JHM COHEN 7 2 21
La prédiction épidémique se différentie de la météorologie en ce sens que le long terme est raisonnablement prévisible tandis que le court terme tient de la divination surdéterminée par des préjugés de caste, de lieux communs, culturels, idéologiques ou politiques. Qui a osé dire qu’un pic post Nouvel An 2020 n’était pas obligatoire ?
Deux points de vue différents conduisent assez souvent à des conclusions très divergentes, celui des épidémiologistes modélisateurs et celui des immunologistes et virologistes infectiologues.
Modélisateurs et comparateurs
Le point faible du raisonnement modélisateur est que tout modèle est forcément réductionniste, ne pouvant prendre en compte tous les paramètres dont le battement d’aile d’un papillon à l’autre bout de la terre. Il se double d’un effet tunnel lié au pouvoir hypnotique des chiffres et de leur avatar moderne, les courbes sur écran. On peut toujours après un pic épidémique, trouver des coefficients qui permettent à une courbe d’y coller parfaitement. Malheureusement, ce beau modèle sera pris en défaut à la poussée épidémique suivante où le petit jeu devra recommencer. Les modélisateurs tentent de s’approprier le talisman de leurs cousins, chartistes financiers: la prophétie auto-réalisatrice en terrorisant les décideurs politiques. N Ferguson avait lors de la première vague prédit 800 000 morts au Royaume Uni et en France. La taille plus modeste du bilan fut attribuée par les modélisateurs à l’effet des mesures prises sur leurs sages conseils. En évitant de remarquer que les 250 000 morts prédits pour la Suède manquaient au rdv malgré l’insensibilité des décideurs de ce pays aux conseils de l’Imperial College. Tout cela avait conduit A Minc, pas trop nul en math comme Ingénieur des Mines et qui sait compter comme habitué des montages financiers, à déclarer qu’il croyait jusque là que l’épidémiologie était une science dure mais qu’il révisait son jugement, non pas jusqu’à en faire une science molle, mais une science mollassonne.

Exemple de corrections qui permettent de finir l’épidémie avec une courbe collant parfaitement avec la réalité passée. Pour le futur, les options d’un épidémiologiste sans préjugés sont assez larges….
Les Immunologistes et les virologues comparateurs se fondent sur la comparaison de l’épidémie en différents pays ou différentes vagues et de ce que l’on sait du passé et de l’espèce virale considérée. Critiqués comme plus fatalistes car ils savent après Charles Nicolle qu’une épidémie se modifie sans cesse sous les yeux de qui l’observe, et « qu’il faut se méfier même de la raison, de la logique…. » ( cf en annexe ). Ils n’en sont pas moins parfois alarmistes comme lors de la menace de grippe H1N1, mais moins souvent que les modélisateurs.
En décrivant les deux espèces, il faut néanmoins se rappeler qu’il ne s’agit pas de lignées pures et qu’il y a des mutants partout, comme C. Hill par exemple chez les épidémiologistes.
Le variant britannique et les variants en général
La thèse des modélisateurs tels qu’A Fontanet est que le variant britannique ayant un avantage prolifératif sur la souche classique va la remplacer en France d’ici le 1er mars et du fait de sa contagiosité accrue déterminer un pic majeur tel qu’au Royaume Uni.
Les objections à ce raisonnement à mon avis réducteur sont que ce variant n’échappant pas au vaccin, n’échappe pas à l’immunité acquise et qu’il est donc confronté chez nous aux mêmes obstacles que la souche sauvage. Il pourra donc aller un plus loin, un peu plus haut. Il pourra rehausser le plateau ou conduire à une bosse. Mais l’emballement en pic épidémique, « en nuage de sauterelles » semant la désolation et la mort est très peu probable. Le Royaume Uni et d’ailleurs l’Espagne ont récemment présenté un pic aigu. Mais ils avaient été peu frappés en octobre novembre au contraire de l’Italie et de notre pays qui ont été ensuite engagé dans une longue période plateau bosselé d’une houle variable selon les régions. Comment expliquer que le variant britannique plus présent en Ile de France qu’ailleurs dans notre pays, n’y a pas encore déterminé de pic aigu quand ceux-ci sont survenus à St Etienne, à Perpignan et à Nice ? ( les courbes utiles pour s’en persuader, sont disponibles jusqu’à l’échelle des départements ici et là. ).

Nombre d’hospitalisés par pays. Non normalisé par million d’habitants mais les hauteurs relatives des pics d’un même pays sont bien visibles
Le variant britannique ne peut changer la donne comme le feraient ou le feront des variants atteignant le stade de divergence de nouvelles souches. Capables d’infecter des gens guéris ou vaccinés, non protégés contre elles.
Des variants par dizaines
Lorsque la période faste du Far West et de la ruée vers l’Ouest se termine pour un virus, qu’il rencontre des difficultés, la sélection de variants est habituelle. Leur détection et leur filiation ne peut se baser avec certitude que sur des séquences complètes suffisamment nombreuses car un même changement d’acide aminé à une ou deux positions du spike peut être aisément sélectionnée à de nombreuses reprises à des endroits différents du globe par convergence adaptative. Ce qui d’ailleurs fait penser que le variant britannique et ses 23 mutations « simultanées » est allé faire un tour dans une espèce animale avant de nous revenir. Il peut d’ailleurs encore changer et le fait par hyper-mutations.
Le devenir d’un variant
Un variant doit d’abord avoir une contagiosité supérieure à celle de la souche de base. Et on peut prédire in-silico des variants capables de lier le récepteur du spike 600 fois mieux que le modèle d’origine. Mais il doit aussi pour s’imposer, garder ou acquérir et surtout ne pas perdre des éléments de survie comme sa résistance à la sécheresse, une plage de tolérance thermique, d’autres éléments d’adaptation à l’hôte… Pour un potentiel épidémique, il ne doit pas trop tuer, car les morts ou les alités contaminent moins leurs semblables que les virus plus bénins. Ce qui n’exclut pas des variants plus mortels conduisant sporadiquement à un pic local. Ou à une pandémie si ce variant a aussi une capacité de diffusion sur la planète. Faut il rappeler que le sars-cov de Hong-Kong n’a donné qu’un pic asiatique avant de disparaître. Que le MERS venu du chameau, reste sporadique en Arabie saoudite, mais n’a jamais pu se répandre sur la planète malgré les brassages de population du pèlerinage de la Mecque. Nous ne savons pas encore si l’un des variants brésiliens deviendra COD21 ou 22 ou s’il ne pourra quitter l’Amazonie. Ou si un autre variant ou le bon plaisir adaptatif du virus créeront à un endroit un pic renouvelant la pandémie. La pierre de touche étant qu’un variant significatif doit être capable de ré-infecter des malades guéris de la première souche. Ce qui semble le cas des variants amazoniens et sud-Africains.
L’extinction de l’épidémie par un variant bénin est elle un rêve inconséquent ?
Deux exemples plaident pour une telle évolution: 1) la gastro-entérite porcine transmissible (GET) à coronavirus endémique et préoccupante pour les élevages dans années 70 à 90, a disparu brutalement remplacée par une souche respiratoire bénigne qui en a dérivé. 2) le coronavirus humain OV43, responsable de rhinites bénignes de l’enfant, mais parfois aussi de l’adulte, et quelquefois de pneumopathies plus graves chez le sujet fragile, semble s’être introduit dans notre espèce récemment avec une horloge phylogénique conduisant à 1890 où son prototype bien plus agressif pour nous, peut avoir été confondu avec la grande épidémie de grippe de 89-90. Mais il ne semble pas avoir donné d’épidémie massive et grave au delà.
Faut il attendre un miracle ?
Il ne faut pas se limiter à prier pour que les dieux des porcs passent la recette aux nôtres ! Ni prendre notre malheur en patience en attendant que le virus se calme tout seul !!
Il faut continuer à limiter l’épidémie par les mesures de distanciation, dont les tests barrière, et la vaccination.
Vaccins d’aujourd’hui et de demain
En un temps record sont sortis des vaccins d’urgence ayant donné une chance à des méthodologies récusées pour de la vaccinologie traditionnelle. Mais acceptables en contexte d’urgence. Cependant, lorsqu’il faudra prévoir des re vaccinations, soit pour efficacité trop courte, soit pour couvrir des variants, les adenovirus seront hors course car une fois une immunité obtenue contre le virus vecteur, ils deviendront inefficaces. Les vaccins à ARN, si leur formulation ne change pas, vont se heurter à la montée de leurs effets secondaires à un niveau rédhibitoire à mesure du nombre d’injections. Les vaccins basés sur des spike recombinants s’ils peuvent être rendus assez immunogènes, vont revenir au premier plan, et surtout les vaccins virus entier inactivés modèle polio 1953 vont être vite indispensables car on peut espérer que la protection qu’ils confèrent ne dépende pas uniquement des anticorps anti spike. Ces deux catégories de vaccins inertes peuvent être administrés, convenablement adjuvantés, aussi souvent que nécessaire.
Les vaccins actuels contribueront ils à l’émergence de mutants?
Probablement. Mais pas plus que l’immunité acquise naturellement. Au stade de protection très partielle de la population et pour des vaccins qui ne bloquent pas totalement la circulation virale intrinsèquement faute d’immunité muqueuse, il y aura certainement une pression en faveur des variants. Ruinant l’illusion d’une vaccination unique éradicatrice pour solde de tout compte. D’autant qu’une protection mondiale est encore moins proche que celle de notre population européenne ! Mais cette campagne vaccinale conduira déjà à une grande victoire. En sachant qu’il restera bien des choses à faire pour gagner la guerre contre le Sars-cov2 sans nous endormir sur ces lauriers.
Ensuite, si la leçon a porté. Et si le retour des jours heureux ne fait pas trop oublier les malheurs actuels, il faudra mettre en place des systèmes d’alerte, des stocks stratégiques, sachant que les épidémies sont inévitables depuis que les êtres pluri-cellulaires cohabitent avec des agents infectieux, se rendent service mutuellement dans leur évolution. Mais parfois se querellent avec plaies et bosses…..épidémiques !
Charles Nicolle in « Destin des maladies infectieuses » 1932: » Il faudrait, pour qu’il en soit autrement, que la vie fût logique. Nous savons qu’elle ne l’est pas. Elle est aveugle. Où mettre une intelligence, une raison dans ce qui n’est qu’effet des circonstances ? La vie ne connaît pas la raison. Elle ne cherche que les possibilités de se transmettre. Elle en essaye autant qu’elle en rencontre. Nous avons dit qu’elle allait le plus souvent à des échecs. Nous n’en pouvons rien connaître. Nous ne voyons que les réussites. C’est pourquoi la nature nous paraît intelligente.«
« Grâce au raisonnement, nous pouvons grouper des faits isolés, estimer les lacunes, nous donner des aperçus d’ensemble, préparer par conséquent d’autres conquêtes. Pour les réaliser, ne comptons par sur lui. La raison va terre à terre. S’il s’agit d’un bond en avant, d’une véritable découverte dans le domaine que nous explorons ici, c’est l’imagination, l’intuition qui nous le donneront.«
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