un sans faute, ce qui est loin d’être le cas.
On peut cependant constater que c’est la rapidité de réaction et l’ampleur du testing qui ont permis à l’Allemagne d’avoir trois fois moins de décès que nous.
La Suède le seul pays non éradicateur

Une épidémie à deux voire composantes. Une décroissance plus rapide qu’ailleurs mais moindre que celle d’une immunité d’éradication dans le groupe. ( 2/3 de la population ). Effet d’une immunité de barrière épidémique à 20-30% ? Restera à voir dans 2 semaines la circulation virale résiduelle pour savoir si la situation différe réellement de celle des autres pays d’Europe.
L’étude de l’épidémie en Suède est très importante car c’est le seul pays à ne pas afficher de volonté éradicatrice du virus. Le choix suédois étant d’aplatir assez la courbe par des mesures de distanciation sociale que leur système de santé puisse gérer l’épidémie. L’éradication virale leur semblant illusoire, les suédois tablent au contraire sur l’obtention d’une immunité de groupe protectrice bien avant les autres pays où le virus passera et repassera quoi qu’on tente. A première vue, l’épidémie y a duré plus longtemps qu’ailleurs débutant avec la notre pour se terminer ces jours-ci. La pente de redescente est certes plus rapide que la notre ou celle de l’Italie, mais sa fin n’est pas assez abrupte pour espérer une immunité d’éradication. En revanche, une immunité de barrière anti pic épidémique est peut-être atteinte. Des études sérologiques ont été menées. Et bien mieux qu’ailleurs. Mais la fraction variable de faux négatifs données par ces test selon qu’on a fait une infection sérieuse bénigne ou inapparente et selon le délai après la maladie a réduit à néant les efforts d’évaluation de l’immunité de groupe par ces méthodes.
Deux points négatifs majeurs sont notés: une mortalité plus du triple de celle des pays voisins et une crise économique malgré l’absence de confinement. Ce dernier point lié tout simplement au confinement et à la crise des voisins partenaires commerciaux. Concernant la mortalité, les suédois répondent qu’il faudra attendre la fin de la partie pour faire les comptes. Mais en fait l’étude de la mortalité suédoise est étonnante et non conforme aux présupposés quasi idéologiques des pro et contra confinement. Non seulement le gros de la mortalité concerne les maisons de retraites mais elle se produit très précocement, à la manière d’un pic épidémique, à Stockholm. Une seconde vague est faite de la survenue retardée de l’épidémie dans la seconde ville du pays. Seule l’épidémie dans les régions peu peuplée a pris l’allure attendue d’un plateau durable. En fait, l’étude de la distribution géographique et temporelle de l’épidémie ne montre pas d’épidémie unique en plateau mais la coalescence de vagues géographiques chacune peu différente de celles d’autres pays européens.
Le mea culpa rétrospectif des autorités suédoises a concerné le manque de précautions vis-à-vis des maisons de retraite. Non pas d’ailleurs de confinement mais de filtrage et tests des visiteurs et personnels. Faut il ajouter pour éviter les caricatures négationnistes qui vont rapidement fleurir à mesure de nos échecs, qu’une distanciation scandinave est pour certains aspects plus sévère qu’un confinement méditerranéen….
Les cibles du virus. Un virus qui aime les hommes âgés.

From Nic Lewis. La courbe rouge montre en fait une mortalité précoce de pic épidémique « classique » mais on voit aussi en pointillé un long plateau de nouveaux positifs normalisés. On remarque au passage la faible proportion de patients en réanimation ( ICU ), les suédois de plus 80 ans n’y étant transférés que très rarement. ( et ceux de plus de 90 ans jamais d’après les statistiques de répartition des âges).
En Suède 90% des décès ont plus 70 ans. 50% vivant en institutions. Avant de comparer la mortalité par million d’habitants, il faut regarder la densité de cibles du virus pour des cas potentiellement mortels. Si on se néglige un instant des obèses diabétiques hypertendus de moins de 60 ans, maladie pourtant inégalement répartie sur la planète pour regarder les seuls hommes de plus de 70 ans, ils sont 15.5% de la population mâle en Italie ( décès 581/Mh ), 13.7% en Suède ( 564/Mh ), 12% chez nous en France ( 462/Mh ), mais 6% en Russie ( 90/Mh ), 5.5% en Chine ( 83/Mh ), 3.8% au Maroc ( 8/Mh ). Pourtant au Japon, où ils représentent 16.7% de la pyramide des âges, ils ont pour l’instant échappé à l’hécatombe ( 8/Mh ), et en Allemagne ( 13.7% ) la mortalité n’est que 110/Mh.
Ceci suggère que les pays ne sont pas égaux en l’absence d’intervention humaine anti-épidémique précoce. Mais que celle-ci peut avoir fait la différence entre des pays proches comme l’Italie et la France d’un côté, l’Allemagne de l’autre.
…. et qui déteste la vie au grand air.
L’hétérogénéité géographique des contaminations et des décès dans un même pays est spectaculaire. En Suède, l’épidémie s’est en fait limitée au deux grandes villes du pays, avec d’ailleurs un décalage dans le temps entre elles, le virus peinant même à diffuser jusqu’au fond des forêts où la politique de santé publique suédoise espérait que la population puisse être ultérieurement immunisée comme en ville. En Italie, la moyenne nationale masque des disparités colossales, la Lombardie approchant New York avec une mortalité de 1800/Mh. En France, le confinement indifférencié a certes été trop tardif là ou l’épidémie était engagée, mais il l’a cassée net en zone rurale peu peuplée comme les Ardennes ou la Lozère.
C’est en effet la densité de la population qui semble un paramètre majeur de la diffusion virale. Que les mesures prises soient de confinement plus ou moins étroit, ou de distanciation plus modérée comme en Suède.

Influence majeure de la densité de population sur le pic épidémique
L’évolution de la mortalité lors du déroulement de l’épidémie. Les pics et le cas de l’Iran
Dans de nombreux pays et en particulier aux USA, la mortalité diminue au fil de l’épidémie. Les rôles d’une meilleure prise en charge ou du virus lui-même restant à difficile à déterminer. Dans d’autres pays en revanche, la mortalité ne varie pas du début à la fin de l’épidémie.
L’Iran représente une double exception, non seulement la mortalité ne faiblit pas voire s’aggrave nettement. Mais le plateau élevé de rebond initié par les rassemblements religieux, n’en finit pas, comme si une masse critique de circulation virale était réunie durablement sans pour autant qu’un pic épidémique classique exponentiel ne s’amorce, et finalement ne s’épuise tout seul sans que l’on comprenne pourquoi comme à New York. Comportement social variant d’un régime religieux au pouvoir, ou variant viral ?
Thaïlande et Cambodge
Dans les choses incomprises il y a aussi des surprises heureuses: la Thaïlande et encore moins le Cambodge, ne sont pas réputés pour la rigueur de leurs contrôles sanitaires, pas plus que pour l’étanchéité de leurs frontières. Pourtant le virus les néglige tout autant malgré une énorme différence de population âgée quasi-inexistante au Cambodge après l’auto-génocide Khmer Rouge… ( 2% des hommes y ont plus de 70 ans contre 6.7% en Thaïlande )
Mauvais chinois, suédois en progrès
Malgré des rodomontades éradicatrices velléitaires, nous avons été incapable de réduire la circulation virale puis d’empêcher sa remontée à un stade pré-épidémique. Un courant va donc s’élever dans l’opinion contre les mesures de confinement et de distanciation pour dire que le confinement ayant échoué [ ce qui est faux dans une grande partie du pays ] que la distanciation ou les masques ne servent à rien [ c’est faux ] ou à faire traîner les choses [ c’est vrai et même recherché en attente d’un vaccin ou d’un médicament, comme pour éviter les pics exponentiels ] et qu’il faut vivre et laisser mourir.
Après avoir été de mauvais chinois, nous pourrions au contraire tenter d’être des suédois améliorés, c’est à dire instruits par l’expérience, pour maintenir une distanciation sociale, du télétravail, des tests abondants thermiques et génomiques centrés sur les entreprises, les lieux d’éducation, les transports, les frontières et les ehpad. Pour transformer ces lieux en sanctuaires sans virus. Il est sans doute moins reluisant d’avoir, comme au Brésil, des condominiums d’habitations sûres plutôt qu’un pays totalement sûr où chacun peut se promener n’importe où le soir. Mais tant que le virus rodera, c’est la moins mauvaise solution. Quand on n’est pas capable d’être chinois.