Guerre en Ukraine: stop ou encore ?

Jacques Cohen 2/06/2022

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Guerre en Ukraine, stop ou encore ? Ce sera l’objet de votre chronique, Jacques COHEN. Professeur, bonjour !

Bonjour !

Après 2 semaines où l’on a parlé de la variole du singe, le Monkeypox, on revient à la guerre entre Ukraine et Russie. Si l’on fait une photographie, JC, finalement, on a envie de dire que les 2 pays, que ce soit la Russie ou l’Ukraine, auraient tout intérêt à stopper cette guerre.

Déjà, ils auraient eu tout intérêt à ce qu’elle ne soit pas déclenchée, tout en sachant que c’est bien la Russie qui l’a déclenchée et qu’elle a gaspillé un énorme potentiel de sympathie dans le pays qui est parti en fumée et a volé en éclats avec les éclats d’obus. Mais les 2 pays auraient maintenant d’assez bonnes raisons de chercher à cesser le feu. Pourtant ils se trouvent dans l’impossibilité politique de le faire, l’un comme l’autre.

Si l’on commence par la Russie, la première partie de la guerre leur a coûté très cher. Plusieurs objectifs stratégiques n’ont pas été atteints. L’objectif minimal de récupérer le Donbass n’est même pas atteint. Les russes ont récupéré l’un des 2 Oblasts (celui de Louhansk), mais guère l’autre (celui de Donetsk) et les pertes en matériel sont considérables. Sans parler bien sûr des pertes humaines. Trouver le moyen de dire que les gains sont suffisants pour pouvoir négocier serait une solution, mais malheureusement, là aussi il y a une surenchère pour dire qu’il n’y a aucune raison de s’arrêter là, qu’il faut continuer, qu’il faudrait mobiliser plus de monde soit par la mobilisation générale, soit par le recours aux volontaires. Et que l’on soit parti pour une guerre beaucoup plus longue en considérant qu’avec le temps, il y aura moyen d’user le potentiel ukrainien. Alors que de l’autre côté, on pense qu’à la longue, l’aide occidentale permettra d’inverser le cours des choses. Donc les Russes, après cette énorme bêtise de ce déclenchement de guerre et de l’avoir en plus mal menée, auraient tout à fait intérêt à lancer des négociations.

La seule chose qui a été timidement ouverte dans cette direction, c’est la question des exportations de blé ukrainien et du déblocage du port d’Odessa. Mais on ne sait pas très bien si c’est histoire de faire semblant ou si c’est pour une vraie négociation.

kissinger

Harry, Heinz quand il était petit, Kissinger a une longue expérience des dîners avec le diable….. (ici avec Chou En Lai )

Du côté ukrainien, après avoir démontré une capacité de résistance, ils sont soumis à la même attrition que les Russes en ayant moins de moyens. À la fois ils ont plus de monde, les réservistes sont mobilisés, mais ils ne sont pas très efficaces et une mortalité d’une centaine de personnes par jour et de 500 personnes mises hors de combat comme blessés par jour est quelque chose qu’ils ne pourront pas supporter très longtemps non plus. De même, le matériel ex-soviétique – ce sont des stocks qui ont plus de 50 ans – s’use et même en allant chercher ce que les alliés de l’OTAN (les Polonais, les Tchèques, etc.) ont dans cette catégorie, cela ne va pas pouvoir durer éternellement. L’aide occidentale en matériel d’appoint haute performance peut être utile, mais en matériel de base, c’est simple, il n’y en a pas ! Comme vous le savez, nous avons, nous, par exemple, en tout et pour tout dans les 250 chars Leclerc, les Russes en ont déjà perdu 3 fois plus et pour les Ukrainiens, on ne sait pas très bien, mais cela doit être probablement du même niveau. Donc en termes de remplacement industriel du matériel et du changement d’infrastructure aux standards occidentaux au travers de l’OTAN, là aussi, les Ukrainiens vont tomber sur un problème sérieux : non seulement d’usure du personnel, mais également du matériel qu’ils n’arriveront plus à remplacer bientôt. Sans compter l’aspect économique. Mais d’un autre côté, ils sont dans une telle situation catastrophique depuis si longtemps, que c’est la dissuasion du faible au fort. Ils considèrent que les Occidentaux n’ont qu’à payer puisque de toute façon, ils ne pourront jamais payer quoi que ce soit. Je crois que Zelensky a demandé 5 milliards par mois pour simplement la balance des paiements sans parler du matériel qu’il ne paye pas et surtout, il ne peut pas exporter son blé qui s’exporte par bateaux de 20 000 tonnes, pas par trains de 2 000 tonnes. Là aussi, il serait raisonnable, devant ces dangers de ne pas pouvoir tenir la guerre d’usure et après avoir obtenu un succès qui est d’avoir empêché l’envahissement complet du pays, il serait souhaitable pour eux aussi de négocier.

Malheureusement, la surenchère est la même chez eux. Après avoir annoncé que l’on va reconquérir tout le territoire, il est très dur de dire que l’on arrête les frais au moins temporairement sur la situation telle qu’elle est. De même, une partie des Ukrainiens – parce qu’il y a une dynamique de surenchère politique – se voient attaquer en Russie carrément, en disant que « Belgorod, c’était à nous autrefois ». Et de ressusciter les cosaques du Don. La politique des Ukrainiens est de ce point de vue là une politique un peu suicidaire et pousse-au-crime qui est de ne pas essayer de minimiser leurs pertes, mais de se retrouver bientôt dans une situation de jouer la politique du pire, obligeant les Polonais et les Baltes à venir les aider, si possible en ayant mis 2 ou 3 bombes ou missiles en Russie elle-même, de façon à obtenir une escalade. C’est une politique extrêmement dangereuse qui n’est pas forcément la politique du Président, mais qui est la politique d’une partie du champ politico-militaire Ukrainien, ce qui peut tout à faire être nuisible parce qu’il ne faut pas non plus surestimer le pouvoir réel du Président sur ses très nombreuses milices par exemple. On connaît Azov, mais il y en a une demi-douzaine et les milices représentent quasiment la moitié de la force de fantassins ukrainienne, actuellement. Donc une situation que l’on peut qualifier d’infiniment désagréable, car les gens raisonnables de part et d’autre, soit ne sont pas écoutés soit n’ont de toute façon pas les moyens de faire quelque chose parce que les politiques jugent que pour l’instant, il est plus sûr de continuer dans la voie actuelle.

JC, c’est vrai que vous nous avez donné pas mal d’éléments pendant votre exposé sur cette guerre entre Russie et Ukraine, mais vous le disiez quelque part en préambule, finalement c’est que ces 2 pays sont maintenant enclenchés dans une guerre où ni l’un ni l’autre ne peut ou ne veut y mettre fin. À partir de là, qu’est-ce qui pourra stopper la guerre à un moment donné, JC ?

Il peut y avoir, mais je n’y crois pas beaucoup, la fraternisation, c’est-à-dire que cela commence à râler des 2 côtés dans les troupes qui se font tuer et il pourrait y avoir une grève militaire, de fait, de part et d’autre, mais je n’y crois pas beaucoup, c’est le style « réconciliation de Noël ». Malheureusement, cela est très peu probable, jusqu’à présent dans les guerres, on n’a jamais vu les fantassins et les combattants arriver à imposer une paix. Néanmoins en Ukraine, il y a quand même un mouvement important, ce sont les familles des réservistes qui n’ont jamais tenu un fusil de leur vie et que l’on a envoyés là-bas dans le Donbass après leur avoir d’abord dit qu’ils feraient de la défense civile en ville. Cela peut donc être un mouvement pour dire qu’il faudrait peut-être arrêter d’envoyer les gens se faire tuer. En Russie, ce sera la même chose, également. Cet arrêt de la guerre par la volonté populaire, je crains qu’elle ne soit, hélas, assez peu probable, du moins à court terme. Le plus probable c’est, dans le meilleur des cas, d’arriver à une ligne de cessez-le-feu et à une guerre tiède. C’est-à-dire ce que l’on a eu depuis 2014 jusqu’à maintenant dans le Donbass : une ligne de cessez-le-feu plus ou moins respectée avec des incidents réguliers, chacun pensant qu’un de ces jours « on va leur faire la peau ». Mais cela pourrait quand même calmer le jeu. Du côté ukrainien, c’est l’idée qu’avec le temps, on aura suffisamment de remplacement en matériel occidental, même si on commence à être juste en soldats. Du côté russe, à partir du moment où on a obtenu un certain nombre de provinces : tout le Louhansk, la moitié du Donetsk, toute la côte jusqu’à Kherson compris et transformé la mer d’Azov en lac Russe, et bien, si on gèle la situation comme cela, c’est toujours cela de pris et ce n’est pas si mal. C’est ce qui pourrait conduire à une espèce de côte mal taillée avec une guerre tiède qui dure très longtemps.

Cela veut dire que les pays qui font partie de l’OTAN, comme la France par exemple, doivent être toujours en veille ou en alerte quelque part, JC ?

C’est plus qu’une veille et une alerte, c’est l’inquiétude. C’est d’une part d’aider l’Ukraine qui a été agressée et l’inquiétude de ne pas les laisser faire déborder le conflit vers une guerre généralisée, une 3e Guerre Mondiale, ce qui est le souhait d’une partie des anciens pays de l’Est, il ne faut pas l’oublier. Les Polonais aussi soutiennent considérablement les Ukrainiens, car leur arrière-pensée c’est de récupérer la Biélorussie et ensuite, de récupérer la Galicie dont la capitale est Lvov, Lviv, Lvow, selon la prononciation des différents pays , Lemberg en Allemand, c’est-à-dire une zone qui n’est Ukrainienne que depuis 1945. Auparavant, pour plus de 3 siècles, c’était de la Pologne. Les pays Baltes voudraient eux voir disparaître l’enclave de Kaliningrad et leurs voisins émiettés en provinces autonomes concurrentes.  Mais si on se met à avoir une déstabilisation de l’Europe de l’Est à l’instar des Balkans d’avant 14, on rentre dans une situation complètement incontrôlable et une partie des gens sérieux, en Occident, considèrent que la Russie comme puissance régionale est à maintenir. Ce n’est pas la question de maintenir Poutine qui politiquement est au bout du rouleau, mais de maintenir la Russie comme puissance régionale. Elle a montré plusieurs fois sa capacité à éviter les massacres au Kazakhstan, dans le Caucase, etc. Certes, en employant parfois la manière forte, mais vis-à-vis de l’Arménie/Azerbaïdjan ce n’était pas la manière forte et cela c’était assez bien passé. Mais s’il n’y a plus de puissance régionale capable d’arbitrer sur ses marges et de maintenir son unité interne, là, on risque d’entrer dans une situation à l’Irakienne, à la Syrienne ou aux Balkans d’avant 14. C’est-à-dire quelque chose qui est inimaginable pour l’instant, justifiant qu’il faudra biend u point de vue des occidentaux également qu’un jour où l’autre on se retrouve à encourager une Russie raisonnable, ce qui n’est pas le cas de Poutine pour l’instant. Parmi les gens raisonnables, il y a tout simplement Harry KISSINGER qui ne peut pas être considéré comme un pacifiste bêlant après tout ce qu’il a fait du temps du Vietnam et qui, malgré ses 99 ans, a encore toute sa tête et a indiqué au forum de Davos que les Ukrainiens auraient intérêt à négocier parce que les Américains les soutiendront un temps, mais pas jusqu’à Moscou et encore moins jusqu’à Vladivostok.

Merci, Jacques COHEN, de nous avoir éclairés et à très bientôt !

À bientôt !

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