JHM COHEN 14 Juillet 2020
La courte vie de quelques mois d’épidémie du Sars-Cov2 a déjà comporté de nombreuses surprises dont il faut tirer les leçons pour envisager la suite de l’épidémie et quelle politique pour y faire face. D’autant que la préparation de moyens et la flexibilité de leur mise en oeuvre semblent bien plus importantes que l’annonce de plans auxquels il ne manque ni un test ni un bouton de guêtre… sur le papier.
Nous allons voir aujourd’hui une revue de quelques surprises du virus.
Un petit frère au caractère bien différent
La séquence du sars cov2 a très vite montré qu’il était proche de 2 virus récents ayant produit deux épidémies: le SARS de Hong Kong dont l’épidémie fut quasi un pic unique en Chine et en Corée, et le MESR d’Arabie, qui n’en est jamais sorti sous forme de pandémie malgré l’opportunité du pèlerinage de la Mecque. La forte mortalité initiale en décembre 2019 du SArs-Cov2 faisait penser à un virus récent dans notre espèce, instable et vraisemblablement trop mortel pour être très contagieux. En moins d’un mois, la souche initiale a été effacée par un variant plus contagieux et moins mortel qui a trouvé un compromis de diffusion vers une pandémie.
L’origine du virus reste mystérieuse, il ne s’agit pas d’un circuit simple du fond d’un virus de chauve-souris vers l’homme via un seul hôte intermédiaire. Il faut imaginer plusieurs va et vient dont des coronavirus humains ou adaptés à l’homme. Et sans doute un ou des protovirus dans plusieurs espèces dont la nôtre.
La surprise des succès chinois
L’annonce d’un confinement sévère du foyer initial après quelques semaines de flottement a déclenché, en occident, un scepticisme général sur son efficacité. Il fut même théorisé et mis en courbes savantes, le retard d’un ou deux cycles viraux au plus qu’il devait fournir. D’autant que des foyers secondaires étaient déjà décelés. Lorsque l’efficacité du confinement chinois sur la vingtaine de foyers secondaires s’est imposée, l’hypothèse la plus vraisemblable était que le virus était instable et incapable d’un grand nombre de passage chez son nouvel hôte humain. Situation bien connue pour d’autres virus dont la carrière fut éphémère. La suite a démenti cette hypothèse logique.
Un virus sauterelle
En fait, nous avons depuis pu constater un comportement très différent du virus en phase sporadique et en phase de pic épidémique, a l’instar du criquet pèlerin devenant nuage de sauterelles, en changeant de comportement et même de couleur et de morphologie.
Lorsqu’il n’atteint qu’une faible prévalence, le virus peut être éradiqué par le confinement même limité à quelques fermetures critiques, la distanciation sociale et surtout la mise à l’écart des porteurs dépistés de façon intensive. En phase exponentielle, le confinement au contraire peut devenir contre productif s’il augmente la promiscuité de certaines populations. Et le virus de toute façon n’en fait qu’a sa tête et ne pousse pourtant pas jusqu’au ciel malgré les prédictions de certains épidémiologistes numérisateurs voire numérologues. Et pourtant le pic s’interrompt bien avant l »immunisation de la population susceptible d’éradiquer le virus pour des raisons que nous ne comprenons pas réellement pour l’instant.
La double sélectivité de la mortalité.
Le virus peut ainsi tuer de 80 à….. 1800 personnes par million d’habitants, de Wuhan à New York ou en Lombardie avec des moyennes nationales spectaculairement différentes, d’un facteur 3 entre la France et l’Allemagne, du fait d’une politique plus énergique et mieux anticipée chez nos voisins, ne laissant pas le virus atteindre la densité virale ayant conduit à des pics épidémiques dans plusieurs régions françaises.
La sélectivité des cibles de la mortalité virale est ici stupéfiante et très inhabituelle. Aucun autre virus ne tue spécifiquement les obèses diabétiques hypertendus et les vieux, en négligeant par exemple, les cancéreux sous chimiothérapies, avec le caprice de frapper lourdement les patients traités par du méthotrexate. Une mortalité s’étendant sur presque 1000 fois pourrait changer considérablement en bien ou en mal pour un changement viral minime. Conduisant à un rhume mineur ou à un véritable tueur.
La transmission virale: gouttelettes, aérosol, surfaces et mains sales.
Si la transmission principale habituelle des coronavirus respiratoires par gouttelettes est bien retrouvée, plusieurs modes de contamination inhabituels ont été constatés. Sans que l’importance épidémiologique de chacun de ces modes ne soit franchement établi. Le virus est présent dans les selles et semble bien pouvoir être transmis par les mains sales ou des surfaces contaminées, dont la plus originale serait du saumon congelé en Norvège et vendu à Pékin.
Parmi les transmissions aériennes, le rôle des aérosols plutôt que des gouttelettes est démontré. Les rassemblements en milieu clos ayant donné lieu à des foyers épidémiques semblent avoir fait l’objet de ce mécanisme.
Le paradoxe des masques
A noter que les masques qui semblent efficaces dans les pays d’Asie, ont un effet limité sur les aérosols, s’effondrant après à peine quelques heures d’usage pour les masques chirurgicaux dits FFP1.
Il est étrange de les voir proposer aujourd’hui en France comme talisman généralisé après les avoir dénigrés. Succédané contra-phobique quand nous sommes incapables d’une politique d’étouffement des foyers de résurgence et encore plus de campagnes d’éradication focalisées dont la fenêtre d’opportunité semble se resserrer voire se fermer. Si les masques sont des compléments efficaces des politiques d’éradication basées sur les dépistages, leur usage de fait isolé en France va nous renseigner sur les limites de leur vertu.
L’hétérogénéité de la contagion
L’autre bizarrerie de la transmission du sars-cov2 est son hétérogénéité individuelle, très importante, mettant en évidence des sujets super-contaminateurs, souvent asymptomatiques, excréteurs durables, dont le virus n’a aucune particularité d’après le suivi d’aval des sujets qu’ils ont contaminés qui ne deviennent pas pour autant super contaminateurs eux-même. On sait qu’in-vitro ce virus mute beaucoup, l’essentiel de sa production n’étant rapidement plus contagieuse de sujet à sujet. Quoiqu’in-vivo une propagation infectieuse de cellule en cellule sans passage extérieur soit probable. Mais au contraire le contingent viral contagieux ne présente que peu de mutations de passage en passage chez des sujets successifs.
Les éradicateurs durs et mous
Les éradicateurs durs sont les pays qui tentent non seulement de juguler les pics épidémiques, mais d’éradiquer la circulation virale, y compris et surtout silencieuse, avec une tolérance zéro. Leurs outils sont les tests de dépistage viral la mise à l’écart des porteurs et la quatorzaine de leurs sujets contacts. Ces pays filtrent ensuite étroitement leurs frontières pour éviter toute importation virale. Les limitations des échanges économiques qui en résultent accroissent notablement la facture déjà importante des confinements et tests. Les éradicateurs durs sont situés en Asie. Le pays occidental le plus proche de cette politique serait Israël.
La plupart des pays occidentaux se situent dans une politique qu’on peut qualifier d’éradication molle. En effet, même si la cueillette des cas et de leurs sujets contacts est inégale, nulle part, le confinement n’est ou n’a été maintenu jusqu’à la disparition des cas cliniques. Et surtout, aucune éradication de la circulation virale souterraine n’a été tentée.
Interférence vaccinale, médicamenteuse, ou… virale
Si comme tout le laisse présager, le virus n’a pas la bonté d’âme de disparaître tout seul, si aucun autre virus épidémique ne vient lui faire barrage par mécanisme d’interférence, et si aucun vaccin ou médicament ne vient perturber l’histoire naturelle du virus, ce virus devrait parcourir à plusieurs reprises la planète pendant encore un ou deux ans. Aussi longtemps que l’immunité de la population n’atteindra ni le niveau de barrière anti-épidémique, ni a fortiori le niveau d’éradication virale.
Il est probable que la population se lassera des quarantaines, restrictions sociales et d’activités économiques. A la fois parce que les sujets à faible risque souhaiteront vivre normalement et parce que la crise économique délibérée si elle dure les privera des moyens de vivre, l’état providence ne pouvant continuer à assurer une économie de prodigalité publique. Une économie inverse d’une économie de guerre en quelque sorte mais par les mêmes recettes. Les premières manifestations en ce sens ont eu lieu cette semaine en Israël.
Immunité de barrière et immunité d’éradication
Pour un virus très contagieux comme la rougeole, ces deux seuils sont proches, de 92% et 98% respectivement. Pour le sars-cov2, sa contagiosité prédit une barrière contre les pics épidémiques entre le 1/4 et 1/3 de la population et une immunité d’éradication de l’ordre des 2/3.
La protection des vieux
La tentation est grande de penser qu’on pourrait protéger les vieux en les privant de contacts extérieurs. Outre les effets secondaires moraux et cognitifs de tels enfermements, leur efficacité est illusoire comme l’exemple suédois l’a montré: si le virus circule chez les jeunes, ils vont finir par le passer aux vieux, Sauf si une politique de tests rapides était mise en place avec des sas d’entrée en zone « vieux ».

Un pic incontrôlé après un premier épisode bien maîtrisé
De la même façon, que la protection sélective de la population saoudienne » de souche » n’a pas résisté à la contamination de leurs ouvriers et personnel de maison philippins, ou que le « bon élève » Costa-Ricien après une très bonne gestion du premier pic, n’a pu juguler l’invasion virale apportée par les réfugiés et migrants illégaux du Nicaragua.
Le contre courant suédois.
La Suède a fait le choix de laisser circuler le virus vers l’immunité de groupe en se contentant de mesures d’aplatissement de la courbe pour permettre à leur système de santé de gérer le flux de patients sans être submergé. La mortalité suédoise est pour l’instant globalement très supérieure à celle des pays voisins, et un peu supérieure à la nôtre. Les suédois pensent que l’épidémie s’éteindra bien plus tôt chez eux qu’ailleurs et qu’ils ont en quelque sorte payé d’avance. Si rien ne permet de trancher pour l’instant sur ce point, on peut en revanche noter que leur espoir de moindre impact économique a été déçu, car la crise des pays avec lesquels ils échangent s’est immédiatement répercutée chez eux.
La situation suédois est en revanche très importante à observer pour étudier les immunités de groupe. Nécessaires à la prédiction du niveau de couverture indispensable pour un vaccin. Les données de ces derniers jours montrant, après un début en même temps que la nôtre et un long plateau, une fin abrupte de l’épidémie en Suède, sans grande traînée sont très importantes à suivre car elles font espérer que l’immunité de barrière y soit atteinte.

Une fin d’épidémie abrupte sans traînée en Suède ?
Aplatir la courbe ou la négativer ?
Les politiques locales incohérentes des différents états des USA avec les rebonds sévères qu’on y constate, semblent avoir oublié qu’aplatir la courbe ne fait que retarder le problème s’il n’y est pas associé de politique éradicatrice. Dès que la prévalence virale lui évite sa disparition pure et simple, le virus en phase post épidémique récupère son potentiel de la phase pré-épidémique et ne peut que re-partir de plus belle à la première occasion.
Comment tout cela peut il finir !! Les deux mondes peuvent ils coexister longtemps ?
La césure virale ne peut que s’accroître entre les deux mondes, celui des éradicateurs et les autres. Mais l’interdépendance économique mondiale, rend peu probable que le monde éradicateur puisse retrouver force et vigueur aussi longtemps que ses clients seront en crise.
Encore une fois Charles Nicolle avait raison: « La connaissance des maladies infectieuses enseigne aux hommes qu’ils sont frères et solidaires. Nous sommes frères parce que le même danger nous menace, solidaires parce que la contagion nous vient le plus souvent de nos semblables ».