Chronique du 05 février 2021
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Jacques COHEN, bonjour.
Bonjour.
Jacques, aujourd’hui vous voulez nous parler de nouveau de la Covid-19, mais cette fois des mesures non pharmaceutiques, c’est-à-dire JC ?
Le terme mesure non pharmaceutique, c’est le terme général NPI utilisé par les Américains pour désigner tout ce qui n’est pas traitement, mais ce qui recouvre toutes les mesures sociales. Cela va donc du masque au confinement en passant par la diminution des transports en commun ou des choses comme cela. Et c’est un point très important, parce que nous avons en France une discussion assez restreinte et très focalisée qui est « on confine, on ne confine pas ». Et quand on ne confine pas, on confine quand même parce qu’on réduit considérablement la diversité sociale des contacts et il y a des retentissements en tout genre, dont des retentissements psychologiques majeurs comme on le voit à la longue. Alors il faut voir aussi à chaque fois pour chaque mesure si le jeu en vaut la chandelle d’une part. Et d’autre part si elle est appliquée au bon moment ou pas. Je vous dis tout de suite que j’approuve le fait de ne pas s’être lancé à l’aveuglette dans un nouveau confinement national à un moment qui ne me parait pas opportun pour cela, mais on reverra peut-être la chose dans l’une de vos questions.
Alors, commençons par voir quelles sont les mesures, dont la quarantaine, c’est-à-dire l’isolement des malades. C’est une mesure très ancienne. L’isolement de leurs sujets contacts également et cela a été pratiqué pendant tout le Moyen-âge, surtout pour les voyages par bateau. Cela ne marche pas à tous les coups, mais c’est une mesure ancestrale, si j’ose dire.
L’autre mesure ancestrale, c’est la fragmentation de la population. C’est le départ à la campagne et par petits groupes isolés dans de petits villages pour éviter les épidémies dans les villes. C’est d’ailleurs ce qui nous a donné comme thème le Décaméron de Boccace. Ce groupe de jeunes gens et jeunes filles qui s’est isolé à la campagne a fui la peste en ville, on l’a oublié en quelque sorte.
Ensuite, on a la résurrection de ces mesures avec quelque chose qui était très classique dans les épidémies de grippe ou même dans d’autres épidémies, c’est de fermer les écoles en période d’épidémie passant par les enfants.
Et on a ensuite des confinements. Les confinements c’est quelque chose qui intuitivement parait très efficace, mais qui en pratique doit être regardé de façon différente. D’abord parce que dans les confinements il y a plusieurs niveaux. Le confinement chinois ou asiatique, c’est-à-dire quelque chose de sérieux où tous les deux jours seulement on peut sortir pour aller au magasin désigné sur son smartphone de telle heure à telle heure, cela a une efficacité très différente de nos confinements mous, ce qui fait que les confinements mous ont beaucoup d’inconvénients pour peu de bénéfice manifestement.
Je vais prendre un exemple, si vous avez un rassemblement de 1 000 personnes et vous avez une diffusion du virus à partir de ce rassemblement, on a des situations qui se sont produites de cet ordre et de cette échelle, si vous avez une personne dedans le virus va se répandre. Si vous divisez cette population de 1 000 en 10 populations de 100, votre contaminateur va se retrouver isolé dans une seule cellule, donc cela va diminuer la capacité de transmission. Mais, si vous avez, non pas un contaminant sur 1000, mais 1 %, vous en retrouvez dans toutes les cellules, dans vos 10 groupes. Et comme les groupes sont plus petits, la diffusion va être accélérée, c’est-à-dire qu’on peut avoir un effet paradoxal du confinement en quelque sorte en laissant mûrir entre eux ou vivre entre eux des petits groupes de populations en contact plus étroit que d’habitude. Donc, cela aussi, c’est un aspect qu’il faut regarder.
Autre aspect des confinements, c’est à quelle phase de l’épidémie et quelle est alors leur efficacité. Car dans les épidémies il y a plusieurs formes et on le voit bien de nos jours, puisque beaucoup de gens attendent le pic alors qu’il y a une épidémie qui n’est pas en pic. Il y a une épidémie en plateau avec de la houle, des petites vagues et qui peut durer d’ailleurs plus longtemps qu’une épidémie en pic, mais qui au moins à un avantage, elle ne sature pas les réanimations.
Le confinement n’a pas d’efficacité au sommet des pics, parce que les pics c’est un moment, comme je vous l’ai déjà dit, où le criquet devient sauterelle. Il s’agit de l’apparition des vols de sauterelles et les vols de sauterelles c’est quelque chose qui dévaste tout. Avant c’est une petite bestiole verte dans les prés qui mange quelques feuilles, mais c’est tout. Et brutalement cela devient un nuage qui dévaste tout le pays, où d’ailleurs chaque individu a changé de forme et de couleur par rapport à la forme sporadique. Et bien, les pics épidémiques c’est un peu cela ! C’est un changement de comportement de l’épidémie et là il n’y a pas grand-chose qui marche pendant les deux-trois semaines où cela dure. Mais là actuellement, nous ne sommes pas confrontés à cela, nous sommes confrontés à une épidémie qui est en plateau et vagues, avec certes quelques endroits où il y a eu des pics. Où il y a même eu des pics qu’on aurait dû confiner dès leur émergence à Perpignan ou à Nice par exemple. On ne l’a pas fait, on n’a pas isolé ces zones, ce qui me parait une grosse erreur en raisonnant sur une épidémie nationale alors qu’elle est très différenciée. Mais dans le reste du pays, on a une épidémie rampante significative et si on renforce le confinement on va créer des dégâts, non seulement économiques, mais psychologiques et sociaux considérables, parce que l’idée de le faire pour 15 jours 3 semaines ce n’est pas possible.
Quand vous voyez par exemple à Mulhouse, zone la plus atteinte en première vague, que l’épidémie actuelle n’a pas donné en octobre de deuxième pic, mais une montée lente. Et cette montée lente qui a duré plus de 2 mois et demi vient seulement d’arriver à son maximum et de commencer à plafonner. Donc on peut prévoir, comme la redescente est toujours un peu plus lente, qu’il y en a encore là-bas pour 3 à 4 mois. Va-t-on confiner 3 à 4 mois ? C’est quelque chose d’insoluble et il ne faut pas raisonner uniquement comme cela.

Stock d’hospitalisés à Mulhouse. Aucun pic en octobre novembre. maximum atteint fin janvier après 3 mois de montée lente….
Vous savez que moi je plaide pour une vie sociale restaurée basée sur des tests massifs comme les Français l’ont fait pour Noël. Les Français se sont débrouillés pour faire 1 million et demi de tests en plus que d’habitude pour pouvoir rencontrer leurs familles à Noël, et il n’y a pas eu de pic. Et je crois qu’on peut multiplier cela très largement si on se donne la logistique de tests nécessaire.
Et qu’au plus nous pourrons tester, au plus nous pourrons non pas réduire, mais restaurer la vie sociale. Et dans cette vie sociale, nous avons aussi d’autres choses bien sûr que la métaphysique du confinement, nous avons les grands rassemblements, nous avons les transports en commun qui par exemple en Suède ont été considérablement réduits d’emblée de façon à éviter les contacts. Parce que la contamination pour ce virus est de surcroit un peu bizarre. C’est à la fois un virus aérien et un virus des mains sales – parce qu’il est aussi présent dans le tube digestif et les selles – Pour ce virus bizarre, réduire les contacts c’est le plus important. Alors, réduire les contacts c’est efficace, mais c’est aussi efficace pour ruiner le moral, parce que cela conduit à l’isolement social. Quand les choses durent c’est quelque chose qui devient difficile à supporter. On fait attention à ne pas aller rencontrer les amis qu’on voit de temps en temps, parce qu’on veut ne rien leur apporter ni rien prendre d’eux, mais à la longue cela réduit considérablement l’horizon autour des gens. Et c’est un aspect qu’il faut prendre en compte en dehors de la discussion qu’on voit sur les conséquences économiques. Il n’y a pas que l’économie dans la vie et la vie est aussi psychique. C’est quand même la moindre des choses de considérer cela aussi et cela a été sous-estimé, parce que cela ne se met en chiffres, ou sinon cela finira dans les chiffres des suicides. Mais c’est quand même quelque chose de très important. Les mesures sociales sont une chose, les bonnes habitudes en sont une autre. Dans les bonnes habitudes bien sûr il y a le masque, il y a le lavage des mains, non seulement régulier, périodique, sans arrêt. Dès qu’on touche quelque chose que quelqu’un d’autre peut toucher, il faut se laver les mains, 10 fois, 20 fois ou 30 fois par jour. Et le faire immédiatement, parce que sinon les mains salies vont toucher d’autres choses et ainsi de suite. C’est un aspect qui n’est pas assez souligné, c’est pour cela que j’en parle aujourd’hui.
Finalement JC, avant de se quitter. Ce qu’il faut faire c’est appliquer les mesures que l’on nous répète sans cesse à la télé, à la radio, via des spots pub, il faut respecter les gestes barrières, se laver les mains, ce genre de choses.
Absolument! il faut absolument respecter les gestes barrières, mais nous devrions mettre en place une civilisation des tests barrières si nous voulons rouvrir notre activité sociale et professionnelle. La technologie existe, on devrait la développer et disposer de tests rapides génomiques sensibles pour pouvoir surveiller les lieux d’éducation, les entreprises, ou pour aller même simplement aux concerts. Il faut simplement décider que tout le monde doit avoir été testé le matin même, s’il veut aller à un concert le soir, au cinéma ou au restaurant. A condition de se donner les moyens de réaliser ces tests par millions chaque jour.
Eh bien, merci JC de nous avoir éclairé ce vendredi sur les mesures non pharmaceutiques, comme disent nos amis américains traduits dans un bon français, à très bientôt JC.
À bientôt.