Suppression du Numerus Clausus en Médecine. Naïveté ou machiavélisme ?

Chronique du vendredi 7 septembre 2018

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Jacques Cohen est avec nous aujourd’hui, Jacques Cohen bonjour !

Bonjour.

Alors, c’est vrai que dans l’actualité, on a parlé d’une question qui concerne, en cette période de rentrée, la médecine. Alors, ce n’est peut-être pas vrai pour l’année 2018, ce n’est peut-être qu’un projet, mais on a entendu parler de la fin du numerus clausus en médecine.

C’est une chose qui existe depuis des années, il faut rappeler aux auditeurs que le numerus clausus est un nombre d’étudiants. Ce nombre d’étudiants, il ne faut pas le dépasser à la fin de la 1re année, il y a énormément de candidats, 1 000, 1 200 parfois, beaucoup d’étudiants et que très peu d’élus, 200 élus. Donc ça se bouscule en médecine.

Et alors, j’ai entendu dire que tout ça pouvait exploser. De quoi s’agit-il exactement, déjà au niveau du projet ?

Numerus clausus effectivement est un terme pudique pour dire « concours », mais je ne vois d’ailleurs pas pourquoi on n’emploierait pas le terme correct de « concours ». Et bien, c’est un serpent de mer.

Mais les serpents de mer existent. Il y en a en Australie et ils sont même venimeux et toxiques. De temps en temps, on finit par en rencontrer un pour de vrai !

Alors, celui-là, il part de quelque chose de soit naïf soit très machiavélique. On entend un récit, j’allais dire biblique, non, non, non ! Un récit idyllique, irénique, qui dit que les étudiants perdent leur temps pour la plupart. Que ceux qui échouent, c’est une sélection par l’échec, que c’est une honte ! Que les étudiants seraient bien plus décontractés s’il n’y avait pas ce concours.  Ils apprendraient paisiblement, et puis à la fin, ils seront médecins. Le seul problème c’est que si nous n’avons aucun système de filtre à l’entrée, il faut envisager des filtres à la sortie, et alors là cela existe dans certains pays.

Mais c’est peut-être encore pire parce que si on filtre à la sortie, tous ceux qui ont fait leurs années d’études, on les laisse sur le quai de la gare !

Voilà ! Il y a des pays où ça se fait, et à ce moment-là, les gens ne s’inscrivent pas n’importe comment à l’entrée parce qu’ils savent que le portillon final sera fermé. En Allemagne, vous ne pouvez pas avoir de spécialiste en ville, vous devez, pour être spécialiste, avoir un poste hospitalier, s’il n’y a pas de poste vous ne pouvez pas exercer comme spécialiste. De plus, les postes de chef de clinique sont à la tête du client, c’est eux qui vont déterminer les spécialistes. Les généralistes ne s’installent pas non plus comme comme ils veulent, et ainsi de suite…

Donc, dans certains pays, il est admis qu’il puisse y avoir des barrières à la fin, et puis, il y a des pays où, quand il y a des barrières à la fin, on saute par-dessus, on passe par-dessous, on pousse les murs ! C’est le cas, par exemple, de l’Italie qui a ouvert largement. Il y a plein de médecins qui sortent en Italie qui ne peuvent pas travailler, et donc ils vont ailleurs ou ils font autre chose. Et donc, ce système de réguler à la fin, on nous dit que non, on a quand même compris que cela serait difficile.  Alors on régulera peut-être en 3e année, après une licence.

Il faut savoir aussi qu’il y a des pays, par exemple aux États-Unis et au Canada, où l’on recrute après l’équivalent de la licence, mais c’est une licence de science indifférenciée, ce n’est pas un cursus particulier pour ceux qui seront médecins. Donc, pourquoi ne peut-on pas faire ça ? Parce que chez nous, il y a très peu de débouchés aux licences de science en biologie, on n’a pas le nombre de start-up, l’industrie dynamique, et la recherche médicale des États-Unis. Alors, si on fait une sélection « réorientation » à la fin des 3 ans, on va faire des infirmiers qui auront fait 3 ans plus 3 ans plus 1 an, qui feront 7 ans, c’est complètement déraisonnable ! Actuellement, effectivement, des gens perdent du temps quand ils tentent leur chance  2 ou surtout 3 fois. Je pense d’ailleurs que ce n’est pas raisonnable, on devrait interdire le triplement purement et simplement. Mais avec un concours en fin de licence c’est 3 ans pour tous soit pour les recalés une année perdue de plus pour la plupart.

Mais Jacques Cohen, je vous interromps parce que dans l’opinion c’est la question du néophyte. Dans l’opinion, cela va faire plaisir aux parents parce qu’ils se font du souci. Il y en a qui veulent que leur enfant fasse médecine et ils se disent « mon fils est tout à fait capable, mais avec 2 ans il n’y arrivera jamais ». Deuxièmement, on entend dire partout que l’on manque de médecin, en particulier dans les campagnes, donc on se dit qu’il faut bien recruter. Alors, où est le vrai ou est le faux, Jacques Cohen ?

Bien sûr que les mères seront contentes de mettre leurs gamins en médecine, seulement tout dépend de ce qu’il y a à la sortie !

boulgakov

L’auteur du Maître et Marguerite était aussi médecin.

Pour ce qui est du nombre de médecins, il faut quand même savoir que la restriction du numerus clausus est passée il y a plus de 20 ans, près de 25 ans, qu’elle est finie depuis 20 ans, et qu’il n’y a jamais eu autant de médecins par 100 000 habitants !

Ce n’est pas ce que l’on entend dans l’opinion !

Non, mais ce n’est pas seulement ce que l’on entend, mais ce que l’on ressent parce qu’effectivement, il y a 10 000 généralistes en moins, il y en avait un peu plus de 90 000 et il n’y en a plus que 80 000 et quelques. Ce qui veut dire que l’orientation, qui est théoriquement impérative, comporte des transmutations étranges qui permettent que des spécialités ne soient pas dans les proportions que l’on avait imaginées au départ.  Les commissions d’adéquation régionale, je ne rentre pas dans les détails, expliquent comment on peut avoir ce genre de mutations, mais je vous le raconterai une autre fois. Et puis, pour les généralistes, on voit d’une part des gens qui font des sous-spécialités ou des petites choses et ne veulent plus faire autre chose c’est à dire soigner de façon généraliste. Et puis on en voit des tas qui font des pratiques de charlatans, de l’homéopathie à l’acupuncture en passant par le blanc des yeux…

Boulgakov Morphine

Le versant incorrect et impubliable à l’époque des aventures d’un jeune interne à la campagne..

On ne va pas se faire que des amis là, Jacques !

J’ai beaucoup d’amis ici, j’ai beaucoup d’amis ! Mais seule la vérité est mon amie !

Et ensuite, il y a un autre problème qui est que de nombreux médecins, qui ont fait médecine, ne veulent pas soigner. On aurait pu s’en rendre compte avant, ils auraient pu s’en rendre compte avant. Mais il se trouve que la société française à cette douceur ou cette bienveillance que pour ceux qui ne veulent pas soigner, on finit par créer des postes en tout genre, de vigilant de ceci, de surveillant de cela, d’épidémio d’une autre chose, de bureaucrate administratif dans les ARS… vous savez que les ARS, par exemple celle de Grand est.

Les agences régionales de santé…

L’agence régionale de santé qui a été créée sans supprimer un seul poste au Ministère centralement. L’agence régionale comporte un millier de personnes, elles ne sont pas toutes médecins, mais un millier de personnes, pour la région Est, cela me parait quand même quelque chose d’imposant, je ne crois pas que la structuration régionale d’Auchan emploie autant de monde !

Donc, ça veut dire qu’il y a des idées reçues, et puis les médecins ne sont peut-être pas au bon endroit. Vous avez parlé des médecins généralistes, il n’y en a pas assez quand même, Jacques ! Il n’y en a pas assez !

Bien évidemment ! Tant qu’on laisse d’une part les gens s’évaporer vers ce qu’ils ont envie de faire, sans aucune contrainte, même temporaire.

Je suis partisan d’un concours fonctionnaire à l’entrée, dès la 1re année, et bien payé, mais avec des contraintes à la sortie sur les spécialités faites et sur X années, alors ça peut être 5, ça peut être 10, à faire selon les besoins de la nation et pas là où on a le plus envie. Mais en ayant été, pendant toutes ses études, convenablement payé dès la 1re année. C’est tout à fait possible de faire une école professionnelle, rémunérée correctement. Ce qui est à l’inverse de ce qui se prépare. Parce qu’à quoi va-t-on assister si cette réforme se fait ? Et bien, certaines facs vont jouer l’excellence, elles vont réduire leur nombre d’étudiants. D’autres, mal classées, et j’ose à peine me rappeler que c’est le cas ici dans tous les classements des universités ou des hôpitaux. Dans le classement du Point, Reims est l’avant-dernier CHU. Et bien ceux-là ont tout intérêt à ce moment-là à faire la retape en ouvrant largement, comme ça, ils auront du monde ! Mais à la sortie, ce ne sera pas exactement les mêmes médecins, et les compagnies d’assurance attendent cela pour enfin pouvoir dire qu’elles ont envie de créer leurs propres conventions où elles recruteront les gens qu’elles veulent et pas les autres, et non plus la convention générale telle qu’elle existe aujourd’hui.

Alors, une question, Jacques, encore une fois… peut-être de fond, mais qui se pose non seulement sur cette question des médecins, mais souvent sur beaucoup d’autres questions. On a l’impression, dans la société d’aujourd’hui, qu’on lance dans l’opinion des ballons d’essai parce que tout ce dont nous parlons n’est pas acté, il n’y a pas de date pour lancer une vraie réforme du numerus clausus. Mais est-ce que cela va avoir lieu d’après vous ? Et comment ?

Il est annoncé que l’annonce aura lieu le 18 septembre, ce n’est quand même pas très loin.

Ah oui, donc très très proche !

Mais il n’est pas annoncé exactement selon quelles modalités. La seule chose que l’on dit c’est qu’il n’y aura plus de concours en 1re année. Est-ce que l’on en aura un autre au bout de 3 ans ? Est-ce qu’il y aura un renforcement du concours de sortie, l’internat ? Qui est devenu l’examen de classement national, où ça classe peut-être, mais où tout le monde est reçu. Est-ce qu’ainsi on reviendrait à un concours d’internat ? Tout cela n’est pas du tout expliqué, et de toute façon la réalité c’est que si le concours de 1re année disparaît, dans un système français, les autres choses, en aval, seront emportées par le flot.

Donc, cela veut dire que l’on attend le 18 septembre ?

On peut l’attendre, mais on peut déjà manifester la plus grande inquiétude et commencer à dire à quoi conduiraient les lubies de Monsieur Olivier VERAN.

Une réflexion sur “Suppression du Numerus Clausus en Médecine. Naïveté ou machiavélisme ?

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