Covid19: fiasco technique et stratégique des tests viraux en France

JHM COHEN  8 septembre 2020

Sur les ondes de RCF:

 L’incapacité à tester rapidement les malades et leurs sujets contacts de la seconde vague épidémique est l’aboutissement de la chronique d’un désastre annoncé. S’il y a bien une chasse à la glu qui ne semble pas en péril en France, c’est celle à l’innovation, qu’elle soit technologique ou organisationnelle.

Chasse-a-la-glu

La glu piège autant l’innovation que les oiseaux…

Un ciblage des tests incohérent.

Après avoir ciblé les patients symptomatiques, refusé les tests systématiques ou ciblés géographiquement  en population générale, le gouvernement a ouvert les tests à … qui voudrait être testé. Avec l’illusion qu’une augmentation des tests en direction du million par semaine, éteindrait la pénurie et permettrait quelques gaspillages de bonne volonté politique. C’est oublier que vider un département rural demande 500 000 tests en une semaine et qu’un département comportant une seule des 30 premières agglomérations serait inaccessible en lui consacrant tous les tests ! Et que nous avons laissé passer l’occasion après la première vague d’éradiquer la circulation virale comme l’on fait les chinois à Wuhan berceau de l’épidémie en testant systématiquement les 12 millions d’habitants à raison d’un million…par jour! L’affichage politique de l’objectif du million a caché l’inconsistance de cet objectif abstrait en soi, séparé de toute politique par exemple de bouclage des foyers de reprise épidémique. De même qu’il aurait fallu distinguer de quels types de tests on disposait pour telle ou telle circonstance. 

Des techniques de test obsolètes,

Dès le stade du prélèvement, nous sommes restés bloqués à une méthode reconnue désormais partout comme obsolète hors du milieu hospitalier: le prélèvement nasal profond. Dangereux pour le personnel qui doit être intégralement couvert, raté dans un 1/4 à 1/3 des cas, il induit par lui-même une lourdeur logistique considérable. Quand le monde entier passe aux auto-prélèvements salivaires plus ou moins associés à un jet de sérum salé isotonique rinçant cavum et arrière gorge, le ministère tolère que nos sociétés savantes débattent de tests de validation hexagonaux demandant délai sur délai pour une valeur statistique médiocre d’ailleurs. Il y a près d’un mois que le ministère de la santé des Pays Bas a commandé 160 000 entonnoirs/tubes de récolte salivaire

Les premiers tests génomiques ont été des pcr temps réels durant, comme leur nom ne l’indique pas, 5 h avec des manipulations intermédiaires, réalisés par séries de 100. Leur réponse en pratique n’est pas rendue le jour du prélèvement. Ces tests ont été initialement confisqués par les labos de référence, persuadant le gouvernement qu’eux seuls pourraient les réaliser.  L’aide des labos vétérinaires, pourtant habitués à de grandes séries a été repoussée initialement.  Devant la disette de tests lors du premier pic épidémique, Il a fallu admettre que de nombreux labos de biologie de routine hospitaliers ou privés pouvaient réaliser cet examen. Et même sans précautions particulières si l’échantillon était recueilli dans une solution inactivant le virus et permettant une meilleure conservation du virus. Les 3/4 environ des tests pratiqués en France continuent d’être réalisés par des tests de première génération. 

Pourtant les tests se sont diversifiés et des tests rapides en une heure et moins sont sortis, tandis qu’apparaissaient des appareils à haut débit permettant de réaliser plusieurs milliers de tests par jour et par appareil. Le ministère de la santé à acheté une douzaine d’automates à grand débit, mais les a confiés à des labos de CHU, incapables d’une logique industrielle, comme de travailler hors des horaires habituels et le week-end de part leur organisation hospitalière engluant là aussi les bonnes volontés.

Des tests unitaires réalisables par simple mélange puis installation dans un bloc chauffant avec virage coloré en 15mn sont également apparus. Lorsqu’ils ont été proposés, ils se sont heurtés à la méfiance des acteurs de la biologie traditionnelle publique et privée ici réunies, en face de tests décentralisés hors de leurs murs. De doctes évaluations ont été longuement entreprises aboutissant à laisser en carafe depuis plus de 3 mois des tests rapides chinois mais aussi de start-up françaises. Les grands du réactifs  vont bientôt diffuser des tests similaires, rachetés d’ailleurs à des start-up par exemple coréenne pour Roche. Nul doute qu’il seront homologués plus rapidement du fait de la meilleure connaissance du paysage biologique et administratif français de la part de ces firmes pourtant étrangères pour la plupart. 

Une organisation des tests inadaptée.

Il pourrait sembler inconvenant de tirer sur une ambulance mal en point en critiquant l’organisation des tests quand on voit les labos du coin de la rue assiégés par leurs files d’attente, se battre pour rendre les résultats des tests le moins de retard possible, avec un courage désespéré comme dans la maison des dernières cartouches à Bazeilles en 1870. Il faut donc rendre hommage à leurs efforts, tout en critiquant ceux qui les ont mis dans cette situation impossible et envoyés en quelque sorte au casse-pipe.

Alphonse-Marie-Adolphe_de_Neuville_-_Les_dernières_cartouches_(1873)

Les dernières cartouches. A M A de Neuville 1873

L’organisation de la biologie en France est assez particulière dans le monde. Si on met à part les labos de CHU vu plus haut, et les labos des petits centres hospitaliers qui ont pu eux s’adresser à la population environnante mais à leur échelle limitée, elle repose sur un réseau dense de plusieurs milliers de labos du coin de la rue, qu’on vient de voir succomber sous les files d’attente de prélèvements, qu’on peut comparer à des commerces de proximité, et qui transmettent leurs examens à des plateformes de regroupement dont la taille serait celle des supermarchés de centre ville. Nous n’avons pas comme en Allemagne d’hypermarchés de la biologie à deux exceptions près.

Ces labos de proximité, s’ils étaient équipés en tests rapides pourraient chacun en réaliser plusieurs centaines au moins par jour, si l’auto-prélèvement salivaire faisait sauter le goulot d’étranglement du prélèvement nasal médicalisé. Les labos de regroupement ont eu hésité trop longtemps à s’équiper en très gros automates coûteux permettant de réaliser 5 à 10 000 tests par jour . Ou à passer aux techniques dites NGS qu’ils maîtrisent mal permettant en 2 équipes et une dizaine d’appareils de taille modeste de dépasser 30 000 tests par jour.

Pour les tests massifs, c’est une logistique de la grande distribution ou de l’industrie automobile ou agro-alimentaire par exemple qui pourrait alimenter en amont des hypermarchés de tests à haut débit et gérer les confinements, suivis et quarantaines en aval.

Comment en sommes nous arrivés là?

Il faut constater que la rigidité bureaucratique et la viscosité cérébrale des décideurs ont efficacement englué l’innovation technologique et logistique. On peut remarquer que l’argent déversé à juste titre par les pouvoirs publics peut avoir l’effet paradoxal de cimenter l’immobilisme quand par exemple la structure et les tarifs de la prise en charge des tests par l’assurance maladie sont calqués sur l’organisation des transferts de la biologie de ville, comme l’aide à l’achat de machines pour une génération de tests gêne l’acquisition en mise à disposition à coûts intégrés des outils des générations suivantes. De même peu d’entreprises ont fait preuve d’imagination et d’efforts pour continuer leur production in situ hors télétravail: il n’est que de voir le peu d’usage des dépistages thermiques sans contacts, pourtant fort peu coûteux. 

Les politiques ont voulu éviter tout affrontement et ne faire de peine à aucune structure ou lobby. Ce qui aboutit comme souvent, à ce que tous soient mécontents. Et se retournent contre les pouvoirs publics devant l’échec de l’éradication virale durant l’accalmie suite à la première vague, puis aujourd’hui devant une seconde vague largement niée. On peut à ce sujet remarquer que les négationnistes actuels se distinguent de nombres de leurs prédécesseurs en niant non pas un événement passé mais une circonstance future. Lorsque la seconde vague et les réanimations pleines à Marseille vont déferler en douche froide pour eux, il est tout à fait prévisible de les voir endosser  comme chemise sèche et propre un discours tout à fait inverse. Et réclamer trop tard les mesures de confinement partiel, distanciation accrue, bouclages localisés et frontières intérieures entre les zones de forte et faible densité virale qui n’ont pas été prises en temps utile. 

Que faire aujourd’hui?

il ne sert à rien de faire l’exégèse des erreurs et de rejouer le match. Il faut en tirer les leçons pour se concentrer sur ce qui est utile et possible.

= tester les cas suspect immédiatement et leurs contacts à 7 jours. Les cas suspects cliniquement doivent être testés prioritairement avec un résultat dans la journée. Leurs sujets contacts doivent être mis en quarantaine sans test immédiatement et testé à J 7 pour sortir de celle-ci s’ils sont négatifs. Un raccourcissement de la quatorzaine sans test serait une aberration. Les patients contaminés ne devraient reprendre une vie sociale ou retourner au travail à moins d’un mois qu’avec un test négatif.

= Des tests massifs ciblés sur les lieux de travail. La préservation de l’activité économique comme éducative, repose sur le filtrage des accès comme d’ailleurs la sécurité des ehpad. Outre le dépistage thermique généralisé, les tests soit génomiques rapides, soit antigéniques qui sont à peine moins bons mais eux aussi englués dans une évaluation hexagonale interminable, peuvent le permettre. En remettant sa salive le soir au sortir du travail ou du lycée, on peut savoir par SMS au réveil si l’on peut retourner au travail ou si l’on doit entrer dans un circuit de prise en charge. Après des start-up qui n’ont pu percer en France, tous les grands du diagnostic distribuent ou vont distribuer des tests rapides en moins d’une heure. Certains comme Biomèrieux associent même la détection d’autres virus à celle du sarscov2. L’aspect financier est d’accès plus difficile. La firme Abbott annonce un coût réactif de son test unitaire en 15 minutes au quart du prix moyen des réactifs  des tests « lents » utilisés en France actuellement. Avec bien moins de main d’oeuvre pour traiter les échantillons. Les tests antigéniques pourraient descendre à 1 € par test s’ils étaient utilisés par plusieurs millions par jour. Tout ceci aurait quand même bien sûr un coût, mais bien moindre que celui de la paralysie économique,  culturelle, éducative, et de recherche du pays. Et même moindre que celui du système de dépistage actuel. Peut être y pensera t on pour la troisième vague si le vaccin se fait attendre.

=Reprendre des tests massifs sur une base géographique après la deuxième vague pour éradiquer la circulation virale silencieuse. Ce qui associé à un contrôle strict aux frontières permet à la Chine d’organiser une grande fête nautique sans masques à Wuhan, berceau de l’épidémie aujourd’hui sans virus. 

Une réflexion sur “Covid19: fiasco technique et stratégique des tests viraux en France

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