Chronique du 4 novembre 2022
Sur les ondes de RCF: LIEN
Avec nous aujourd’hui, le professeur Jacques Cohen qui est avec nous. JC, bonsoir.
Bonsoir.
Merci d’être avec nous. Alors c’est vrai que l’on parle toujours dans l’actualité bien sûr de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Alors votre chronique aujourd’hui d’actualité, vous l’avez intitulé « les imprévus de la guerre en Ukraine ». Qu’est-ce que vous entendez par là ?
Et bien la guerre en Ukraine, comme bien souvent les guerres, révèle des choses inattendues ce qui rappelle aussi que les guerres ne se déroulent pas comme les gens, qui l’ont commencée, pensent qu’elles vont se dérouler. Et le principal ou du moins le premier imprévu sur lequel je voudrais insister aujourd’hui est la question des drones. On voit l’Ukraine avoir commandé des drones turcs, des Bayraktar qui sont des drones d’attaque, alors qu’elle reçoit abondamment du matériel ultra moderne et beaucoup plus sophistiqué des États-Unis. Et de l’autre côté, on voit les Russes s’adresser à l’Iran pour récupérer des drones, si j’ose dire, sinon bas de gamme du moins bon marché. Les uns les autres les ont employés d’une façon inattendue.
Parce qu’en fait tout le monde était persuadé que ce genre de petites choses cela pouvait marcher contre les rébellions locales, ce qui a été le cas par exemple dans le Tigré en Éthiopie, cela pouvait marcher éventuellement à l’échelle Arménie/Azerbaïdjan. Mais dès que l’on serait confronté à une armée moderne, ces petits jouets seraient balayés parce qu’ils sont très vulnérables à la DCA standard, ils ne volent pas très vite, ils ne volent pas très haut, etc…, et aussi qu’ils seraient tous archi sensibles aux brouillages. Tous ces machins de quelques catégories que ce soit reposent sur des transmissions radio. Alors il y a plusieurs cas de figure quand même, il faut peut-être expliquer un peu parce que je suppose que vous êtes perdus.
Absolument.
Il y a des sortes de drones très différents les uns des autres. voici un catalogue des drones iraniens, qui si j’ose dire se marchent un peu sur les pieds.

Certains modèles paraissent étranges comme ces modules ailés ( de guidage terminal ? ) accrochés à divers missiles d’allure classique.

Un jet à hélice, c’est un peu comme une voiture à pédale…
C’est vrai qu’il y a plein de drones. Alors cela sert à quoi les drones dans une bataille comme celle-là ?
Alors la première chose c’est que ça sert à regarder et à voir ce qu’il se passe, et à localiser des cibles, il s’agit de drones d’observations. Alors là aussi, ça va d’un engin qui vole à très haute altitude, les Américains font voler juste à ras des eaux territoriales de la Crimée à 50 000 pieds, c’est-à-dire très haut, des drones d’observations, et éventuellement d’observation non seulement optique bien sûr, mais électromagnétique. Cela sert à observer, mais ça va de ces gros machins fort coûteux à des petits jouets qui font 300 grammes qui permettent d’aller regarder derrière le coin de la rue s’il y a un type qui vous attend avec des intentions hostiles. Ça, ce sont les drones d’observations. Entre les deux, il y a ce qui sert couramment, c’est-à-dire des drones d’observations à moyenne altitude et qui ont des caméras et qui renvoient des images. Éventuellement, ils sont interfacés de telle sorte que dans l’image, on ait les coordonnées GPS. C’est important pour déterminer si on clique sur une cible que quelque chose, qui soit programmable avec ces coordonnées, puisse y aller immédiatement sans avoir plus besoin de fonctionnement GPS si l’engin est en automatique, c’est-à-dire s’il fonctionne tout seul pour aller vers le point qui était prévu. Pour les cibles fixes, cela marche bien. Pour les choses mobiles, cela ne marche pas. Pour les cibles mobiles, il faut pouvoir piloter jusqu’au bout et cela pose des problèmes parce que ça peut se piloter à 4 – 5 km avec des transmissions banales, mais au-delà il faut passer par satellite, et là c’est un problème délicat, j’allais dire politique. Parce que les Américains ou les Britanniques donnent des renseignements aux Ukrainiens, mais entre donner des renseignements et utiliser les transmissions satellites pour guider un engin jusqu’à sa cible, c’est un niveau d’implication qui est un peu différent, c’est ce qu’on a vu sur l’affaire des drones marins et aériens attaquant Sébastopol, il n’y a pas tellement longtemps, où les Russes ont mis en garde les Britanniques parce qu’il semble que ce soient eux qui soient le bras armé occidental si j’ose dire.
De plus, on pensait effectivement que toutes les communications GPS ou radios seraient balayées par les brouillages d’une armée moderne, mais ça c’est vrai sur quelques kilomètres, ce n’est pas vrai quand il y a 1 000 km de front. Et en plus, indépendamment de la taille, si j’ose dire du front, brouiller les communications satellites s’avère paradoxalement beaucoup plus difficile. On peut les localiser, ce qui veut dire que l’on peut taper dessus, mais on ne peut pas les brouiller si facilement. Et quand il s’agit de flotte de satellites, la question de les détruire un à un parait hors de portée. Ce qui est hélas une chose tout à fait possible comme escalade un jour où l’autre, c’est une explosion à rayons X d’un satellite qui va donner une impulsion électromagnétique qui va détruire toute une flotte de satellites à basse altitude. Parce qu’en fait, cela peut tenter les Russes qui n’ont pas de flottes de satellites à basse altitude.
Question du néophyte JC, vraiment du néophyte. Est-ce que les drones sont utilisés de part et d’autre.
Tout à fait. Il est d’ailleurs assez amusant de voir que pour les drones, non pas seulement d’observations, mais d’attaques, ceux-là qui envoient des projectiles, que ce soit le Bayraktar ou un des drones iraniens, ils ont le même moteur autrichien qu’ils se procurent, on ne sait pas trop comment, de part et d’autre. Parce qu’officiellement la marque Rotax ne veut pas vendre de moteur pour faire la guerre. Mais donc cela se ressemble beaucoup et tout le monde les emploie.
Alors le paradoxe, je vous interromps encore. C’est que l’on parle souvent d’armes nucléaires, de choses extrêmement sophistiquées, mais il semblait pour le commun des mortels que le drone était une technologie qui n’était finalement pas très chère. Est-ce que c’est exact ?
Cela dépend quand même, il peut y avoir des drones très chers, mais si j’ose dire, la gamme est large et il peut y avoir des drones très bon marché. Il faut d’ailleurs distinguer les drones d’observation qui ne font que regarder, mais qui désignent les cibles. Les drones d’attaques qui envoient des projectiles, alors là, il y a un problème de poids, parce que les drones sont des choses légères, on ne peut pas leur faire porter des tonnes d’explosifs ou de quoi que ce soit. Cependant, avec une charge creuse des projectiles modernes, on peut avoir un projectile qui perfore un char, mais s’il tombe à un mètre du char, il ne lui fait ni chaud ni froid. C’est par exemple la situation des Bayraktar turcs et de leur équivalent iranien. Alors d’autres drones sont des drones kamikazes, c’est-à-dire qui se suicident sur leurs cibles. Donc il y a deux façons encore de le faire, on peut aller sur une cible prédéfinie, et là quel que soit le brouillage, il arrivera jusqu’au bout parce qu’il a juste une centrale inertielle, à moins qu’il ne soit abattu bien sûr. Et il y a ceux qui vont être pilotés jusqu’au bout, par rapport à des cibles mobiles c’est la seule solution, et là, le problème est celui de la qualité du brouillage ou de la destruction. Alors justement, les Russes ont employé, c’est un peu surréaliste, toute une série de drones kamikazes iraniens qui ne sont finalement pas très pratiques parce qu’ils portent 50 kilos d’explosif à peu près, c’est-à-dire deux obus. Pour détruire une cible fixe, c’est pas mal pour un char, c’est même largement plus que ce qu’il faut. Il existe pourtant d’autres modèles deux fois plus petits et plus discrets. Pour détruire un transformateur, un bâtiment, etc., c’est un peu léger, donc il semble que les Russes aient aussi acheté la taille au-dessus. Seulement, la taille au-dessus cela commence à être un gros engin, en plus cela à l’air d’une caricature parce que l’engin manifestement a une aérodynamique pour voler vite avec un réacteur ou une fusée, et on lui a mis un moteur Rotax, comme un ULM, derrière lui, et donc il doit voler lentement, il est gros, et va être très vulnérable sauf les nuits sans lune, il va être très vulnérable à la DCA conventionnelle. Il faut se rappeler d’ailleurs que des choses élémentaires comme la question de la lune comptent toujours, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais l’attaque de Sébastopol a eu lieu par une nuit sans lune, c’est quand même une très vieille prudence pour des assaillants. Sans doute déjà employé par les Gaulois pour attaquer le Capitole à Rome. Mais là le système de détection sans visibilité qui a marché ce sont les oies!!
JC, une question qui n’a plus bien sûr de rapport avec le conflit Ukraine, Russie. On imagine que dans l’armée française puisque le Président de la République va s’exprimer le 9 novembre prochain sur le nouveau plan d’organisation militaire. La France dans son armée détient forcément pas mal de drones.
Le forcément est peut-être de trop parce qu’on n’en détient semble-t-il pas tant que ça. Après je ne suis pas dans le secret ni des dieux ni des galonnés. Nous avons une sale manie comme ont eu la plupart des occidentaux qui est de développer à la fois des engins très sophistiqués, je dirais trop sophistiqués, et à chaque fois un appareil complètement nouveau parce que c’est pour un contrat, donc on refait tout de A à Z, alors que l’on a pu voir que, par exemple, la Russie qui est beaucoup moins portée au culte de l’obsolescence réutilise des modules qui quelques fois ont 50 ou 60 ans. Alors les commentateurs occidentaux s’en gaussent, mais c’est une très bonne technique : du moment que cela marche, il n’y a pas de raisons de les jeter. C’est un peu comme ceux qui ne jettent pas leur machine à laver parce qu’elle n’a pas le dernier programme.
Merci en tout cas, Jacques Cohen, d’avoir été avec nous aujourd’hui. Si vous le voulez bien, on se retrouve la semaine prochaine avec un petit décalage puisque vous savez que vendredi c’est le 11 novembre, on diffusera sans doute votre émission à un autre moment. Mais en tout cas merci d’avoir été avec nous, et puis bonne semaine. Au revoir.
Merci, merci à très bientôt.
À bientôt.