Tournée Zelensky : l’offensive vers l’Union européenne

Jacques HM Cohen 10 2 2023

Sur les ondes de RCF: LIEN

Avec nous aujourd’hui pour la chronique d’actualité, on retrouve le professeur Jacques COHEN. Bonjour Jacques !

Bonjour !

JC, avec vous aujourd’hui nous allons parler de Zelensky, le président ukrainien qui fait actuellement la tournée de l’Union européenne, si l’on peut dire. Une tournée qui n’est pas anodine, qui prend la forme de plusieurs aspects. Si l’on fait une photographie de l’ensemble de ces visites, finalement, en quoi cela consiste-t-il, JC ?

Il y a deux aspects. Il y a celui qui est mis le plus en évidence qui est la recherche d’armes et il y a l’autre aspect qui est la relation avec l’Union européenne et la volonté de Kiev d’y entrer à marche forcée. Ce deuxième aspect est plus important parce que par exemple, il va prendre la parole à Bruxelles, c’est une volonté réciproque, il s’adresse d’une part à l’Union européenne en tant que telle, alors qu’elle n’a pas de compétence de défense sérieuse et d’autre part, pour l’Union européenne, c’est aussi une façon pour les institutions de Bruxelles de grignoter là-dessus la prééminence des États.

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Mirage 2000 Un stock d’avions anciens disponible ne fait pas une force aérienne instantanément opérationnelle.

Ceci dit, à part de bonnes paroles, Bruxelles ne dispose, si j’ose dire, d’aucun char et d’aucun avion, mais ce n’est pas justement la question des armes qui préoccupe Zelensky pour Bruxelles, c’est tout simplement l’entrée dans l’Union européenne c’est-à-dire l’espace économique, la monnaie, etc. Là, il y a pour les Européens beaucoup d’hésitations, d’abord parce que l’aspect « État mafieux » n’est pas liquidé par la liquidation de quelques corrompus dans l’administration militaire qui faisaient un peu de tambouilles sur les rations, le président Zelensky lui-même n’ayant pas, à ce que je sache, rapatrié les fonds qu’il avait planqué qui sont désignés dans les Panama Papers. Et puis des tas d’autres choses. Ne serait-ce que les manquements ou les défauts vis-à-vis du FMI que l’Ukraine a fait depuis l’indépendance, rendent difficile l’entrée d’un aussi grand pays. On a pu admettre pour des raisons politiques de vouloir faire rentrer l’Albanie, un petit État du point de vue du nombre et du point de vue financier, malgré son problème de plaque tournante de la drogue, mais enfin, si j’ose dire, c’est un problème de petite taille. Il faut rappeler que l’Ukraine, même amputée d’une grande partie de sa population par sa dégringolade depuis 1991, l’Ukraine c’est plus que la Pologne. On voit déjà les problèmes que pose la Pologne qui est pourtant en bien meilleur état que l’Ukraine. Donc l’entrée dans l’Union européenne de façon rapide est complètement distincte de l’entrée dans l’OTAN. Il y a deux attitudes. Michel et Von der Leyen annonçant « mais oui, bien sûr, c’est pour bientôt » et le président Macron disant de suite « on comptera cela en décades », alors que les autres veulent intégrer l’Ukraine en deux ans. Cela risque de conduire à un sérieux problème à moyen terme, lequel est quand même surdéterminé par l’état de la situation militaire à cette époque.

Pour l’instant, on s’oriente vers une situation de statu quo avec l’hypothèse d’une solution coréenne c’est-à-dire qu’après deux – trois allers-retours dans un sens ou dans l’autre, une ligne de front à peu près stable devient la ligne de cessez le feu. Pour l’instant, aucun des deux camps ne veut en entendre parler, ce qui est aussi une chose qui compte. De même, il n’est pas sûr que les annonces multiples de matériel permettent aux Ukrainiens de redresser la situation pour eux.

On a une situation finalement où les Ukrainiens terminent d’user le matériel d’origine soviétique de tous les anciens pays de l’Est et où l’on se prépare à rééquilibrer leur matériel à partir de celui de l’OTAN, mais au mieux pour l’an prochain. Pour simplement le faire cette année, on arrivera de bric et de broc à trouver de quoi leur permettre une contre-offensive limitée, pas plus. C’est donc déjà quand même beaucoup plus tangent. Toutes ces histoires par exemple de chars Léopard 1, ce sont des ferrailles des années 60 conçues dans les années 50 pour lesquelles il faut remettre du matériel moderne à l’intérieur et il y en a au moins pour un an. Quand on parle des avions, c’est pareil, on ne peut pas imaginer confier les avions, qui ne sont pas, j’allais dire, des voitures où simplement on tourne la clé pour démarrer, à des pilotes sans au moins un à deux ans d’entraînement, et ainsi de suite. Donc ce qui est discuté, c’est l’équipement à long terme et entre les deux, il y a plusieurs incertitudes. Une des incertitudes, c’est l’évolution du sort des armes dans l’année actuelle et la deuxième et plus grande incertitude c’est le sort des hommes. Il faut souligner que Prigogine, le patron du groupe Wagner, dont on ne savait pas qu’il avait lu Clausewitz, vient de rappeler dans une interview que l’art de la guerre n’est pas d’envahir du terrain mais de détruire les armées adverses. Que ce soit dans une bataille décisive comme le pensait le théoricien prussien ou dans une guerre d’attrition.

C’est-à-dire est-ce que les Ukrainiens peuvent encaisser les mêmes pertes que les Russes ? Les pertes sont probablement équilibrées mais étant donné que c’est un beaucoup plus petit pays, ne risque-t-on pas un effondrement de ce point de vue ? Il reste donc beaucoup d’incertitudes sur le sort des armes, ce qui fait que les diplomates ne sortiront de leur boite que lorsque l’on saura à peu près quelle sera la configuration d’équilibre possible et pour l’instant, nous ne le savons pas. 

JC, vous dites qu’il y a des incertitudes. À quel moment la balance peut-elle basculer d’un côté ou de l’autre ?

Elle peut basculer tout le temps dans l’année 2023. Elle peut basculer tout le temps, il peut y avoir une offensive russe qui se casse les dents et dont le coût s’avère définitivement prohibitif pour bouger plus loin, comme il peut y avoir dans l’autre sens l’effondrement des troupes ukrainiennes, faute de matériel et surtout faute d’hommes. Rien n’est certain de ce point de vue pour l’instant dans l’année 2023. Les seuls paramètres fondamentaux sont que la Russie va peu à peu faire monter son corps expéditionnaire qui était au départ de 80 000 hommes et qui doit actuellement largement dépasser les 150 000. Ils comptent le faire monter à 250 à 300 000 d’ici la fin de l’année 2023 et, quels que soient les équipements, cela commence à faire beaucoup par rapport à ce qui est disponible en face. Est-ce que les Ukrainiens avec du matériel de pointe sur certains segments uniquement pourront tenir ? Comme je vous l’ai dit, c’est la question des pertes qui va être déterminante.

Évidemment, JC, il y a un aspect « tournée européenne » pour Zelensky et pour la position ukrainienne. Il y a aussi un point de vue franco-français, si j’ose dire, puisque c’est la troisième rencontre depuis le début de la guerre en Ukraine entre Zelensky et le président Emmanuel Macron. Qu’est-ce que cela signifie du point de vue uniquement franco-français, JC ?

La position franco-française fait à peu près consensus malgré les rhétoriques des partis, il faut le souligner. C’est de vouloir que les Russes n’envahissent pas l’Ukraine complètement, c’est d’espérer que les Ukrainiens puissent refouler les Russes vers la frontière, mais c’est surtout, 3ème élément, refuser complètement une guerre en Russie allant, entre guillemets, « à Moscou » pour détruire et déstructurer la Russie en y laissant l’assemblage de quelques féodalités sans plus avoir de potentiel d’État centralisé. Cela aurait comme énorme inconvénient de ne plus avoir de gendarme régional pour toute la région, ce que les États-Unis n’ont aucune envie d’assurer et à ce moment-là, on s’orienterait vers le Moyen-Orient à la puissance 10, les Balkans à la puissance 100, etc. L’opinion française et les politiques français ne veulent pas ce que voudrait Zelensky et ce que veulent les États baltes c’est-à-dire une généralisation du conflit qui les soulage en terme humain et qui conduise à une guerre beaucoup plus longue et beaucoup plus lourde pour aller à Moscou. C’est une position assez homogène en France et qui est en grande partie partagée en Allemagne, malgré les apparences.

Merci, professeur JC, de nous avoir éclairés sur ce tour de l’Union européenne de Volodymyr Zelensky qui était à Paris ce mercredi. Affaire à suivre comme on dit.

Affaire à suivre malheureusement pour longtemps, mais aussi dans les prochains jours parce qu’il peut y avoir des éléments sinon décisifs, mais au moins donnant des orientations très rapidement.

Merci, professeur, de nous avoir éclairés. À très bientôt !

À bientôt !

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