Le ministre de la santé Agnès Buzyn, a rendu obligatoires les vaccinations jusque là conseillées. Une campagne dénonce tout à la fois l’atteinte aux libertés individuelles ( des nourrissons !!??!! ) du caractère obligatoire, les dangers des vaccinations concernées ( imaginaires et loin des véritables complications quantifiables au rapport coût/ bénéfice thérapeutique indiscutable ), les profits que les fabricants sont supposés rechercher au besoin contre la santé des vaccinés.
Il m’a semblé intéressant de rechercher dans quelles circonstances les premiers vaccins ont été rendus obligatoires et quel en a été le débat public.
La vaccination diphtérique est obligatoire depuis la loi du 25 juin 1938. C’est la chambre du Front Populaire élue en 1936. Mais la mesure est votée à l’unanimité, après débats en Commissions de l’Hygiène de l’Assemblée Nationale et du Sénat. De nombreux avis ont été sollicités: conseil supérieur d’hygiène, Académie de médecine…. La loi a été votée sans débat après un bref exposé du rapporteur Léculier qui est médecin et du président de la commission d’hygiène de la Chambre Even. Ce dernier rassure d’ailleurs l’assemblée sur le fait que les coûts de cette vaccination seront très inférieurs à ses bénéfices indirects attendus y compris sur ce point en soins et décès infantiles évités.
Un débat en séance aurait été possible, mais comme personne ne l’a réclamé malgré l’affichage réglementaire de la proposition de loi trois jours avant, il n’y en aura pas, la loi faisant consensus.
La diphtérie avant la vaccination
A quelle situation faisait-on face ? Il faut rappeler que la diphtérie avant l’ère de la vaccination survient surtout par épidémies infantiles saisonnières et par cas sporadiques chez l’adulte, qu’elle peut tuer, et de façon particulièrement atroce de jeunes enfants, qui suffoquent, leurs voies respiratoires obstruées par les fausses membranes du croup, luttent, s’épuisent, et meurent devant leurs parents et médecins impuissants. Si l’angine s’est bien terminée, il reste les atteintes neurologiques plus tardives, qui elles aussi peuvent tuer ou laisser des séquelles en comportant des paralysies de type polyradiculonévrites bien plus fréquentes et graves que celles que le vaccin peut induire exceptionnellement. Tous les médecins de l’époque ont en tête le souvenir de petits malades qu’ils ont vu mourir.
La vaccination anti-diphtérique
La vaccination antidiphtérique est mise au point dans les années 20 par le pastorien Maurice Ramon selon le concept d’anatoxine vaccinale. C’est à dire d’une toxine dénaturée pour qu’elle perde ses propriétés biologiques délétères mais conserve toute son immunogénicité afin d’induire des anticorps protecteurs neutralisant la toxine par une vaccination.
Ramon est aussi l’inventeur des adjuvants modernes
Ramon est aussi l’inventeur des adjuvants qui vont permettre que cette réponse vaccinale soit suffisamment importante pour conférer une protection durable contre la maladie.
Ramon qui préparait des sérums anti-tétaniques chez le cheval s’était aperçu que les taux d’anticorps obtenus variaient d’un animal à l’autre et que ceux qui présentaient des abcès et une réaction inflammatoire aux points d’injection étaient les meilleurs producteurs d’anticorps. Il chercha alors à injecter son immunogène avec une substance non résorbable et pro-inflammatoire capable de déclencher une réaction locale. Le premier adjuvant choisi ainsi comme végétal, fut le tapioca. Ramon chercha ensuite un compromis avec d’autres adjuvants évitant de trop fortes réactions nécrotiques locales et générales avec fièvre et rhumatisme, mais gardant assez de pouvoir stimulant pour être efficaces chez l’homme. C’est ainsi qu’il aboutît aux substances insolubles sur lesquelles l’immunogène s’absorbe et ne diffuse pas au loin du site d’injection: phosphate de calcium ou d’alumine, qui ne sont toujours pas détrônés de nos jours.
Il est amusant de noter, puisqu’il va être ciblé par P Henriot, que Gaston Ramon est un ours asocial, ce qui l’a privé du prix Nobel pour lequel il a été régulièrement proposé mais jamais choisi. Il vit dans l’établissement des « cent gardes » à Marne la Coquette, là où sont les chevaux de la fabrication d’antisérums. Il règne sur cet établissement qu’il a rendu quasi indépendant de l’institut Pasteur. Mais c’est aussi un homme d’extrême droite admirant ouvertement les régimes fasciste et nazi. L’accueil qu’il réservera aux scientifiques allemands durant l’occupation, lui vaudra quelques ennuis à la libération. Mais comme toute la direction est mouillée dans la fourniture plus discrète à la Wehrmacht d’antisérums, vaccins anti-typhique et savoir-faire, on se contentera de lui piquer la direction de l’établissement des « Cent Gardes ».
Au plan scientifique, l’occupation conduit à une découverte scientifique concernant les adjuvants. Les chevaux injectés avec le tapioca meurent en masse en 1942 après de très gros abcès. C’est en fait qu’ils sont mal nourris vu les privations alimentaires y compris animales. Ce qui montre l’interaction de l’environnement avec les adjuvants et la variabilité des effets secondaires dans une population mal nourrie.
Où en est on au milieu des années trente ?
La vaccination anti-diphtérique couvre de 30 à 70% des enfants. Son efficacité individuelle est de l’ordre de 92%. Elle n’est pas totale et ne dure que quelques années s’il n’y a pas de rappels. En outre les adultes non vaccinés contribuent également à maintenir un réservoir de bacille diphtérique en circulation. Pourtant les progrès sont déjà perceptibles et la mortalité infantile par diphtérie a déjà diminué de plus de la moitié. Mais reste significative. La Commission Supérieure d’Hygiène propose donc la vaccination, systématique et donc obligatoire, des enfants en bas âge, ainsi que le rattrapage jusqu’à 14 ans des plus grands n’ayant pas reçu ce vaccin. A la campagne, le rôle des médecins généralistes est essentiel et le caractère obligatoire doit les aider à faire accepter un vaccin dont ils sont presque tous de chauds propagandistes. En ville, le ministère de la Santé compte aussi s’appuyer sur les dispensaires municipaux et la médecine scolaire où aucun consentement des parents ne sera requis puisque la mesure est comme l’école, obligatoire. Et le choix de l’âge du rattrapage des grands n’est pas choisi au hasard: 14 ans c’est à l’époque l’âge du Certificat d’Études Primaires et de la fin de la scolarité obligatoire.
Que s’est il passé après la promulgation de la loi du 25 Juin 1938 ?
Les campagnes de vaccination vont bon train et de nombreux maires en font la propagande dans leur ville. Mais les promoteurs de la campagne ont fait une erreur. Tout à l’affirmation du but proche d’éradication de la Diphtérie, ils n’ont pas anticipé la surprise de l’opinion publique lorsque des épidémies surviennent encore, y compris avec des cas parmi des enfants vaccinés. Sachant pourtant que l’éradication repose sur la suppression du réservoir bactérien et surtout sur l’immunité de groupe de la population vaccinée où l’agent infectieux ne peut plus circuler, ils n’ont pas assez expliqué que cela va prendre un certain temps. D’autant qu’ils sont encouragés par les résultats positifs qui sont immédiatement perceptibles avec la poursuite à marche rapide de la baisse du nombre de décès infantiles liés à la diphtérie. D’où un certain trouble dans l’opinion devant la survivance de cas de diphtérie.
Qui sont en 1938, les opposants à la vaccination ?
Il n’y a pas d’anticapitalistes radicaux pour mettre en cause les profits du fabricant: C’est l’Institut Pasteur, fondation à but non lucratif. Les écologistes partisans de la bonne nature qu’il faut laisser faire, hostile à la science et ne croyant pas à ses progrès sont encore loin d’avoir atteints un stade épidémique. Un courant anti-institutionnel et anti-étatique, vestige anarchique survit encore un peu. Mais surtout la fraction la plus dure du catholicisme intégriste ne veut pas qu’on s’oppose à l’action et aux choix de la divine Providence qui décide de qui doit vivre parmi les enfants. Sans que l’homme ne doive oser s’opposer à la volonté divine.
Et le 19 Décembre 1938, par surprise, il va y avoir débat à l’Assemblée Nationale à l’initiative de Philippe Henriot, le futur ministre de l’information de la fin du régime de Vichy.

La séance de l’Assemblée Nationale du 19 Décembre 1938.
P. Henriot est un élu d’extrême droite, anti-parlementariste mais qui connaît bien et utilise le règlement de l’assemblée. Le débat budgétaire de fin d’année est l’occasion, ministère par ministère de questions au Ministre qui balayent des sujets, fort peu budgétaires pour la plupart, mais qui tiennent à cœur à certains parlementaires. On peut d’ailleurs supposer que le ministère des finances est ravi que l’on discute de tout et n’importe quoi, et donc pas de l’objet théorique de la séance…. Contrairement aux actuelles questions au gouvernement, l’orateur n’a pas à communiquer son texte intégral à l’avance au Ministre et peut ainsi ne laisser que peu de temps au Ministre pour organiser sa riposte.
Même parmi les élus d’extrême droite, P Henriot est assez isolé à la fois comme orateur remarquable mais connu pour raconter n’importe quoi et son contraire. Et ici comme porte parole d’une fraction catholique devenue minoritaire. Y compris dans des partis extrémistes, amis des fascistes voire des nazis, pour la plupart laïcs. Et très liés au milieu des anciens combattants de 14-18.
Or P Henriot traîne une énorme casserole: il a été réformé. Et contrairement à 80% des réformés qui se sont portés engagés volontaires, tout le monde étant alors pris, il a coulé des jours paisibles dans la région de Bordeaux, comme civil loin du front.
L’argumentation de P Henriot
L’argumentation de P Henriot surprend par la ressemblance avec ce qu’on entend de nos jours ! Après avoir indiqué qu’il ne parlerait pas de l’aspect technique qu’il ne connait pas, il s’y risque néanmoins en accumulant les contrevérités. L’anatoxine est supposée toxique parce qu’elle contient du formol et pourrait en outre transmettre des « agents filtrants » ( des virus de nos jours ) alors que justement le formol l’évite. ( on se sait pas encore à l’époque pratiquer de nano-filtration stérilisante d’où l’emploi du formol qui n’est pas toxique pour le sujet vacciné à la dose employée ). Il croit débiner Ramon l’inventeur de ce vaccin en rappelant qu’il était vétérinaire et s’indigne que l’on expérimente sur les enfants de France qui seront des cobayes. ( La vaccination a commencé en fait depuis plus de dix ans et a déjà concerné plusieurs millions d’enfants ). Qu’importe il s’agit d’un complot contre le sang français. On veut imposer par la force une méthode qui a causé de nombreuses victimes.
Il ne manque pas dans son récit qu’on croirait tiré d’un « témoignage » contemporain sur Facebook le malheureux enfant tué par la vaccination qu’ont voulu ses parents qui racontent en termes poignants comment la fillette. âgée de trois ans, une belle enfant, forte et saine, tomba malade le soir même du traitement et mourut quelques semaines après.
Les coupures de presse en guise d’information scientifique défilent: « On lit dans la presse des informations de ce genre:
« Lille, 21 novembre 1932.—Depuis plus d’un an, une épidémie de diphtérie sévit à La Bassée, sans qu’il soit possible de l’enrayer. «Détail curieux: la plupart des enfants atteints ont été vaccinés préventivement ». L’orateur prête à E Herriot de déplorer que le nombre des décès allait croissant. ( ce qui est contraire à toutes les statistiques de santé publique, très bien faites à l’époque ).
La péroraison demande de rayer du code ( de la santé publique ) cette sinistre menace et lever l’hypothèque qu’elle fait peser sur les berceaux de France. !
La riposte du Ministre Marc Rucart
Le Président de la commission d’hygiène de l’assemblée n’est pas là. Une réponse médicale va être fournie par Le Dr Louis Gaillemin. C’est un élu très marqué à droite, du camp catholique contre les « sans- Dieu », qui a même fait campagne contre les poursuites intentées à Charles Maurras. Il a exercé 32 ans comme médecin généraliste. C’est un ancien combattant, décoré. Compte-tenu des règles d’attribution de la parole en séance, il est très probable que c’est avec le plein assentiment du Ministre Marc Rucart, qui ne fait pas intervenir de médecin de sa majorité, mais quelqu’un à ses antipodes idéologiques: M Rucart est lui un haut dignitaire de la Franc-Maçonnerie, ancien garde des Sceaux du gouvernement de Léon Blum, devenu ministre de la Santé des Président du Conseil suivants.
Même s’il choisit le costume de l’humble médecin de campagne à l’opposé du ténor politique, L Gaillemin connait en fait très bien le métier et ne choisit certainement pas par hasard l’exemple de la vaccination anti typhique dans l’armée française en 1915 pour accepter qu’il puisse y avoir des effets secondaires lors d’une vaccination. P Henriot n’a bien sûr pas reçu ce vaccin vu ses antécédents durant la première guerre mondiale. Mais l’allusion doit le dissuader de s’en prendre en retour au Dr Gaillemin. P Herriot va se replier sur la dénonciation du caractère obligatoire du vaccin.
Le ministre Rucart se contentera ensuite de rappeler le seul chiffre qu’il a sous la main: Depuis les débuts de la vaccination, malgré une couverture encore faible, la mortalité à Paris due à la diphtérie est tombée en 10 ans de 310 à 87 enfants par an. Rucart fait aussi une discrète allusion aux résultats favorables obtenus à l’étranger, signal sub-liminaire pour rappeler à la raison l’extrême droite admiratrice du modèle allemand.
Mais il laisse une porte de sortie aux autres intervenants en rappelant que les sanctions pour non respect de la loi n’ont pas encore été publiées et que cet aspect sera « non pas reconsidéré mais considéré avec la plus grande attention »… Un autre député d’extrême droite G Cousin, lui aussi médecin, comprend immédiatement qu’on ne se dépêchera pas. Et lance: « Nous sommes pleinement d’accord ». L’emploi du « nous » signifiant en outre l’accord de son groupe qui laisse P Henriot seul avec sa lubie anti-vaccinale.
A noter que personne dans le débat n’a remis en cause ou même cité la vaccination anti-variolique, obligatoire depuis le 15 février 1902.
Épilogue
Deux ans plus tard, la diphtérie a continué à régresser, même si elle n’a pas encore totalement disparu. Il faudra attendre pour cela le début des années 50. Mais lorsque le gouvernement de Vichy rend la vaccination anti-tétanique obligatoire en France pour les enfants de moins de 18 mois par la loi du 24 novembre 1940, P Henriot ne mouftera pas !
Journal Officiel. Chambre des députés. Séance du 19 Décembre 1938 pg 1971, 1972, 1973, et 1976
Suite des interventions de P Henriot, M Rucart, et L Gaillemin:
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