Le Covid-19 est il un rasoir à trois lames ?

JHM COHEN 27/03/2020

Si l’échelle de l’épidémie dans notre pays peut désormais être grossièrement prédite à partir de l’expérience italienne, sa cinétique, comme son homogénéité ou au contraire l’hétérogénéité territoriale de l’épidémie en France ne peuvent être prédites. Faute de données. Il n’est hélas pas étonnant que l’annonce d’un état de guerre ait conduit à reprendre les mauvaises habitudes de mai et juin 40 de ne plus publier de données détaillées et de mauvaises nouvelles pour ne pas affoler la population.

Spanish-Flu-mortality-from-the-1918-and-1919-influenza-pandemic-Source-National-Museum

La courbe en pointillé gras est la plus informative

Il est d’ailleurs étonnant que cette décision du 26 mars n’ait soulevé aucune réaction, même sur les réseaux sociaux trop passionnés par la discussion métaphysique autour du Plaquenil. Comme aucun recueil des données des ephad, lieu probable de la plus forte mortalité n’avait été prévu, il sera très difficile, si la situation perdure, d’avoir un avis sur la levée du confinement ou sa différenciation géographique. Le contraste est grand avec l’Italie ou le site  « epicentro » fournit d’amples données.

Pas une grippe mais quand même…

Nous pouvons néanmoins étudier la cinétique de l’épidémie, le ou plutôt les effets du confinement, et les suites de la vague principale, à la lumière non seulement de données théoriques, mais de l’analogie avec la grippe de 1918-1919. L’épidémie de Covid ne lui est pas comparable en terme de mortalité. Parmi les 2 millions de soldats US, cette grippe avait tué plus de 60 000 personnes, quand 52 000 soldats US sont morts au combat. Dans leur tranche d’âge, le covid n’aurait pas tué plus de 20 personnes !

En terme de contagiosité en revanche, les deux virus sont comparables. Le coefficient de diffusion ( nombre de contaminés par cas index ) Ro de cette grippe était de 1.8. Celle du covid serait entre 1.5 et 2.5 avec un point pour l’instant le plus probable de 2.2.

La combinaison diabolique létalité/contagiosité de la grippe « espagnole » n’est heureusement pas réalisée par le covid, un peu plus contagieux, mais nettement moins mortel.

tableau des grippes et taux de barrière

Un rasoir à trois lames.

Le pic de l’épidémie de grippe fut suivi de rebonds puis d’une résurgence majeure. Pour le comprendre, il faut aborder deux notions, une naturelle l’immunité de barrière ou de troupeau, l’autre artificielle l’effet des mesures humaines de barrage. Confinement, généralisé ou sélectif dont le bouclage d’une zone autour d’un foyer,  masques et distanciation, dépistage et mise à l’écart des contaminés. Remarquons tout de suite que cette dernière mesure n’a pu être pratiquée en 1918-1919 et que nous n’avons donc pas d’éléments historiques fermes à son sujet.

Si l’on prend l’exemple de Paris ou de Londres, il y a eu en 1918-1919  un pic bref et spectaculaire, tuant d’ailleurs préférentiellement des hommes jeunes  par  une détresse respiratoire aiguë en 3 à 4 jours, deux rebonds, puis une seconde vague à base plus large, dont la mortalité chez des sujets plus âgés à pris la forme de pneumopathies surinfectées ( souvent par un pneumocoque ) tuant en une à deux semaines.

L’immunité de barrière

Il est facile de comprendre que si tout le monde a fait la maladie, qu’elle confère l’immunité, le virus ne peut plus se répandre. Le virus est en fait paralysé bien avant et il existe deux niveaux de barrière, la première capable de briser l’expansion d’une vague épidémique, la seconde empêchant le virus de circuler, même de façon sporadique.

Selon la valeur de Ro, ces deux barrières se confondent presque au dessus de 90% de la population pour la rougeole qui a un Ro de 15, ou sont assez éloignées pour une grippe et notre covid dont le pic devrait cesser à une immunité de cohorte ( herd immunity en anglais ) d’un quart à un tiers au plus de la population. L’immunité d’éradication se situant elle autour des deux tiers de la population. C’est dire l’importance des formes inapparentes.

Les confinements

Mais alors à quoi servent les mesures de confinement si elles n’influent pas sur les bornes de l’épidémie ??!!

Aucun confinement n’est en fait total conduisant à une population indemne, en quelque sorte sortie du frigo, pour être à nouveau confrontée au virus la guettant à la sortie.

Covid-19-Transmission-graphic-01

Cette illustration de la réduction de diffusion fait aussi comprendre en creux que si chaque branche évitée et en fait contaminée par une autre source, l’efficacité du confinement s’effondre.

 

En fait, l’efficacité dépend de la prévalence virale à l’installation du confinement. Tout d’abord si cette prévalence est faible le confinement, faisant passer le Ro en dessous de 1, aboutit à l’avortement de l’épidémie et à son extinction. C’est ce qui s’est passé hors du Hubei dans tous les foyers secondaires chinois qui ont été pris à temps. Et à Nouvelle Rochelle aux USA, grâce à un confinement de type « home arrest », un testing abondant et le bouclage total de la ville instauré dès les premiers cas.

Malheureusement à l’autre extrême, lorsque le nombre de contaminants est déjà assez haut pour qu’il y en ait dans chacune des cellules virtuelles du confinement, celui-ci n’a aucun effet.

Entre les deux, le confinement « aplanit le pic ». C’est dire que le pic moins haut mais à base plus large, peut être plus facilement géré par le système de santé. Alors que le nombre de contaminés ne sera en rien changé par le confinement. Sauf de petits isolats quantitativement marginaux. Nous reviendrons dans un prochain sujet, sur les conséquences que cela devrait avoir sur la stratégie thérapeutique et l’importance des soins à domicile. Et nous ne reviendrons pas ici sur les autre causes possibles de bonne surprise et d’effondrement de l’épidémie, déjà traitées dans un sujet précédent, car il ne faut pas compter ou plutôt parier sur elles.

Une prévision ?

La situation française pourrait évoluer vers quelques zones d’avortement épidémique et une grande partie du pays confronté au contraire à une épidémie durable de pics désynchronisés. Ou à une fusion en pic général aplati sous l’effet du confinement.

La compréhension de la population ( et les explications qui lui sont données ) du confinement « protecteur individuel » risquent de faire tomber de haut si l’étalement du pic conduit à un supplice chinois de contaminations qui s’égrèneraient goutte à goutte interminablement sur de longues semaines.

Que faire contre les secondes et troisième lames ?

Pour la seconde lame ou rebonds, il faut disposer de capacités de détection des cas abondantes et instantanées, accompagnées de mesures strictes de quarantaine des sujets contacts et confinement des contaminés. Si les technologies digitales de suivi peuvent contribuer, le bouclage immédiat des foyers restera la plus solide barrière.

Pour la troisième vague, c’est à dire les récidives automnales ou printanières, les mêmes méthodes devront être mises en oeuvre, mais nécessiteront des moyens de tests considérables testant rapidement et à plusieurs reprise toute la population pour confiner quiconque ne sera pas déjà immunisé, et dépister tout porteur.  (Par des méthodes de type puces à très haute intégration à la façon des séquençages NGS probablement ).

Mais en fait le remède le plus efficace contre la troisième lame, sera le vaccin. Qu’on peut espérer pour l’été 2021.

2 réflexions sur “Le Covid-19 est il un rasoir à trois lames ?

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