Vaccins anti covid. Ceux qui courent en tête ont ils mordu les bordures des chicanes?

JHM Cohen

Chronique du 27 novembre 2020

Sur les ondes de RCFhttps://rcf.fr/embed/2522242

 

Avec nous par téléphone le vendredi, on retrouve le professeur Jacques COHEN pour sa chronique d’actualité, Jacques COHEN bonjour.

Bonjour.

JC, aujourd’hui on va s’intéresser au vaccin anti-COVID, JC déjà, d’une façon globale la situation générale, où en est-on de ces vaccins, parce que le Président de la République française c’est adressé aux Français mardi soir, et il a dit peut-être que fin décembre, début janvier on pourra se faire vacciner en France. Alors, quel est votre point de vue sur cette situation ?

Si on peut le dire avec une image course de vélo, il y a un peloton de presque 150 inscrits, et il y a des échappés qui sont en tête. Le problème de ces échappés, c’est qu’ils ne respectent pas forcément totalement les règles du jeu, ils coupent les virages (comme on dit), là où ce n’est pas permis. En course à pied ils quitteraient leur couloir pour celui du voisin. Ou en Formule 1 ils auraient coupé les bordures des chicanes. Et tout ceci aboutit à prendre quelques risques. Alors on peut très bien choisir d’admettre ces risques et de dire que la situation est grave et qu’on admet un certain nombre de problèmes éventuels, parce que le coût-bénéfice sera satisfaisant. Mais sur l’impression que le vaccin est la solution sans risque, il y a un grand danger à se précipiter sur ces premiers vaccins.

tube froid

Les conditions de conservation d’un vaccin sont essentielles.

Les premiers vaccins sont d’abord les vaccins ARN. Ils vont très vite parce que c’est facile à produire. Mais c’est une solution totalement nouvelle. On n’a aucun recul de leur toxicité ou pas chez l’homme, de même que de la durée des anticorps et de la protection qu’ils confèrent. De plus ces deux vaccins ont dans leurs essais un critère pour constater ceux qui sont malades ou pas malades, qui est uniquement clinique. C’est-à-dire si les gens disent « oui, j’ai attrapé quelque chose », à ce moment-là on les considère comme malades, s’ils ne disent rien on ne les considère pas comme malades. Ils ne font pas de tests systématiques toutes les semaines comme le font la quasi-totalité de leurs concurrents. Ce sont des gens qui courent plus vite certes, mais ils sont plus légers pour courir, un peu moins chargés de scrupules et de précautions.

La seule chose sûre, c’est la diminution des formes graves dans le groupe vacciné. Moderna indique qu’on ne peut savoir quelle sera la durée de la protection ni si ce vaccin diminue ou pas la circulation virale. Concernant les effets secondaires, il faut rappeler que l’ARN est par lui-même pro-inflammatoire et même qu’il a été proposé en traitement de certaines maladies où il agit comme inducteur d’interféron.. ou comme adjuvant pour d’autres vaccins. On n’a d’ailleurs pas eu de groupe contrôle immunisé avec un ARN non relaté au Sars-Cov2 pour savoir si ce vaccin agit spécifiquement sur le virus Sars-Cov2 ou par l’induction d’interféron. On sait aussi que la régulation de la production d’interféron n’est pas identique chez tous les individus et que certains pourraient être susceptibles à des maladies par dérèglement de cette production. Quoiqu’il en soit sur le plan théorique, le seul juge sera clinique et dans 4 à 5 mois, lorsque le suivi des vaccinés sera passé du labo producteur à toute la communauté médicale, on sera fixé sur les effets secondaires éventuels. D’ici là….

Un choix gouvernemental de vaccination dès que possible

Le gouvernement français s’en est exclusivement remis à préconiser les 2 vaccins ARN arrivés en tête. Le coq gaulois en quelque sorte met tous ses œufs dans le même panier. Au moins jusqu’à juin 2021. Le gouvernement britannique n’a pas fait le même choix et compte disposer dès la fin du premier trimestre 2021 de 3 types différents de vaccins. L’un est même commandé à une firme française pour laquelle une usine a été construite au Royaume Uni. Car c’est le seul fabricant occidental de vaccin à virus entier inactivé. Solution préconisée par les chinois qui en distribuent dès maintenant hors de leurs frontières au Maroc par exemple. Et nous en vendraient pour peu qu’on le leur demande….

L’autre vaccin qui court en tête est un vaccin avec un adénovirus de singe, qui est un vaccin recombinant, où on a fait exprimer au vecteur des antigènes du COVID. Celui-là aussi il a quelques ennuis. Parce qu’il travaille sur 3 sites à la fois dans différents pays, ils ont eu des résultats incohérents pour certains sites et pour certaines doses où il y avait une erreur de dose. Donc là ce troisième vaccin, je crois qu’il va avoir du mal à continuer à courir en tête. Il y a d’autres vaccins basés sur des adenovirus qui figurent également dans le peloton de tête comme le vaccin russe Sputnik. Mais les risques d’effets secondaires et leurs soucis de stabilité d’un vaccin vivant ne sont pas encore suffisamment explorés. 

Là j’ai parlé des vaccins qui courent en tête en occident, parce qu’il faut rappeler que le vaccin chinois qui est le plus sûr ou du moins celui le plus éprouvé, et qui est la copie du vaccin antipolio des années 50, est diffusé largement en Chine par deux firmes et ils commencent à exporter. La vaccination doit commencer, par exemple, pas loin de chez nous au Maroc ces jours-ci. Et nous avons une boite française qui fabrique un vaccin du même genre, mais ce sont les Anglais qui l’ont acheté, et je n’ai pas entendu dans les annonces gouvernementales que l’on prévoyait une part de marché en France pour ce vaccin qui à tout prendre, me parait plus sûr que les deux autres Moderna et Pfizer retenus par le gouvernement français. En France, il y a Sanofi qui est l’un des trois grands des vaccins et qui s’est donc allié avec un autre grand, ce sont les n°2 et 3 des vaccins, Sanofi et GSK, pour faire un vaccin qui sera prêt en juin pour une diffusion mondiale, ils savent faire, etc. C’est un autre procédé que ceux des vaccins qui courent en tête, que l’on a jamais employé chez l’homme. Il s’agit d’un vaccin sub-unitaire protéique recombinant.

Pour les politiques, comme la situation est calamiteuse en termes de catastrophe économique, le raisonnement c’est de dire, « on ne sait pas très bien, mais on prend ceux qui arrivent en tête ». On a pré-réservé beaucoup de doses des vaccins qui courent en tête.

Et je ne voudrais pas être à leur place, parce que ou tout se passe bien et c’est merveilleux, mais s’il y a des incidents, cela va donner un essor prodigieux à tous les adversaires des vaccins. Vous savez bien que je suis un partisan de très longue date des vaccins comme immunologiste. Je n’ai absolument pas changé d’avis. Je voudrais que soit nous ne prenions pas de risque, soit nous annoncions si nous prenons ces risques. C’est-à-dire que la population soit prévenue que la situation demande peut-être de prendre des risques, mais qu’on ne fasse pas l’impasse en infantilisant les gens, en leur disant « le vaccin est la bonne solution », ce qui est vrai, « les risques, il n’y en pas », ce qui n’est pas vrai.

Sur les vaccins qui courent en tête, il y a des risques. Des risques d’inefficacité comme pour le lot raté du vaccin adenovirus d’AstraZeneca ou des risques de complications. Pour l’instant on ne sait pas. Là je suis en quelque sorte ennuyé, car je suis un partisan des vaccins et je ne voudrais pas qu’on ruine le crédit dans les vaccins en général en ayant été un peu trop vite avec un vaccin en particulier.

JC, on a le sentiment qu’on se retrouve quelque part dans une course entre les différents laboratoires, alors finalement, vaut-il mieux être le premier à sortir un vaccin ou être placé avec un vaccin plus fiable ?

Je ne sais pas ! En tout cas, ceux qui courent en tête pensent que les États sont obligés d’en passer par eux. Que les États sont obligés d’assumer les risques de dommages et intérêts éventuellement au civil. S’il y a des ennuis, ils veulent des garanties que ce ne sera pas eux qui payeront.

Ils pensent aussi qu’une fois arrivés en tête, même si cela marche plus ou moins que d’autres, le premier occupant d’un marché a toujours de bonnes chances de s’y défendre avec une deuxième version. Alors, ça, c’est un raisonnement qui est celui de ceux qui ont choisi de faire du sprint, il y a des lièvres. Et puis côté tortue, les deux grands que sont GSK et Sanofi, contrairement à un autre grand qui est Pfizer, mais comme un 4ème qui est Merck, ont choisi de dire, « nous on ne fait pas comme cela, on ne sait pas faire, nous on tient de très gros marchés. On fera pareil, on écrasera de notre puissance de production ceux qui auront couru trop vite s’ils n’ont pas de résultats parfaits », et statistiquement il est peu probable que les résultats des premiers partis soient parfaits.

Donc je ne sais pas s’il vaut mieux jouer placé ou s’il vaut mieux de courir en tête pour ce qui est de la situation des firmes. Mon problème n’est d’ailleurs pas là. Mon problème il est:  quels risques devons-nous prendre et sommes-nous réellement capable de diffuser au premier trimestre 2021, un vaccin, quel qu’il soit, à une échelle qui soit capable d’enrayer potentiellement l’épidémie ? Cela je n’en suis pas persuadé.

JC, avant de se quitter, une question, parce que vous nous inquiétez un peu sur ces vaccins qui pourraient arriver sur le marché fin décembre/début janvier. Au-delà des résultats imparfaits qui pourraient peut-être ne pas freiner comme on le souhaiterait l’épidémie, quel risque pourrait encourir une personne qui se fait vacciner si le vaccin est inefficace ? Jusqu’où cela peut aller ce risque ?

D’abord, il risque d’attraper quand même la maladie, et puis il y a d’autres petits risques qui sont rares, de complications liées à la vaccination elle-même. Même le premier risque d’inefficacité il est à voir à l’échelle collective et à l’échelle individuelle. Le médecin-chef de Moderna, une des deux firmes qui courent avec un vaccin ARN a d’ailleurs pris ses précautions, parce qu’il vit aux États-Unis, pour dire « nous n’avons aucune garantie que notre vaccin sera capable d’enrayer l’épidémie pour l’instant », mais on vous dit qu’il faut le prendre quand même parce qu’il atténue la maladie ou la fait disparaître chez plus de gens vaccinés que les gens non vaccinés.

Eh bien merci JC de nous avoir éclairés sur le vaccin, d’avoir fait le point sur la situation, nous dire un peu où on en est, et puis on aura certainement l’occasion au fil des semaines de suivre l’avancée régulièrement de ces vaccins avec vous JC.

Oui, je voudrais conclure sur le fait qu’en l’état, seules les solutions, non pas de vaccination, mais de distanciations sociales, de dépistages et d’éradication du virus sont des solutions éprouvées et efficaces de nos jours pour en finir avec cette épidémie. Il ne faut pas aller faire un raccourci en pensant que le vaccin va régler tout cela dans les premiers jours de 2021.

Le message est passé, merci JC. À la semaine prochaine.

À bientôt.

Répertoire des vaccins en développement chez l’homme ( New York Times )

 

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