Une « grande Sécu » plus ou moins grande …

Chronique du 26 novembre 2021

Sur les ondes de RCF: Lien

On retrouve avec nous par téléphone, le professeur Jacques Cohen. Jacques, bonjour.

Bonjour.

JC, avant de s’intéresser à ce qui pourrait se passer du côté d’une grande ou d’une petite sécu. L’actualité c’est tout de même, cette semaine, les nouvelles mesures qui ont été prises par le gouvernement pour essayer d’enrailler l’épidémie de Covid-19 et cette 5ème vague qui touche l’Europe et notamment la France. JC, quel est votre regard sur ces mesures qui ont été annoncées jeudi par les membres du gouvernement, notamment Olivier VERAN et Jean-Michel BLANQUER ?

Il faudrait une longue chronique pour détailler l’appréciation de ces mesures. On peut simplement résumer en disant que tout cela concerne la prochaine vague, c’est-à-dire celle éventuellement de février-mars-avril prochain. Des mesures qui doivent prendre effet au 15  janvier n’auront aucun effet bien sûr sur la vague actuelle, c’est pour cela que ça me donne une semaine pour vous parler de la grande sécu plutôt que du détail de ces mesures dont on verra au fur et à mesure comment elles seront modifiées, en particulier concernant les tests ou concernant l’extension de la sévérité du pass parce que pour l’instant cela ne va pas faire grand-chose à l’épidémie.

Et bien, puisque vous voulez patienter un peu avant de parler de ces mesures, parlons de la grande sécu comme vous le souhaitez. Grande ou petite sécu, JC, donnez-nous un peu le contexte, expliquez-nous le paysage en quelque sorte.

Le paysage français a une grande originalité, c’est que nous avons un système à 2 caisses, une caisse qui est la sécu et une seconde caisse pour chacun, de ce que l’on appelle, pour simplifier, les mutuelles. En fait, il vaudrait mieux parler d’assurances complémentaires, car la plupart des mutuelles sont maintenant contrôlées par les compagnies d’assurance, mais c’est une autre affaire. La plupart des pays ont une caisse, soit une caisse publique, soit une caisse privée. Cette caisse privée, par exemple en Allemagne ou en Israël, est dépendante de structures syndicales pour ce qui est de leurs origines. Nous, nous avons un double système que nous avons encore complexifié dans les dernières années parce qu’il y a tout un courant en France qui souhaite en quelque sorte l’Obamacare. L’Obamacare est une avancée aux États-Unis, mais serait une grande régression en France.

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Perseverare Shadokicum….

De quoi s’agit-il ? La sécu serait réduite à la maladie catastrophique, en clair aux gros pépins et tout le reste passe sous la houlette des complémentaires. Mais ces complémentaires en plus, malheureusement, elles sont chez nous une situation assez calamiteuse sur plusieurs plans. Déjà, elles trichent ou plutôt ni la sécu ni le gouvernement ne se sont donnés les moyens de surveiller ce qu’elles font. C’est-à-dire qu’elles sont censées ne pas sélectionner les risques, elles le font, elles sont censées ne pas bouger leurs tarifs, elles le font, elles sont censées rembourser ce qu’elles doivent, elles ne le font pas toujours très bien, leurs réticences sont légendaires. Et en plus, elles augmentent leurs tarifs quand elles ne sont pas censées le faire. Et pour couronner le tout, ce qui est encore bien plus grave, elles coûtent très cher. Pour donner un ordre de grandeur, elles ne manipulent qu’un peu moins de 40 milliards dont 8 qui s’évaporent, qui ne sont pas rendus aux souscripteurs, dont près de 3 ou 4 s’évaporent dans la pub pour se faire la guerre entre elles. Il faut remarquer au passage aussi que la pub consiste finalement à acheter des espaces dans l’audiovisuel, donc cela permet aussi de financer la façon de contrôler telle ou telle presse par ses recettes publicitaires. C’est un système qui n’est pas totalement anodin. Et donc, de longue date, par exemple la Cour des comptes, qui n’est pas composée majoritairement de gauchistes romantiques, a constaté que ce système est ridicule, qu’il coûte une fortune et que les mutuelles françaises, du moins les complémentaires françaises, représentent un échec. Alors on a essayé de les réformer, on les a réformés sous la forme de demander des complémentaires obligatoires et de les appuyer sur des accords d’entreprise. Et c’est extrêmement inégalitaire parce que les entreprises florissantes donnent de bons accords, les autres ne peuvent pas. Et il reste laissés pour compte, d’abord tous les pauvres et ensuite les retraités auxquels ces complémentaires demandent des tarifs énormes qui sont entre 100 et 200 € par mois. Et quand ce sont des retraités qui ont 1 000 ou 1 200 € au total de ressources, vous voyez que c’est non seulement inégalitaire, mais insupportable.

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Faire payer par la Sécurité Sociale les assurances complémentaires des plus démunis pour qu’elles leur remboursent ce que la Sécurité sociale ne couvre pas.

Alors on a été jusqu’à inventer un système directement inspiré par le professeur Shadoko, vous savez celui des Shadoks, on a demandé à la sécu de payer les gens les plus pauvres pour qu’ils puissent prendre une complémentaire destinée à rembourser ce que la sécu ne payait pas, donc, vous voyez, un système totalement circulaire et délirant. On n’y touche pas parce qu’il y a un gros non-dit – j’arrive vous voyez à la grande sécu – si on étend la sécu pour qu’elle couvre tout ce qui est utile, et bien, il faudra augmenter les prélèvements obligatoires, c’est-à-dire la CSG ou quelque chose comme ça. Tandis que pour l’instant les éléments complémentaires sont dans les dépenses contraintes et pas dans les prélèvements sociaux, donc on change le taux global de prélèvements sociaux en France que l’on a mis sous le tapis pour l’instant. Alors vous allez me dire qu’au point de vue finances, économie pour de vrai, cela ne fait aucune différence, ce qui est tout à fait exact, mais d’un point de vue affichage cela change. Et donc la valeur de la signature de la France pour ces emprunts, etc. ne serait plus tout à fait la même et ainsi de suite.

Si on ajoute à cela la bataille politique sur réduire ou augmenter la taille de la sécu et l’attitude des différents partis politiques. Certains sont extrêmement dépendants des compagnies d’assurance, en particulier, on peut quand même dire qu’AXA est le mentor d’un certain nombre de politiciens chez les républicains, et bien, on voit qu’il s’agit d’un sujet explosif. C’est aussi un sujet, c’est amusant, qui est un clivage entre la droite et l’extrême droite.

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un pompage inégalitaire…

Oui, j’allais dire JC, c’est vrai qu’il y a forcément des conséquences au point de vue politique, on se déchire un peu de part et d’autre.

Exactement. Donc je vous disais déjà, l’extrême droite a un réflexe centralisateur, tandis que la droite traditionnelle a un réflexe de morcellement et d’accepter des complémentaires qui couvrent plus ou moins bien. Pour le reste de l’échiquier, la situation est extrêmement variable. Le principe général pour la gauche est de dire qu’il ne faudrait qu’une seule grande sécu, mais immédiatement, on dit que cela va coûter cher et que donc, si elle était un peu moins grande ce serait peut-être possible. Il y a même parmi les propositions quelque chose d’assez surréaliste qui est de faire une complémentaire d’état, c’est-à-dire d’avoir la sécu d’un côté et une autre complémentaire d’état qui permettrait à tous ceux qui ne sont pas dans les complémentaires à hautes cotisations d’avoir quelque chose d’égalitaire. C’est-à-dire de ne pas avoir ce que je vous ai dit sur la punition des vieux et des pauvres, mais cette complémentaire d’état ressemble comme un clone en modèle réduit à une forme homothétique de sécu. On ne voit pas très bien pourquoi faire cela, si ce n’est que de la maintenir en dehors de la sécu et de la financer d’ailleurs sur de l’argent public par une ficelle quelconque de telle sorte que cela n’apparaisse pas dans les prélèvements sociaux. Tout cela est bien sûr impossible ou du moins une quadrature du cercle, et donc généralement on considère qu’il est urgent d’attendre. Là, on a une surprise, c’est que Olivier VERAN lance la chose en période préélectorale, ce qui est finalement assez astucieux parce que c’est la période où on peut vendre la lune pour 75 centimes, parce que l’on peut annoncer une grande sécu sans trop se préoccuper de son coût puisqu’elle rentre simplement dans les promesses préélectorales et les Français savent d’ailleurs que, de toute façon, elles seront remisées le lendemain de l’élection. Et par rapport aux républicains c’est assez astucieux, parce que leurs mentors, si l’on peut dire, ou leurs sponsors des complémentaires et des compagnies d’assurance ne vont pas apprécier du tout et ils vont les obliger à annoncer qu’eux feront le contraire, il faut une plus petite sécu et des complémentaires florissantes. Il s’agit donc d’un bon axe de clivage choisi par VERAN. Ensuite le problème est que comme il n’a pas les moyens de financer une vraie grande sécu, je ne suis pas très sûr que ce sujet aille loin ces temps-ci. Mais il faut rappeler, qu’effectivement, nous avons un système de santé de remboursement qui marche sur la tête et qui de réformette en réformette est de plus en plus inégalitaire ce qui est vraiment dommage alors que l’épidémie actuelle – vous voyez que j’y reviens Alexis – nous a donné la preuve que le système basé sur la sécu peut avoir une efficacité et peut prendre en charge, y compris des événements exceptionnels avec des conditions qui sont tout à fait satisfaisantes, il faut le dire.

Et bien, un grand merci, Jacques Cohen, de nous avoir éclairés sur cette grande ou petite sécu avec les avantages et les inconvénients pour chacun d’entre nous. À très bientôt, JC.

À bientôt.

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