Covid19: le virus a-t-il fait un tour au labo ?

Chronique du 11 juin 2021

Sur les ondes de RCF: https://rcf.fr/embed/2665134

Jacques Cohen, bonjour.

Bonjour.

Au fil des semaines avec vous, on s’intéresse à la crise de la Covid19 et son évolution. Et ce soir on va faire un flash-back avec en quelque sorte un retour aux origines et les animaux du marché de Wuhan. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? JC, pour que l’on en revienne aujourd’hui à cela.

Vous vous rappelez que l’épidémie de Sars-cov2 commence à partir du marché de Wuhan. Que ce soit les premiers cas ou pas dans ce marché c’est une autre question, mais l’explosion épidémique c’est bien là qu’elle se passe. Et au bout d’un mois, les Chinois ont fermé le marché, ils ont tout désinfecté, ils ont fait un grand nombre de prélèvements sur des animaux, sur des surfaces, ils n’ont pas trouvé la bête. Et donc après on rentre dans les discussions de quoi s’agissait-il, etc… Et puis tout d’un coup, on découvre aujourd’hui qu’il y avait une enquête très soignée sur les animaux en tout genre vendus plutôt illégalement que légalement sur ce marché, avec une équipe chinoise et une équipe anglaise. Donc là, on est absolument stupéfait, car il est quand même peu courant de faire une enquête avant que la maladie ne se déclare et c’est pourtant ce qu’il s’est passé, parce que l’enquête concernait un cas, ou quelques cas, d’une maladie liée à des tiques avec une mortalité inhabituelle. Tiques qui étaient donc véhiculées par des animaux de ce marché. Il ne s’agit pas du tout bien évidemment d’une histoire de Sars-cov2, mais cela a permis de répertorier très soigneusement toutes les espèces concernées.

Il y a un article dans Nature avec un véritable bestiaire de tout ce qui pouvait se manger chez les Chinois en matière de bestioles rares: des serpents à un mustélidé des steppes, etc… ou des marmottes, par exemple, aussi. Et c’est très important, parce que cela donne quand même un catalogue d’espèces parmi lesquels le virus peut avoir mijoté – vous connaissez ma théorie d’une marmite de bouillabaisse avec différents poissons, donc différents animaux et du virus, ce qui est échangé, plus le cuisinier qui renifle, qui en remet aussi ou qui en rattrape – et bien, on a quand même une enquête tout à fait sérieuse et intéressante qui donne déjà un inventaire. Alors, on n’est pas au bout de nos peines, parce qu’il y en a une bonne cinquantaine de bestioles différentes.

Cela commence à compter.

Oui. Et puis d’autre part, l’enquête publiée est uniquement épidémiologique. Il est fort possible qu’il y ait eu quelques prélèvements à l’époque, mais ce n’est pas absolument certain, parce que comme toute ces ventes n’étaient normalement déjà pas très légales, je pense que les enquêteurs n’ont pas cherché à attirer l’attention à se promener avec des écouvillons au milieu du marché, il aurait pu leur arriver des misères. Donc, il y a cet aspect qui est une nouveauté et une piste intéressante sur laquelle il y a certainement du travail en cours. Et puis il y a toutes les discussions que l’on voit ressurgir sur « puisqu’on ne trouve pas comment ce virus est arrivé, est-ce que cela peut être un accident de laboratoire ? »

Oui, justement JC. C’est la question qu’on se pose un petit peu, parce qu’on entend dire qu’il y aurait une fuite du labo. Donc, est-ce que c’est possible cette hypothèse ?

Alors, une fuite de labo est toujours possible, mais il faut encore s’entendre sur ce qui fuit du labo. Alors d’abord, il faut regarder à quoi ressemble le virus. Le virus est hétérogène, mais il n’est pas de type Frankenstein avec des coutures et des morceaux bricolés évidents. J’essaye de faire quelque chose de grand public, vous savez bien. Prenez l’image d’une vieille voiture où les portières ne sont pas toutes de la même couleur, une est cabossée, il y a des rayures sur une autre, en fait, il a des morceaux qui sont, j’allais dire, d’âges variables, et d’autre part son évolution par rapport à la souche de virus de chauve-souris connue qui avait 96 % de commun avec lui, cette évolution elle s’étale d’après les horloges moléculaires entre 7 et 40 ans selon les morceaux, donc on n’est pas dans un truc qui survient en très peu de temps. Alors, vous me direz que les horloges peuvent être fausses, selon les circonstances où le virus est poussé à muter, mais quand même, cela veut dire qu’au minimum tout ne se passe pas en même temps, et cela c’est souvent le signe d’une évolution naturelle. Alors, il y a plusieurs circonstances qui sont mises en cause. Il a été mis en cause que des expériences dites de gain de fonction auraient été faites sur le spike à partir du moment où on s’est rendu compte que ce virus utilisait un récepteur capable d’infecter l’homme, un récepteur ACE. Mais ce qui a été déniché ne concerne pas le spike tel qu’il existe finalement, dans lequel par exemple, il y a un petit bout de virus de Pangolin dont on ne comprend pas très bien comment il est arrivé là, si ce n’est que d’être passé par un Pangolin. Vous me direz, les partisans de cette thèse disent « si on a trouvé certaines manipulations, c’est qu’il y en a eu d’autres qu’on n’a pas trouvées ». C’est un peu un raisonnement par l’absurde, mais même comme cela on n’y arriverait pas. Encore une fois, il peut y avoir un maillon de la chaîne de fabrication du virus qui soit de ce type, mais cela ne donne pas la chaîne, parce que le virus à la sortie, d’abord il fait preuve d’une imagination et d’une originalité qu’aucun humain ne pouvait envisager, personne n’aurait eu l’idée de faire ce virus tel qu’il s’est produit, c’est quand même déjà un problème.

Ensuite, nous allons voir la question des gains de fonction. Il y a une théorie ou un aspect diabolique qui est que modifier la fonction d’un virus cela le rend plus méchant, c’est du travail de savant fou, etc… Il y a eu sur d’autres virus quelques manipulations, en particulier sur les grippes où des gens comme Simon Wain-Hobson ont fini par dire « attention, il ne faut pas faire n’importe quoi, parce qu’on va finir par avoir une bestiole méchante et qui va sortir du labo ».

Mais en fait, il faut se rendre compte qu’il n’y a pas des expériences diaboliques ou rien du tout. Il y a tout un continuum, parce que d’abord, le simple fait de cultiver des virus c’est déjà un danger, ils peuvent évoluer, il peut y en avoir plus, etc… Et puis, quand vous prenez par exemple un virus de Sars-cov2 ou même un autre, que vous le mettez sur des cellules avec du sérum de convalescent, vous le poussez à muter et à trouver des solutions pour s’adapter, et donc il devient plus méchant. Alors, est-ce que c’est déjà un gain de fonction ? Probablement. Mais est-ce qu’on doit proscrire ce genre d’expérience ? Sûrement pas, sinon on ne ferait pas de vaccins s’adaptant aux variants. Donc en fait, les risques de manipulations des virus, qu’elles soient directes ou qu’elles soient indirectes sont inévitables à partir du moment où on doit manipuler des virus pour fabriquer de solutions thérapeutiques, qu’elles soient vaccinales, qu’elles soient médicamenteuses ou diagnostiques. 

Mais finalement JC, vous nous présentez cette hypothèse des animaux du marché de Wuhan, vous nous présentez cette hypothèse d’une fuite de labo. Mais si on en arrive à la conclusion. Finalement, est-ce que l’on connaît l’origine de la Covid19, maintenant ?

Et bien, on ne la connaît toujours pas et on a quelques autres points d’investigation qui sont la question des mineurs qui ont été malades après avoir travaillé dans une mine où il y avait des chauves-souris. Ils ont été malades, mais on n’est pas sûr que ce soit de ce virus, ni même d’un protovirus. On a trois personnes d’un labo de Wuhan qui ont été malades quelques semaines avant l’épidémie, mais en même temps il y avait une épidémie de grippe tout à fait authentique à Wuhan. Donc on n’a rien de très solide pour l’instant. Mais les choses vont continuer à être recherchées, le seul problème si l’on peut dire, c’est qu’elles sont cherchées avec mauvaise foi de part et d’autre. Les Chinois pour dire que de toute façon il ne peut rien s’être passé et les Américains par exemple pour dire que c’est forcément quelque chose que les Chinois cachent. Dans un régime de type autoritaire comme le régime chinois, quand on ne sait pas, on cache. Même si on ne sait pas ce qu’on a à cacher, et même si on n’a rien à cacher. Donc, cela va continuer à prendre du temps, mais je ne désespère pas qu’on finisse par progresser, en particulier par trouver un jour où l’autre des traces d’un protovirus. C’est-à-dire d’un virus qui n’était pas encore le Sars-cov2 et qui est une des étapes intermédiaires de va-et-vient inter-espèces. Mon raisonnement est qu’il n’y a pas de passage direct d’un animal à l’homme depuis la fameuse souche de chauve souris RaTG13 qui n’est qu’à 96 % d’homologie ave le sars-cov2. C’est très loin, vous savez bien que le chimpanzé et nous c’est 98,5 %, donc vous voyez la distance.

bats 2

Dans la famille Rhinolophus…..

Mais y a t il du nouveau dans ce domaine ? Progresse-t-on quand même un peu?

Deux travaux récents ont fait progresser la chasse aux virus de la famille des sars ou autres coronavirus chez des chauves-souris. De localisations et d’espèces variées Il montre que même les virus de chauve-souris du Yunnan se rencontrent ailleurs dans tout le Sud-Est asiatique de façon sporadique. Mais surtout, pour la première fois, on a trouvé des cousins des virus humains, du sars-cov 1, du mers et du sars-cov2, avec des représentants dans chacune de ses branches. Une autre surprise, est que certains fragment de ces virus, ont une haute concordance avec le virus humain de la branche concernée. Alors que globalement ces virus restent assez loin de la souche humaine concernée. Tout ceci laissant à penser que de larges échanges de bouts de virus ont lieu dans chaque famille virale, sans doute en sautant d’espèces en espèces. La nature fait donc bien plus d’expériences de gains de fonction que nos modestes labos de virologie.

bats sars-cov

Distribution géographique de la famille des chauves souris Rhinolophus

Pour conclure provisoirement, on ne sait toujours pas comment est né le sars-cov2. Il faut continuer à chercher et il ne faut pas se limiter à des hypothèses complotistes.

Merci, Jacques Cohen, de nous avoir éclairés sur l’origine du Sars-cov2. Affaire à suivre, parce qu’on en saura sûrement plus à un moment donné. À très bientôt.

À très bientôt.

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