Pr Jacques Cohen 28 12 21
Sur les ondes de RCF: @ Lien en attente
Comme toutes les semaines, nous recevons le Professeur Jacques COHEN, dans votre chronique d’actus. Bonjour Jacques !
Bonjour !
Il est un sujet sur toutes les lèvres, le variant Omicron. Et vous, vous voulez nous parler de l’après Omicron.
Oui, parce qu’avec Omicron, on sait ce qu’il va se passer. C’est un variant très contagieux qui va monter très haut et très rapidement. D’ici la fin de la semaine, on aura largement enfoncé tous les records précédents du nombre de contaminations. Il reste un peu d’incertitudes sur la gravité, le nombre de malades ayant besoin de soins et le nombre de malades ayant besoin de soins intensifs. C’est très important pour savoir si le système de santé pourra résister. Mais nous sommes dans une montée de pic entamée sur laquelle plus rien ne peut agir. Donc nous allons avoir un pic à encaisser et après, cela va redescendre, assez vite d’ailleurs. En effet, plus les pics montent vite, plus ils sont étroits, plus ils descendent vite, c’est ce qu’il s’est passé en Afrique du Sud.

Vague dangereuse ou pas en 1913
Mais en Afrique du Sud, on a une grosse question, le variant Omicron a effacé le variant Delta en peu de temps. La grosse question est de savoir s’il est arrivé au bon moment parce que Delta disparaissait ou s’il a été capable d’écraser Delta, et on va voir dans les différents pays dont le nôtre s’il est capable d’écraser Delta. Ce n’est pas seulement une question de course de lettres grecques, il y a un enjeu extrêmement considérable qui est : est-ce que le variant Omicron est un variant « impérialiste » capable d’éradiquer les autres variants ? S’il est capable d’écraser les autres variants, donc de supprimer la circulation de ces variants, il va laisser derrière lui un grand vide. Il peut donc nous donner une chance d’en finir avec cette épidémie.
Nous pouvons imaginer 2 mécanismes qui permettent à un variant de venir à bout des autres : soit lorsqu’il met en place une immunité large qui couvrira les autres variants, ce qui est peu probable puisque nous avons eu jusqu’à présent qu’une immunité temporaire de la part des variants du Sars Cov-2. Mais ce n’est pas totalement exclu, car la largeur de la réactivité croisée des variants n’est pas un phénomène bijectif, ce n’est pas réciproque. On sait que l’immunité contre Alpha, Beta, Delta par exemple ne protège pas contre Omicron, mais il est possible que celle d’Omicron soit plus large dans l’autre sens. On ne le sait pas encore. Je pense qu’on le saura d’ici 15 jours ou 3 semaines avec quelques tests in vitro, là on peut avoir un élément prédictif. Mais si ce n’est pas l’immunité qui éradique, qu’est-ce qui éradique quand un variant est « impérialiste » ? Et bien n’oubliez pas que le virus est tout au plus capable de survivre d’un individu à l’autre, il n’est pas capable de survivre en dehors d’un être vivant. Et quand il entre dans un organisme, la seule pensée ou la principale pensée du virus – si on lui donne une pensée anthropomorphe – c’est « j’ai 10 jours pour trouver un autre hôte, sinon, je suis à la rue! Et à la rue, je suis foutu ». Donc le gros problème du virus est de trouver des hôtes successifs. S’il descend à une fréquence très faible, comme son efficacité n’est pas considérable, il meurt. S’il met quelque temps à passer d’un hôte à un autre, il rate son coup et meurt, ce n’est pas la nuit des morts-vivants où dès qu’il en reste un, il ressuscite, etc. Donc c’est une question très importante: est-ce qu’Omicron va éradiquer les autres variants jusqu’à un niveau permettant d’éteindre l’épidémie ou pas ?
Et est-ce qu’il peut y avoir de nouveaux variants que nous ne connaissons pas aussi ?
Bien sûr ! Mais tous ces nouveaux variants surviennent des anciens lorsqu’ils survivent quelque part. Si l’incidence tombe en dessous du 1 pour 10 millions par exemple, le virus a toutes les chances de se casser la figure. Il ne faut pas croire que les arbres montent jusqu’au ciel ni que les morts vivants ressuscitent toujours. En dessous d’un certain niveau, sauf conditions locales spéciales d’échanges et contamination facilitées, la mécanique de reproduction d’un virus s’enraye et il disparaît. Il faut donc voir si Omicron ramènera l’ensemble des variants du Sars Cov-2 à ce niveau-là ou pas.
Attendez on n’a pas bien compris, un virus cela peut mourir tout seul ? Vous pouvez reprendre votre démonstration pour nos auditeurs ?
La première chose à observer est ce qu’il se passe avec Delta chez nous, mais aussi dans d’autres pays, l’idéal serait de trouver un endroit où Delta est encore en montée, car chez nous, omicron est arrivé à peu près au moment où Delta était arrivé à peu près à son sommet. Nous allons donc avoir du mal à juger s’il est éradiqué facilement ou non. De toute façon, nous avons 2 périodes pour en juger : la période ascendante d’Omicron maintenant, et la descente, c’est-à-dire après Omicron. Nous verrons derrière Omicron qu’elle sera la profondeur du creux, c’est-à-dire jusqu’où la prévalence virale va dégringoler.
S’il reste un niveau viral de reproduction faible qui soit encore à l’échelle du pour 100 000, cela signifie que ça va remonter peu de temps après et que l’on aura en mars/avril, comme d’habitude, un pic. S’il descend en dessous du par million, cela veut dire qu’Omicron fait sérieusement le ménage. Alors un ménage définitif, je ne sais pas encore, mais il aura fait sérieusement le ménage. Puis, nous aurons encore d’autres armes en particulier les médicaments qui sortent puisque le Paxlovid a une réduction de gravité de la maladie et de la diffusion virale qui est considérable, mais dont les comprimés ne sont pas encore disponibles. J’attends avec impatience que l’on puisse disposer de boites de Paxlovid au coin de la rue.
La compétition delta/omicron est très importante pour tenter de prédire l’évolution de la pandémie au delà d’omicron. On a du mal aussi pour une autre raison car voir delta s’effondrer face à omicron dans certains pays, implique de ne pas simplement constater une coïncidence de fin de pic delta. A vaincre sans péril, omicron dans ce cas ne démontre pas son potentiel éradicateur des autres variants. L’idéal d’observation est face à un variant montant ou relativement stable en plateau. Sur le site Covidtracker aujourd’hui, delta ne descend toujours pas. Malheureusement, on ne peut encore en tirer de conclusion car la carte de répartition des variants en France montre une forte disparité géographique, donc que la compétition entre les souches n’a pas encore lieu partout.
On aimerait savoir plus vite, mais de toute façon en fin de pic omicron, qui sera bref vu sa contagiosité, on aura une seconde fenêtre d’observation en regardant la circulation virale résiduelle et ses types.
Un variant peut éradiquer ses congénères et donc l’épidémie de 2 façons, soit par l’immunité qu’il induit mais je crois que pour ce virus il ne faut pas trop rêver ( dommage, cette sale bête échappe largement à ses prédateurs naturels, mes congénères immunologistes ! ), soit par sa pression sur la circulation des autres. Ce virus a très peu de réservoirs latents ( sida non traités, déficits immunitaires… sauf à changer d’espèce ), en 10 J il doit avoir trouvé un nouvel hôte car il ne peut survivre SDF. Compte-tenu de son efficacité de transmission qui est faible, en dessous d’une certaine prévalence, il meurt.
Je sais bien que sur un écran et une courbe, on peut toujours faire repartir une épidémie de quelques cas résiduels, mais en culture c’est déjà moins facile quand on dilue, et dans la vraie vie, ni les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel, ni les morts-vivants ne ressuscitent indéfiniment.
On aura une idée fin janvier pour deviner si omicron va terminer la pandémie, et en avril on sera fixé.
L’après Omicron, on le saura donc prochainement et vous ne manquerez pas d’ailleurs de faire une chronique là-dessus, on va parler des mesures gouvernementales. Quasiment toutes les semaines, il y a des mesures qui sont prises. Votre avis là-dessus ?
Je crois d’abord qu’il y a un principe. Il y a quelque temps – si je puis dire puisque l’épidémie commence à dater – le principe général était « on payera quoique cela coûte ». Actuellement, j’ai l’impression que le principe qui est décidé c’est « on ne fera rien quoiqu’il se passe ». On a pris des mesurettes ou des semblants de mesures en refusant toutes mesures en temps utile qui auraient atténué la montée du pic, qui l’auraient aplati, ce qui aurait permis de prendre moins de risques pour le système de santé. Maintenant, les jeux sont faits, on va voir ce qu’il va se passer. De même pour les confinements ou isolements. On était arrivés à une situation abracadabrantesque avec un isolement de 7 ou 17 jours selon que l’on était malade ou cas contact… Des choses qui ne tenaient pas très bien debout parce que cela évitait la chose la plus sérieuse qui est qu’une fois que l’on isole quelqu’un, on l’isole pour de bon, là, on disait aux gens « vous êtes isolés, vous êtes chez vous, faites attention, ne passez pas votre cuillère à café à votre compagne, etc. ». Tout cela n’a pas une grande efficacité et l’efficacité est encore moindre quand le virus devient très contagieux comme c’est le cas actuellement.
Là, nous allons avoir un pic de prévalence considérable, ce qui est tout à fait gênant pour juger de la contagiosité. Nous allons avoir une impasse de santé sur le fait que si on tenait strictement à isoler tous les sujets contact, tout le monde étant rapidement contact, nous ne pourrions plus qu’isoler toute la population. On en est donc à réduire les temps d’isolement et les gens vont avoir du mal à comprendre qu’on leur a dit qu’il fallait s’isoler longtemps, puis maintenant un peu moins et bientôt plus du tout. Nous allons bientôt arriver à l’isolement du sujet contact avec sursis ( il faudra être contact 2 ou 3 fois ).
Bref, dans un pic épidémique, on ne peut rien faire. Encore une fois, il fallait y penser il y a un mois, lors des premiers prodromes où là, nous aurions pu avoir des mesures qui permettent d’atténuer les choses en aplatissant un peu le pic pour que le système de santé puisse réagir. Maintenant, nous avons décidé que d’une part, on ne voulait plus faire de dégâts économiques, d’autre part que le système de santé tienne ou pas, advienne qui pourra. Et donc, nous allons nous retrouver à devoir assumer les choix qui ont été faits, qui sont des choix non-dits, car on pourra toujours entendre si le système de santé explose, que ce n’est pas ce que nous voulions. Mais on n’a pas agi pour l’éviter de façon sérieuse.
En tous cas, maintenant, c’est fait. À l’avenir, nous aurons l’occasion d’en reparler, à la fois de l’après Omicron pour savoir si c’est le dernier et savoir si les mesurettes ont quand même fait quelque chose.
Comme l’indique la formule de Prévert : « ce qui est fait est fait , même si c’est tout à fait mal fait ».
Merci professeur Jacques COHEN ! On vous retrouve la semaine prochaine ?
À la semaine prochaine et encore une fois, n’oubliez pas qu’Omicron va nous secouer, mais c’est peut-être l’espoir d’en avoir fini !